Lors d’une rencontre avec de jeunes étudiants, samedi soir à Tunis, le chef du gouvernement tunisien a beaucoup parlé économie et même de finance, après avoir redit cette lapalissade que «la révolution n’a pas réalisé ses objectifs économiques». Il se trompe pourtant. En termes de résultats, la révolution, mais pas celle dont il parlait, en avait réalisé. Elle a en effet détruit toutes les réalisations engrangées par la Tunisie durant les 50 dernières années. L’autre révolution, celle dont parlait Chahed, n’a tout simplement, su ni pu, redresser la barre et remettre l’économie tunisienne en marche et sur le droit chemin.

Mais ce n’est pas le sujet, puisque le discours du samedi soir de Youssef Chahed devant des étudiants d’une Ecole préparatoire de Tunis, a été en grande partie consacré au secteur des banques publiques. Des institutions financières, imaginées fortes et concurrentielles devant un secteur privé qui les devance, mais voulues de fait comme caisses de l’Etat et son bras financier, comme l’a justement dit le chef du gouvernement tunisien dans son discours. Des caisses pour pouvoir faire la politique d’un Etat auquel tout le monde demande «le développement» et pour lequel personne, à l’intérieur, ne veut donner de l’argent (Taxes et impôts). Un Etat qui a certes changé la gouvernance de ces banques, mais juste en façade, car les conseils d’administration restent sous mainmise du ministère des Finances.

  • Chahed fait marche arrière.

Au cours de cette rencontre, où on a si rarement Chahed prendre prononcer le mot décision, le chef du gouvernement a d’abord défoncé une porte ouverte en parlant des difficultés des banques publiques. Il oubliait que l’ANC, comme l’ARP, l’ont longuement répété, jusqu’à pousser le budget de l’Etat à injecter 1.000 DT pour la recapitaliser de 2 de ces banques (STB et BH).

Or, la manière dont il a parlé suggère que ce plan de restructuration et de sauvetage aurait déjà capoté, du moins du point de vue de l’actuel gouvernement. C’est en tout cas ce qu’on est directement amené à penser, lorsque le chef du gouvernement affirme que «les banques publiques se sont révélées incapables de jouer leur rôle de bras financier de l’Etat» en matière de financement de l’économie.

Et Chahed d’ajouter que «les grandes difficultés financières qu’elles vivent les ont transformées, d’une partie de la solution pour faire face aux défis économiques, en une partie de la crise et nous avons déjà commencé à les restructurer pour qu’elles recommencent à jouer leurs rôles comme il faut et pour en faire une partie de la solution et non le contraire».

Jusqu’à ce discours de Youssef Chahed, les trois deux précédents étaient surtout dans une logique de continuité d’un État qui, par le volume d’argent public qu’il y a déjà injecté, aura déjà choisi de garder ces institutions dans le giron public. Ce ne semble plus être le cas. Chahed vient en effet d’annoncer, sans trop y mettre les formes, une nouvelle orientation dans la politique financière, celle de se débarrasser des banques publiques, tout au moins d’en diminuer sérieusement le nombre.

Chahed commencé par poser une question, jamais soulevée auparavant par un premier ministre ou un chef de gouvernement tunisien. «Il faut se poser franchement la question. Est-il nécessaire d’avoir trois banques publiques (En fait 4 si on n’oublie pas la BFPME où les actionnaires sont l’Etat, Tunisie Télécom, l’OACA, le Groupe Chimique et la Sotugar) qui souffrent toutes et se noient dans les difficultés financières ? Ou est-ce que la solution ne serait pas une seule grande banque publique qui doit être financièrement assez puissante pour concurrencer le secteur privé et capable de jouer le rôle voulu de financement des secteurs d’activité délaissés par le secteur privé ?», a-t-il dit. La question n’est pas nouvelle, mais date du temps de Taoufik Baccar lorsqu’il était à la tête de la BCT. Sauf que cette question a été tranchée par l’Audit de 2013 qui avait décidé que «les trois banques publiques (STB, BNA et BH) resteraient étatiques et leur gouvernance serait privée». Ce scénario avait été révélé par «Tunisie Valeurs», dans une note publiée dans sa revue d’octobre 2015. [Ndlr : TV dont faisait partie l’actuel ministre du Développement Fadhel Abdelkefi, présent samedi soir avec Youssef Chahed]. Le discours de Chahed, serait ainsi un retour en arrière !

