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Tunisie : BCE a la dent dure avec Ghannouchi, mais son tour viendra…

C’est la question que doit se poser, en ce moment même, le principal intéressé, celui dont la journaliste française Arlette Chabot dit que « c’est un homme très conscient que le temps lui est compté » et qu’il faut se hâter de réaliser le maximum de choses pour marquer son époque, et celles d’après. En tout cas Béji Caïd Essebsi y travaille, dur, méthodiquement, avec la minutie de ceux qui veulent laisser des traces indélébiles pour la postérité, comme un certain Habib Bourguiba, l’horizon indépassable, sans aucun doute. Mais peu importe, Essebsi joue les cartes qu’il a en main, que lui a données, de manière inespérée, le départ précipité du dictateur. Le chef de l’Etat joue crânement sa partition en prenant son bâton de pèlerin, à 90 ans bien tassés, pour aller défendre la cause de la Tunisie jusqu’à la tribune du Parlement européen, avec d’ailleurs un certain brio. L’animal politique qu’il est veut démontrer à la face du monde qu’il pulse encore et qu’il tient en respect ceux qui songeraient à l’enterrer ! Mais pas seulement, Essebsi est déterminé à vaincre sa finitude en utilisant les canaux du livre, inlassable et impérissable témoin du temps. Il s’est épanché dans un livre-entretien, rédigé par les soins de Mme Chabot, un choix très judicieux quand on connait les talents de la célèbre journaliste et la réputation dont elle jouit dans la profession.

C’est « La démocratie en terre d’Islam », intitulé du livre qualifié de personnel par le président tunisien, sorti hier jeudi 1er décembre, qui a la délicate mission de consigner le parcours d’un homme, quoi qu’en pensent ses détracteurs, hors du commun, à bien des égards. Comme par exemple la forte charge symbolique de ce 27 février 2011, quand on lui confie les rênes du pays – Premier ministre -, après une Révolution aussi soudaine qu’incertaine dans ses développements, et qui a laissé groggy des citoyens se retrouvant subitement sans cap, sans boussole, sans l’omniprésence d’un « rais » (chef) qui leur disait quoi faire et quoi penser. Essebsi était là pour tenter de panser des plaies à vif, de maitriser une nation agitée par moult soubresauts, guettée par d’innombrables périls, auxquels d’ailleurs elle n’a toujours pas échappé des années après ce fameux 14 janvier 2011. C’est peut-être tous ces galons qui autorisent l’actuel président de la République à se lâcher dans son livre-entretien, à sortir des vertes et des pas mûres, par exemple sur son compagnon du moment et non moins rival, Rached Ghannouchi, leader du mouvement Ennahdha.

Drôle de compagnonnage !

On ne sait pas pour le moment si l’histoire aura la dent dure avec BCE, mais lui par contre ne s’en prive pas. De Ghannouchi il dit, dans le livre : « Je crois que je connais le Coran aussi bien, sinon mieux que lui ». Le destinataire appréciera ce coup de patte ! Il en rajoute une louche en déclarant, à propos de l’islamisme au pouvoir, mais surtout, personne n’est dupe, en direction d’Ennahdha : « Ce n’est pas en prison que l’on se prépare à gouverner ». Ou encore « J’ai réussi à faire dire publiquement à Ghannouchi que son parti et lui n’étaient pas liés aux Frères musulmans, et qu’ils étaient fidèles à l’Islam de Kairouan… c’est-à-dire à l’Islam tunisien. (…) Les Frères musulmans ne veulent pas la République, ils veulent le califat. S’il n’avait pas fait cette déclaration publique, il aurait été impossible de dialoguer avec lui. »

A propos de la cohabitation entre Nidaa et Ennahdha, pour gérer les affaires du pays, Essebsi nuance fortement, sans doute pour tempérer le jugement sévère de certains de ses partisans qui n’ont toujours pas digéré cette alliance « contre-nature », ou pour se dédouaner face à l’histoire, implacable : « Pour moi, c’est une cohabitation, ce n’est pas une alliance. Disons que c’est de l’intelligence dans l’exercice du pouvoir. (…) Une opposition islamiste est plus dangereuse que d’autres car le peuple, en majorité musulman, constitue un terreau que certains peuvent exploiter à des fins perverses ».

Le chef de l’Etat boucle cette thématique en administrant un cours magistral… à Ennahdha : « Il avance dans la bonne direction, mais il doit aller au bout de son évolution. C’est-à-dire couper plus nettement le lien entre religion et politique. Pour le moment, ils ne renoncent pas à la prédication. Ils l’organisent autrement, entretenant ainsi une certaine confusion, une ambiguïté. Il y a une certaine mutation, mais, jusque-là, c’est une mutation de circonstance. » Des propos cinglants…

On aimerait savoir ce que son allié de circonstance pense de tout cela, mais on est à peu près sûr que les nahdaouis ne moufteront pas, comme à leur habitude. Ils laisseront passe la tempête, si tempête il y a, trop soucieux de préserver l’entente cordiale avec le locataire du palais de Carthage, qui leur a, tout de même, permis de faire oublier leurs turpitudes quand ils faisaient la pluie et le beau temps en Tunisie, sous la Troïka.

Les rendez-vous ratés, qui pèseront lourd

Il n’en demeure pas moins que le président de la République, si habile quand il s’agit de distribuer les bons et les mauvais points, surtout les mauvais points, quand il s’agit de cogner, s’est mis dans une très mauvaise posture face à l’histoire. D’abord il y a ces grands symboles, les martyrs Chokri Belaid, Mohamed Brahmi et Lotfi Naghed, que BCE avait évoqués à merveille durant sa campagne présidentielle de 2014, et à qui il avait promis de rendre justice. Pour le moment tous les procès ont fini en fiasco, les présumés coupables et complices ayant tous été relâchés. Il y a mieux pour se présenter devant les générations futures. L’histoire retiendra, à coup sûr.

Et puis il y a l’héritage politique, incertain, très flou pour le moment. D’abord il y a le compagnonnage avec Ennahdha, qui a montré ses limites avec un pays qui cherche toujours sa stabilité sociale et politique. Et puis il y a le piteux état de Nidaa Tounes. Formidable machine de guerre à la base, qui a permis à la Tunisie d’en finir avec les dangereux errements de la Troïka, mais qui est en confettis maintenant, sous les coups de boutoir des ambitions personnelles depuis que BCE a quitté le navire. Certes il s’est confessé dans le livre, en ces termes : « Le parti passe par une crise de direction (…) Je suis conscient que j’étais la clef de voûte de ce vaste rassemblement ». Mais ça ne le déresponsabilise pas pour autant, surtout que la plupart des dégâts ont été causés par la volonté d’un seul homme, son fils, Hafedh Caïd Essebsi. Ce dernier, qui s’est découvert une vocation de politicien dans le tard, a fait une ascension fulgurante, à la faveur d’une Tunisie post-révolutionnaire qui s’essaye à la démocratie et où ce genre de miracle est possible, toléré. « Je ne l’ai ni encouragé, ni aidé. Il est un citoyen qui a le droit comme tous les citoyens de faire de la politique. Mon fils a 55 ans, je ne le commande pas comme un enfant. Je lui ai dit si tu ne réussis pas, je te conseille de renoncer et de partir. Je ne veux pas que mon nom soit associé à une défaite », a dit BCE dans le livre. Un peu frêle comme argumentaire. On l’a connu plus inspiré. Il devra trouver mieux s’il ne veut pas être laminé par la postérité. Mais c’est peut-être un peu tard…

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