Habib Essid, le technocrate qui avait dirigé le gouvernement tunisien au cours des 18 derniers mois, a perdu le vote de confiance du Parlement, le 30 juillet. Et contrairement à la plupart des questions débattues par les députés, cette sentence n’a pas fait l’objet d’un large débat. Tous les membres de l’Assemblée des représentants du peuple, sauf trois se sont prononcés pour son éviction.
Un vote qui n’a pas surpris grand monde. Autant que sont concernées la plupart des mesures, Essid a échoué à réaliser ce qui lui avait été prescrit au moment de sa nomination en février 2015 : adopter des réformes économiques, stimuler l’emploi et améliorer la sécurité.
« Le vote de défiance était inévitable», a déclaré Sarah Yerkes, chercheur invité au Centre pour la politique du Moyen-Orient à la Brookings Institution. « Cela revient à dire qu’il existe une lutte entre les forces qui sont pour les réformes économiques et celles qui sont contre ».
Le dépit à l’égard de la gestion de Habib Essid n’est pas difficile à comprendre. Le soulèvement de 2011 qui a renversé l’ancien dictateur Zine el-Abidine Ben Ali tire son essence des difficultés économiques qui ont laissé de nombreux jeunes Tunisiens sans emploi. Aujourd’hui, l’économie de la Tunisie est encore dans un état lamentable: la croissance est inférieure à 1 pour cent, la monnaie nationale, le dinar, est faible, une série d’attaques terroristes a lacéré l’attractivité de la Tunisie auprès des touristes, et les grèves massives ont paralysé l’industrie du phosphate. En résumé, beaucoup des problèmes derrière le soulèvement de 2011 demeurent sans réponse, et certains ont même empiré.
« Personne ne peut nier qu’Essid a échoué», souligne Youssef Cherif, un analyste politique basé à Tunis, pour ajouter aussitôt : « n’importe quel chef de gouvernement se serait trouvé dans la même situation. Ils étaient tous impopulaires parce qu »ils produisent des résultats limités, raison pour laquelle la Tunisie a eu, plus ou moins, un chef de gouvernement une fois l’an depuis 2011. «
Mais l’éviction d’Essid tenait aussi un peu de l’affaire personnelle, liée à des tensions avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi, un nonagénaire. Cette hostilité a conduit certains à voir dans son retrait une manœuvre de coulisses de BCE qui, malgré son âge avancé, cherche à consolider son pouvoir. Ce point de vue a trouvé crédit dans la nomination de Youssef Chahed, ci-devant ministre issu du parti de Caïd Essebsi, Nidaa Tounes, comme chef de gouvernement désigné. Des rumeurs farfelues ont circulé selon lesquelles Chahed est proche d’Essebsi par des liens familiaux, mais l’un et l’autre ont nié toute proximité familiale.
« Essebsi ne veut plus être un président juste pour la figuration, il veut devenir un véritable homme fort, un autre Ben Ali ou Bourguiba, » affirme Cherif, se référant à Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie. Essebsi a servi à la fois sous Bourguiba et Ben Ali. Que Chahed serve de relais pour les ambitions de BCE, cela reste à voir ».
Agé seulement de 40 ans, Chahed est ouvertement acquis aux politiques économiques libérales. Ses références le fonderont probablement à « être plus disposé qu’Essid à engager des réformes économiques », estime l’analyste.
Mais un penchant pour la libéralisation économique ne peut pas, à lui seul, générer une dynamique de réforme, et Chahed va certainement faire face à l’opposition. Alors que sa nomination tire le rideau sur le gouvernement d’Essid, il va maintenant s’atteler au long processus du choix des nouveaux ministres, passer au crible les projets existants, et en lancer d’autres à partir de zéro. « Si les choses ne se font pas assez vite, ce ne sera pas la meilleure chose à faire », prévient-il.
« L’idée de démarrer avec un nouveau chef du gouvernement et un gouvernement dispos donne beaucoup de crédit aux processus lui-même qui a pourtant conduit à des réformes en souffrance, souligne Sarah Yerkes.
Malgré la relative jeunesse de Chahed, surtout par rapport à Essebsi, de nombreux jeunes Tunisiens ne le voient pas comme quelqu’un de différent. «Il appartient à l’élite tunisienne, qui est perçue comme la bourgeoisie corrompue», dit Cherif, » et ceci joue contre lui», en particulier chez les habitants des régions les plus pauvres de la Tunisie, frappés de plein fouet par les difficultés économiques. « C’est là que loge la plus grande opposition. Il est peut-être jeune, mais il n’est pas représentatif de la majorité des Tunisiens.
» Ce qui est vivement exigé, c’est un changement tangible, mais qui ne peut être opéré dans les délais que les Tunisiens attendent», estime pour sa part Sarah Yerkes. « Chahed, comme Essebsi, finiront par devenir d’autres boucs émissaires. « Si Chahed arrive à composer un gouvernement d’apparence plus jeune, les jeunes se sentiront encouragés « , ajoute-t-elle toutefois.
Mais il y a encore un déficit de confiance majeur, tant chez les Tunisiens que chez des parties importantes de l’opposition politique, ce qui est de nature à compromettre la progression des réformes et la consolidation d’un système politique plus pluraliste, souligne-t-elle.