  • Chahed très mécontent des banques publiques.

On comprend donc aisément que le chef du gouvernement tunisien ne veuille plus des banques publiques, car mécontent de leur participation au financement de l’économie. Mais selon nos informations, il serait plutôt mécontent du fait qu’elles n’obéissent plus aux instructions de la tutelle en matière de demandes de financement des entreprises publiques en difficultés financières et de certains offices largement endettés. Ces mêmes banques publiques qui subissent l’ire du chef du gouvernement, deviennent en effet, depuis leur recapitalisation et le changement de leurs gouvernances, plus soucieuses de la bancabilité des projets. Cela ne semble plus plaire au 3ème chef de gouvernement de la seconde République. Une réunion devrait d’ailleurs se tenir, la semaine prochaine à La Kasbah, avec une banque publique qui avait refusé d’injecter plus d’argent dans une société publique agricole, largement déficitaire et plombée par le fisc et la CNSS, sans compter ses énormes retards de paiement du loyer et sans aucune rentabilité.

Des banques, accusées, mais toujours phagocytées par le public qui ne leur laisse pas les coudées franches en matière d’investissement, comme dernièrement pour la STB que le ministère des Finances aurait finalement empêché d’acquérir un bloc d’actions de la SFBT pour 50 MDT. Des banques encore incapables de gérer le lourd fardeau des impayées, car toujours maintenues sous la menace d’un article de loi qui criminalise toute tentative de trouver une autre solution que le paiement, immédiat et entier de la dette, ce que des entreprises comme celles du secteur hôtelier ne peuvent pas faire à cause de la conjoncture.

  • La privatisation en option cachée.

L’une des options pourrait donc être donc de les fusionner. Or, l’expérience de la STB-BNDT-BD ET a déjà démontré l’impact et le résultat d’une telle expérience et son coût. Cette option pourrait de plus être contraire aux engagements de la Tunisie avec ceux qui avaient en partie financé la recapitalisation.

Ce qui semble être le plus probable, c’est de vendre deux des quatre banques publiques. Dans ce cas, il faudra d’abord assainir les situations financières des banques à vendre. Le poids des dettes touristiques pour la STB ou celui des dettes agricoles et d’autres entreprises publiques comme les offices de l’huile ou des céréales, est si Lourd qu’il pourrait pousser l’État à vendre passif pour actif et n’y gagnera que des prunes.

Il semble pourtant admis, par le gouvernement Chahed, selon nos sources, de sortir du capital (pour ne pas utiliser le mot vendre qui fâcherait notamment l’UGTT) de deux des banques publiques dans un premier temps. Les fonds pourraient servir à renforcer la BFPME qui pourrait devenir le bras financier de l’Etat dans les régions où l’appui de l’Etat est fortement demandé et tout aussi fortement critiqué. A terme aussi, et si la pilule passait auprès de l’UGTT, même la 3ème pourrait être, entièrement ou partiellement, privatisée.

  • Bonne position sur les participations bancaires.

Le chef du gouvernement évoque ensuite, sans les nommer, le cas des banques mixtes ou anciennes banques de développement. « Il n’est plus possible que l’État continue d’avoir des participations dans plusieurs banques. En plus des 3 publiques, l’État est actionnaire dans d’autres petites banques qui ne peuvent, ni être rentables, ni même lui permettre de gérer ces banques. Nous avons donc décidé de revoir ces participations ». Ainsi tranche Youssef Chahed. La décision n’est pas nouvelle. Elle date de l’ancien régime, mais n’a jamais pu être concrétisée. Celles qui restent dont essentiellement la banque Stusid, la BTS et la BTEI et la dernière semble être la plus facile à vendre, l’offre des Emiratis étant déjà disponible sans qu’on en connaisse le prix. Il restera alors d’éviter l’erreur commise à la vente de la TQB aux Qataris de la QNB, en lui permettant de ne payer que le minimum d’impôt alors que la maison-mère est largement bénéficiaire. L’Etat serait ainsi doublement bénéficiaire. D’abord en se débarrassant des bras cassés et en récupérant ses billes, ensuite en rétablissant la justice fiscale dans les rangs des banques.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici