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Tunisie : Les manifestations du 9 avril entre défi aux lois et droit de manifester, qui a raison et qui a tort ?

Parce qu’ils ont été douloureux, par endroits sanglants, et pour tout dire, déplorables, voire condamnables, les affrontements qui ont émaillé, lundi, la manifestation devant marquer la « Fête des martyrs » commandent que l’on s’y arrête et que l’on en décrypte les messages, parfois subliminaux, des uns et des autres.

Au sortir d’une révolution dont l’un des ressorts majeurs est la rupture, fins et conclusions, avec des pratiques policières érigées en système de gouvernement, les réactions ne doivent être que vives et indignées contre ce qui est regardé comme une résurgence, pis, une survivance d’exactions que l’on croyait à jamais révolues. A ce titre, la société civile, les partis politiques, les journalistes et le commun des manifestants, sont dans leur droit imprescriptible de rejeter, avec la dernière énergie, les atteintes aux libertés individuelles et publiques dont sont soupçonnées les forces de sécurité. A ne point en douter, le droit de manifester en est une composante essentielle, dont le caractère sacré ne doit, en aucun cas, être battu en brèche.

Pour autant, et comme l’enseigne la littérature du Droit administratif, ce droit, pour être pertinent et valablement exercé, doit être «encadré» par des textes, généralement de caractère réglementaire, qui le protègent contre toute velléité de violation et toutes les formes de transgression. Le ministère de l’Intérieur, pour des considérations d’ordre public et pour la commodité des riverains, a jugé utile et même nécessaire de calibrer ce droit suivant les circonstances du moment, en décrétant l’interdiction des manifestations sur l’Avenue Habib Bourguiba, l’artère emblématique et chargée de symboles, de la capitale. Peut-être, pour éviter, et il aurait raison, que ces symboles n’éclipsent le caractère festif de ce rassemblement.

Rentre-t-il dans ses attributions de prendre semblable décision ? Au regard des arguments de droit, la réponse est non, car il n’appartient, dans le cas de l’espèce, qu’au Maire de la capitale et au Gouverneur territorialement compétents, d’en décider et de décréter une mesure de cette nature. Toutefois, et au regard des arguments d’opportunité, il peut être reconnu au ministère de l’Intérieur la latitude l’habilitant à apprécier les risques et les désagréments qui pourrait découler d’un attroupement, que ce soit sous forme de rassemblement ou de manifestation. D’autant que l’état d’urgence, reconduit pour un mois, à compter du 1er avril 2012, a ceci de particulier qu’il conforte le ministère de l’intérieur dans sa démarche.

 

D’aucuns soutiennent que la décision d’interdire les manifestations, parce qu’elle touche le droit et la liberté de manifester, doit être prise en vertu d’une loi édictée par l’assemblée constituante, ce qui n’est manifestement pas le cas. D’autres estiment que l’interdiction de manifester, dans sa version réglementaire, doit être publiée dans le Journal officiel, et non signifiée par voie de communiqué, comme l’a fait le ministère de l’Intérieur. Le fait est, cependant, que l’interdiction, comme semble l’estimer le ministère de l’Intérieur, est revêtue de l’autorité de la chose décidée. Des contestations ont fusé çà et là, sans amener l’autorité dispensatrice de l’interdiction, à l’annuler ou à y surseoir, ce qui aurait, ce faisant, ouvert la voie à l’organisation de la manifestation du 9 avril. Ceci n’ayant pas été fait, la manifestation perd son assise réglementaire. On rappelle à cet égard, que la Tunisie était ce jour-là toujours sous le régime de l’état d’urgence qui interdit formellement toute manifestation et attroupement.

