Écrit par : Dr Abdelmajid Mselmi (chirurgien, dirigeant au front populaire)
Le citoyen tunisien est souvent malheureux quand il est confronté à la maladie : s’il envisage de consulter à l’hôpital public, il se retrouvera face à un personnel compétent mais la qualité du service, l’accueil et l’hôtellerie laissent souvent à désirer. S’il met le grappin sur une clinique privée, le service est peut-être meilleur mais la facture est souvent salée et sa bourse hypothéquée pour longtemps. Pourtant, le citoyen tunisien paye triplement pour sa santé : par les impôts, par la cotisation à la CNAM et à travers sa participation directe (de sa poche) aux frais des soins. Cette dernière participation est appelée dépense des ménages (la part du citoyen dans les dépenses de santé). En Tunisie, elle est de l’ordre de 40%. Elle est très élevée par rapport aux standards de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui fixe la ligne rouge à 50%. Nous ne sommes pas très loin hélas !!! En France, à titre d’exemple la dépense des ménages ne dépasse pas 13%.
Quand La CNAM ne respecte pas ses engagements
Quand la CNAM a été mise en place en 2008, elle assurait la prise en charge d’une bonne partie des maladies notamment les maladies ordinaires et chroniques, l’accouchement, la chimiothérapie, la radiothérapie et une trentaine d’opérations chirurgicales. Cette prise en charge est totale pour certains actes et partielle- de l’ordre de 40%- pour d’autres. L’accord entre les partenaires sociaux en 2008 stipulait qu’en 2011, la CNAM prendrait en charge la quasi-totalité des maladies et des opérations chirurgicales. Cet engagement n’a jamais été tenu. Nous seront bientôt en 2017 (soit 9 ans après l’accord) et rien ne pointe à l’horizon malgré les demandes multiples des professionnels de santé et malgré la période de grâce accordée à la CNAM après la révolution. L’opinion publique ( qui parfois croit que la CNAM prend en charge tout) doit savoir que des dizaines et des dizaines de maladies et d’opérations chirurgicales très fréquentes et graves telles que tous les cancers ( le cancer du sein et le cancer du poumon qui sont les plus fréquents chez la femme et l’homme) et des urgences très fréquentes telles que les fractures, l’appendicite, l’infection urinaire ..ne sont pas prises en charges à ce jour par la CNAM. Le citoyen qui paye aux caisses de sécurité sociale depuis des années n’a pas beaucoup de choix face à la maladie: soit il se soigne l’hôpital avec tous les aléas, soit il va dans une clinique privée et dans ce cas il paye de sa poche la totalité des frais.
Le ministère de la Santé est tenu pour coresponsable de ce désengagement. En effet, la listes des actes de soins pris en charge par la CNAM et le montant de ces actes sont déterminés par un arrêté conjoint du ministère des Affaires sociales et le ministère de la Santé. Ainsi, ce dernier exerce une sorte de monopole sur les patients de la CNAM, source importante du financement des hôpitaux publics et ne veut pas céder une partie de cette « clientèle » au secteur privé. Il est beau de dire dans le discours officiel que les 2 secteurs sont complémentaires. En réalité, l’Etat s’arroge tout face au secteur médical privé..
La responsabilité de l’UGTT
Les responsables de l’UGTT doivent comprendre que l’augmentation salariale n’est pas l’unique moyen permettant d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés. En effet, l’UGTT aurait dû batailler depuis longtemps pour l’élargissement des prestations de la CNAM à la quasi majorité des maladies (même par étapes) permettant aux salariés de payer moins pour leur santé et par conséquent d’améliorer leur pouvoir d’achat. En pratique, l’UGTT aurait dû revendiquer la prise en charge par la CNAM des urgences médicales et chirurgicales, tour en élargissant progressivement la liste des opérations chirurgicales prises en charge, en augmentant périodiquement le plafond des maladies ordinaires qui n’a pas bougé depuis 2008 et surtout en complétant la liste des maladies chroniques (actuellement 24 maladies)
D’ailleurs, cette revendication pourrait être une bonne piste pour les négociations actuelles avec le gouvernement sur le gel des augmentations salariales.
L’élargissent des prestations de la CNAM à la quasi-majorité des actes de soins va drainer une partie des citoyens vers le secteur médical privé ce qui va désengorger les hôpitaux publics qui croulaient sous une pression importante qui altère la qualité des soins et pèse lourdement sur le budget des hôpitaux surendettés. D’autre part, cette mesure va booster le secteur médical privé qui va avoir plus de patients. Il sera dans l’obligation de recruter plus de personnel et d’absorber le chômage des diplômés de la santé d’autant plus que la capacité de recrutement de la fonction publique s’amoindrit à vue d’oeil. Ceci dans le cadre d’un accord global entre la CNAM et ses différents partenaires qui vise à engager le secteur médical privé dans la politique de l’emploi.
La CNAM : la solution pour une imposition transparente du secteur médical
En France, sur lequel notre système de santé et d’assurance maladie est pratiquement calqué (et ce n’est pas mauvais !!!), la quasi-totalité des actes médicaux sont pris en charge par la CNAM. Du coup, toutes les opérations financières qui en découlent sont transparentes et l’imposition est juste. En Tunisie, les médecins ont raison quand ils affirment qu’une bonne partie de leurs revenus transite par la CNAM et par conséquent elle est transparente. D’ailleurs, la CNAM prélève sur les sommes versées aux prestataires de service un retenu de 5 à 15% au profit du ministère des finances (l’équivalent d’une retenue à la source). Il est inutile pour les services des impôts de proposer des méthodes inefficaces telles que les factures journalières proposées l’année dernière et qui sont restées lettre morte ou la proposition actuelle de la facture globale de la clinique qui est illégale et non pratique. On ne va pas créer la roue !!! La roue existe déjà !!!
La solution durable qui a montré son efficacité dans les pays développés c’est la prise en charge de la totalité des soins par la CNAM (même par étapes), ce qui permet non seulement un meilleur accès des citoyens aux services de santé mais aussi une meilleure transparence des opérations financières de tout le secteur médical.