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Tunisie-drogue : L’herbe sera-t-elle coupée sous le pied du « tout carcéral » ?

Vieille de bientôt un quart de siècle, la funeste loi 52 relative à la consommation des stupéfiants, promulguée le 18 mai 1992, va être rangée au magasin des vieilles lunes. Elle sera remplacée par une autre dont le projet est actuellement discuté par la commission de législation générale de l’Assemblée des représentants du peuple. Une loi scélérate, sans doute, sauf qu’elle n’a pas été votée dans l’urgence, autrement dit mûrement et sournoisement réfléchie pour réprimer un fait de délinquance qui aurait pu et surtout dû être traité différemment, la juridiction saisie étant pieds et poings liés par le caractère dérogatoire du droit commun du texte applicable, ôtant au juge tout pouvoir d’appréciation et opportunité d’intime conviction. La suite, on la connaît : les interpellés, surtout les primo-délinquants, sont jetés en prison à tour de bras, gonflant une population carcérale déjà surabondante, un taux de récidive exponentiel, des vies démolies, des existences abimées, le plus souvent pour un simple joint, alors que, dans le même temps, le fléau prend une ampleur sans précédent.

Un aveuglement qui a pris beaucoup de temps avant que le législateur se dessille et se résolve à apporter à un problème de santé publique autre chose que la criminalisation tous azimuts des usagers et le recours massif à l’enfermement, accompagnant la naissance d’un « Etat carcéral », pour parler comme certains auteurs. Pour autant, le « tout répressif » n’est pas totalement abandonné sauf pour les consommateurs qui ont pour la première fois maille à partir avec la justice auxquels est reconnue la latitude de solliciter des soins et une thérapie leur permettant d’échapper à une peine privative de liberté et d’accéder à un traitement de substitution et à la couverture sociale. A cet égard, une commission nationale a été créée ainsi qu’un réseau de commissions régionales ayant vocation à prendre en charge les consommateurs placés ainsi dans des établissements publics ou privés dédiés, pour apporter des traitements aussi bien préventifs que curatifs.

Pour le reste, cependant, et comme le souligne l’exposé des motifs du nouveau projet de loi, est maintenu le caractère répressif des faits liés au commerce illicite des stupéfiants, généralement structuré et transfrontalier, et ce au travers de nouveaux mécanismes d’investigation, en soutien aux attributions et prérogatives de la justice pénale en matière de poursuites judiciaires, en accord avec les normes internationales, précise l’exposé des motifs.

Mais la nouveauté majeure introduite par la nouvelle législation est celle qui abroge aux fins d’annulation les dispositions de l’article 12 de la loi 52 interdisant explicitement au magistrat de faire bénéficier des circonstances atténuantes telles que prévues par l’article 53 du Code pénal tous les accusés de faits liés aux stupéfiants qu’il s’agisse de consommation, de détention à des fins de consommation, de fréquentation de lieux où l’on se livre aux stupéfiants ou des différents crimes y associés. Une injonction à laquelle le juge est rigoureusement astreint notamment en ce qui concerne le délit de consommation où la peine prononcée doit invariablement être d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 1000 dinars au minimum. Aux termes de la nouvelle loi, la juridiction saisie récupère son pouvoir d’appréciation et est habilitée à remplacer la peine privative de liberté par le travail d’intérêt général. S’y ajoute une peine complémentaire, celle du retrait du permis de conduire dont le juge fixera la durée.

L’injonction thérapeutique

C’est assurément l’avancée la plus remarquable de l’abrogation de la loi 52. Avec l’introduction de l’injonction thérapeutique, la prison cesse d’être un endroit pour le toxicomane et ne saurait être une réponse à un problème de santé publique qui ne cesse de se développer. Décidée par le ministère public, elle conduit à un classement sans suite lorsqu’un usager engage une démarche thérapeutique. Dans le cas contraire, elle débouche, notamment en cas de récidive, sur des poursuites. Il s’agit donc d’une mesure soumise à des critères strictement judiciaires. Néanmoins, on se gardera bien de considérer pour acquis qu’il existe et existera une infrastructure de soins et de thérapie qui puisse répondre aux objectifs qui lui sont assignés par le législateur. Ce serait comme si on mettait la charrue avant les bœufs, sachant que pareille expérience avait été tentée par le passé, par l’ouverture d’un centre dédié à Sfax, qui s’est retrouvé sans ressources matérielles et humaines pour devoir cesser d’exister. Cette fois-ci, il ne s’agira pas d’un centre orphelin, mais de tout un réseau qui devra couvrir tout le territoire du pays eu égard au nombre pléthorique, prévoit-on, des postulants à ce mécanisme, au moins pour échapper à la sanction carcérale.

D’autant que l’offre de la « zatla » en Tunisie est en net accroissement, et la demande pareillement. D’autant aussi que le cannabis est devenu moins cher, plus dosé et plus accessible que jamais, et recherché par pratiquement toutes les catégories de la population, jeunes et moins jeunes, riches et pauvres, filles et garçons, élèves, étudiants, employés, chômeurs… Tous en quête de paradis artificiels sous la pression de la conjoncture économique et sociale et des difficultés d’emploi et d’insertion. Au point que la Tunisie est devenue l’un des pays de la région où les niveaux de consommation de stupéfiants sont parmi les plus élevés.

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