AccueilLa UNEPourquoi les Tunisiens ne veulent-ils pas de "leurs" Djihadistes ?

Pourquoi les Tunisiens ne veulent-ils pas de « leurs » Djihadistes ?

Cela fera, dans quelques jours exactement, six ans que les Tunisiens vivent au rythme des polémiques. La dernière en date est celle du retour des Djihadistes. Une polémique, tellement actuelle, qu’elle trouve écho ailleurs, comme en France, qui évoque un risque de «somalisation» de la Tunisie et même au… Vietnam. Il s’agit du retour des Djihadistes tunisiens des zones de guerre où ils ont été chassés par les Russes, les Français et les Américains. Un éventuel retour qui fait une peur bleue, au moins à une partie de la Tunisie, celle qui est ciblée par les «musulmans en colère», tel que Rached Ghannouchi a parlé des Djihadistes tunisiens en Syrie et celle surtout qui a fait l’objet de menaces claires, via des vidéos, de la part de ces «musulmans en colère».
En dehors des atrocités qu’ils avaient promises aux Tunisiens et des images sanguinaires qu’ils essaimaient sur les réseaux sociaux, pourquoi les Tunisiens ont-ils peur du retour de ces «fous de Dieu», alors que tout indique une maitrise sécuritaire du danger terroriste en Tunisie ?

D’abord, parce que ceux qui ont encouragé et financé le départ de ces jeunes, vers la Syrie, vers la Libye, vers l’Irak et toutes les «guerres saintes», sont toujours là, soit inconnus par volonté politique manifeste des sept gouvernements successifs de ne pas enquêter et encore moins de punir. Aucune enquête, par exemple, n’a été faite sur les circonstances de l’exfiltration d’Abou Iyadh de la mosquée d’El Fath en plein centre de la capitale tunisienne. Aucune enquête, ni parlementaire, ni policière, ni judiciaire, n’a été non plus faite sur les réseaux de recrutement et de financement des départs vers la Libye et vers la Syrie notamment.
Sur les plateaux TV, tout le monde en accuse tout le monde, sans que personne ne donne les preuves de ses accusations et sans que le Parquet ne bouge. Une Omerta générale sévit, ou est savamment entretenue, et le trafic de la chair aux canons pour les forces étrangères en lutte contre le terrorisme, ou de la chair tout court pour les Djihadistes, continue.

Les dernières déclarations de Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste tunisien (comme celles des anciens membres d’Ennahdha partis au Djihad et qu’il n’a jamais dénoncés, comme il le demande actuellement aux familles tunisiennes qui auraient des enfants partis au Djihad, ou comme lorsqu’il parlait de la «viande avariée» en références aux fils égarés qu’il voudrait réintégrer dans la société), n’ont en rien contribué à l’apaisement suite aux remous soulevés par l’attentat de Berlin commis par un Tunisien. Comme Ghannouchi, le chef de l’Etat n’a pas su choisir ses mots pour parler du même problème, se retrouve acculé à la correction, mais le mal est fait et les veilles peurs et blessures réveillées.

Ensuite et surtout, par manque de confiance manifeste, dans la justice. On ne peut, en effet, que constater que nombre de ceux qui ont été arrêtés par la police locale, avec force annonces, communiqués et conférences de presse, ont été soit relaxés avant même le passage par la case tribunal, soit ont bénéficié de petites peines au regard des lourdes accusations dont ils avaient fait l’objet lors de l’arrestation. D’autres, arrêtés par des puissances étrangères, convaincus de terrorisme et remis aux autorités tunisiennes, mais de nouveaux mystérieusement envolés vers d’autres lieux de «guerre sainte».