Par-delà les arguments des uns et des autres, l’essentiel a bien l’air de se situer ailleurs. Autrement dit, dans les messages que ceux-ci et ceux-là cherchent à envoyer. Pour le ministère de l’Intérieur, il s’agit de trancher un nœud gordien, celui de faire respecter, une fois pour toutes, son autorité et de prendre une décision qui soit frappée du sceau de l’exemplarité, à laquelle on sera tenu de déférer. D’autant plus que, dans la question qui l’occupe et le préoccupe, il existait un risque de voir les participants à la marche organisée par les chômeurs de Sidi Bouzid, se joindre et se mêler à ceux de la manifestation de la fête des martyrs. Néanmoins, il se profile à travers cette péripétie un élément qu’il est difficile d’occulter. La fonction créant l’organe, Ali Laaridh s’est trouvé visiblement acculé à agir moins en militant et ci-devant victime d’exactions policières qu’en ministre de l’Intérieur, pénétré de culture sécuritaire et, disons-le, totalement acquis à la raison d’Etat et de ses institutions régaliennes.

Pour les manifestants qui se recrutent, pour une large part, parmi les forces de l’opposition et la société civile, le dessein de la manifestation est assurément de célébrer l’épopée et les hauts faits des martyrs, non seulement du 9 avril 1938, mais tous ceux qui sont tombés sous les balles et du colonisateur et des forces de la répression, depuis l’Indépendance. Mais, ce n’est visiblement pas tout, car il s’y est greffé des revendications et des messages destinés à ceux qui tiennent actuellement les rênes du pouvoir, singulièrement, le parti dominant, celui d’Ennahdha à l’endroit duquel il est formulé un composé de griefs, dont celui de l’exercice presque solitaire du pouvoir n’est pas le moindre. C’est assurément légitime et de bonne guerre, car telle est la règle en politique. D’autant que l’opposition se trouve politiquement à court de munitions et pratiquement désarmée, dans l’hémicycle de l’assemblée constituante, pour faire entendre raison aux élus du parti islamiste, et dans une moindre mesure , à leurs partenaires de la troïka, s’agissant des grands dossiers politiques , économiques et sociaux. D’autant plus encore que l’opposition, dans pareille architecture, a toutes les raisons de s’offusquer de devoir faire figure de bloc n’ayant pas prise sur les événements, ni de voix au chapitre, en quelque sorte.

Cette « voix au chapitre », l’opposition et un large segment de la société civile pensent se la réapproprier à la faveur de la manifestation du 9 avril, en disant son fait au ministre de l’Intérieur, et à travers lui, le gouvernement, et en engageant ce dernier sur la voie d’une démocratie participative où est tenu impérativement compte de toutes les expressions politiques, et d’abord celles qui ne partagent pas la ligne de l’équipe au pouvoir. Cela ne doit en aucun, à notre avis, dispenser l’opposition et toute la société civile, de respecter les règles et les lois, quand bien même estimeraient-elles qu’elles sont injustes et arbitraires. La citoyenneté ne commence-t-elle pas par l’application des lois ? Que cherchaient les manifestants, en défiant si ouvertement la loi ?

Une démarche qui s’est cependant soldée par une réponse sécuritaire bien au-delà ce qui est la norme, comme l’attestent des témoignages concordants et accablants pour les forces de l’ordre. Celles-ci auraient pourchassé les manifestations au-delà de la ligne rouge de l’Avenue Bourguiba et l’on se demande pourquoi ? Cette même police aurait été «secondée», plus est, selon les mêmes témoignages, par des éléments que l’on dit appartenant à des milices. Quand bien même, ces éléments habillés en civil, appartiendraient au corps de la sûreté, n’aurait-il pas fallu qu’ils soient aisément identifiables par les manifestants ? Cela n’aurait-il pas évité les accusations de «milices » ? Un précédent en tous cas fâcheux et appelle, s’il est avéré, une réponse vigoureuse et définitive, mais encore et surtout des sanctions exemplaires, car, enfin, une police républicaine, n’a nullement vocation à s’essayer à de pareils exercices, ni à dévier des missions de sauvegarde de l’ordre public et de proximité. Une police se doit, avant tout, d’être policée, c’est-à-dire, respectueuse des règles de civilité, de l’intégrité physique et morale de ceux à qui elle a affaire et d’une retenue de tous les instants, ce qui n’exclut pas, le cas échéant, la rigueur.

Il reste que tous les agissements signalés, lors de cette manifestation, qu’ils émanent des manifestants ou des forces de sécurité, doivent être tirés au clair, et ce dans le cadre d’une enquête indépendante, dont les conclusions seront opposables aux uns et aux autres.

Mohamed Lahmar

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