Il y a aussi l’exemple algérien, toujours présent dans la mémoire collective des Tunisiens qui l’ont vécu dans leur chair. L’exemple de ces centaines d’Algériens de l’Afghanistan et qui avaient fini par plonger tout un pays dans la plus noire de ses périodes. Plus d’une dizaine d’années d’une Algérie, sœur et voisine, dominées par le GIA (Groupe Islamique Armé) créé par les radicaux du FIS (Front Islamique du Salut), dont elle garde jusqu’à maintenant des séquelles.
Les circonstances actuelles en Tunisie sont presque semblables à celles de l’Algérie du début des années 90. Les Tunisiens le savent. Ils savent aussi qu’Ennahdha n’a pas que des modérés et ont peur que les anciens de Daech fassent en Tunisie ce qu’avait fait le GIA en Algérie, et deviennent le bras armé d’un parti qui n’a pas encore fait son deuil d’un Etat islamique. Toute la Tunisie se rappelle encore de la vidéo fuitée de Ghannouchi avec les Salafistes, de celle de Mourou avec Ghanim, des barbus reçus au Palais de Carthage, d’Ansar Achariaa à Kairouan, de la conquête de l’horloge du centre-ville ou de l’ambassade américaine. Des images que n’effacera pas de sitôt la nouvelle image de parti modéré que s’est construite Ennahdha à coup de conseils médias.

Il y a, enfin, le silence du gouvernement à propos de ce dossier. C’est notre silence, ce silence qui ressemble à une politique de l’autruche, qui a nourri la polémique. Ceux qui en parlent jusque-là sont certes des personnalités d’influence, comme Rached Ghannouchi ou Béji Caïed Essebssi (BCE) ou encore les députés. Le gouvernement et à sa tête Youssef Chahed restent muets ou éludent la question, comme l’avait fait le ministre de l’Intérieur à l’occasion de la conférence de presse sur la mort de Mohamed Zouari. Et lorsqu’il en parle devant les députés, c’est pour donner le chiffre de 800 retours de zones de guerre, sans autre forme d’explication. Une mauvaise communication qui ne fera qu’ajouter de l’huile sur le feu. Youssef Chahed de son côté se tait, et on ne sait pas s’il fait réellement l’autruche ou s’il se cache simplement derrière «tonton» BCE (qui s’en prend à l’occasion aux médias et ce n’est pas une première), à le laisser «amuser la galerie» quitte à faire des bourdes, en attendant des jours meilleurs !

Il y a pourtant deux catégories de rapatriés dans ce dossier, que le débat émotionnel et dans l’hystérie collective, avec force cris et barilleries sur les plateaux TV et dans les VTR des différentes émissions télévisées, ne permet jusqu’à présent pas de différencier.
En premier lieu celle des anciens Djihadistes, recensés, connus et fichés par tous les services secrets du monde ou déjà arrêtés par les autorités des pays où ils avaient commis leurs forfaits et leurs crimes de guerre. Les premiers ne chercheront certainement pas à retourner par les ports ou les aéroports ou seront arrêtés par la France, l’Allemagne ou même les USA à la recherche de renseignements ou de preuves en lien avec les actes terroristes commis sur leurs terres. Il faudra alors intensifier la coopération sécuritaire avec ces pays pour bénéficier de leurs résultats, construire ou reconstruire un fichier national des terroristes les plus notoires et leurs connivences, et renforcer les capacités nationales de surveillance, de renseignement et d’anticipation. Et quand bien même seraient-ils rapatriés, l’unique demande doit être de leur appliquer sévèrement la loi, celle de la lutte anti-terroriste. Ce n’est qu’après qu’ils auront payé cher le prix de leurs crimes, qu’on pourrait éventuellement accepter, comme pour les Mafieux repentis en Italie, une quelconque réintégration.
Les autres seront certainement condamnés par l’Irak ou la Syrie. Ceux-là, il faudra les abandonner entre les mains de leurs véritables justiciers, ceux à qui ils ont fait du mal et ne jamais accepter une quelconque voix qui essaierait de culpabiliser l’Etat à leur égard.

En second lieu, il y a tous ceux qui ont traversé clandestinement les frontières, vers l’Italie, vers la France, l’Allemagne ou ailleurs. Des «Harragas» ou immigrés clandestins au lourd passé judiciaire ou simples petits délinquants que l’Europe n’a pas pu ou voulu accepter sur son sol. Pour ceux-là, la Tunisie ne pourra, au sens de plus d’une convention internationale, et ne devra pas dire non, même s’il faudra auparavant passer leurs listes au crible pour y déceler d’éventuels Djihadistes et leur appliquer sévèrement la loi. C’est là que le travail des ministères, de l’Intérieur et de la Justice, devra faire ses preuves, car on ne gagne pas la bataille contre le terrorisme par le déni, populaire, juridique et légal, et en refusant d’affronter les problèmes internes que crée et créera ce nouveau phénomène transnational.

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