AccueilChiffreLa Tunisie est-elle mûre pour la réconciliation nationale ?

La Tunisie est-elle mûre pour la réconciliation nationale ?

Le vote de la loi sur la justice transitionnelle a été accompagné par deux évènements majeurs. D’abord, l’adoption de la Constitution et la formation du gouvernement de Mehdi Jomaâ , ensuite le rejet pur et simple de la loi sur l’immunisation de la révolution , qui relève d’un autre concept de la redevabilité et ressortit plutôt à la vengeance et au règlement de comptes . Ce nouvel état d’esprit devrait, en théorie, refléter un climat positif et concrétiser l’adhésion de larges franges de l’opinion publique à l’idée de la réconciliation nationale.

Mais, à y voir de plus prêt on remarque que les parties concernées par ce nouveau processus ont des idées très divergentes de ce qui s’est passé en Tunisie, depuis le 1er juin 1955, date retenue comme point de départ pour l’application de la loi sur la justice transitionnelle , et chacune d’elles cultive une mémoire qui va dans le sens de ses intérêts ou des thèses qu’elle défend sur l’histoire du pays .

Les Youssefistes et les courants panarabes qui étaient les premiers à subir la répression bien avant l’Indépendance, ont porté les armes contre l’Etat indépendant, dès son avènement, et par la suite, fomenté le coup d’Etat de décembre 1962 et les évènements de Gafsa de janvier 1980 , revendiquant toujours un statut de militants réprimés parce qu’ils portaient un projet politique et civilisationnel en harmonie avec l’identité nationale et luttaient pour que cessent l’occidentalisation du pays et l’influence francophone imposée par Bourguiba et ses collaborateurs .

La Gauche qui a été réprimée sans discontinuer, depuis le début des années 1960, revendique un statut de mouvement qui a milité pour les libertés et subi torture , exil et prisons . La Gauche dont des segments ont prôné dans leur littérature et leur discours la dictature du prolétariat ou celle des forces populaires , inscrit son combat dans la lutte du peuple contre la dictature, les choix politiques et économiques imposées , et pour les libertés fondamentales .

Les syndicalistes, qui ont contribué à la lutte nationale et à l’édification de l’Etat moderne, ont toujours lutté pour leur indépendance. Ils ont été victimes de plusieurs ingérences dans la gestion de leurs affaires, et des coups de force parfois sanglants ont été engagés par le pouvoir exécutif et le parti aux commandes à leur encontre pour les mettre à genoux. Les évènements de 1956, 1965 ,1978 et 1985 n’en sont que de simples illustrations.

Les islamistes revendiquent eux aussi un statut de militants pour les libertés et dénoncent la répression dont ils étaient victimes, eux et leurs familles, en 1981, et surtout, en 1986/1987, et, à partir de 1990. L’Etat tunisien qui les a réprimés les accusait d’avoir manigancé au moins deux coups d’Etat, en novembre 1987et en 1991 attestés par les témoignages de personnalités proches des islamistes et des militants dissidents. Les militants de gauche et des droits de l’Homme reprochent aux islamistes d’avoir utilisé la violence pour résoudre des différends à caractère politique à l’université et dans le milieu associatif, alors que l’opposition de l’époque s’associait au parti au pouvoir pour accuser les islamistes d’avoir confondu , dans leur lutte sans merci contre le pouvoir, système politique décrié par presque tout le monde , le modèle de société cultivant des spécificités et faisant l’unanimité autour de lui, et Etat qui est l’expression de l’identité nationale . Tous les détracteurs des islamistes voyaient dans cette stratégie de combat une volonté de tout détruire pour préparer le terrain, le moment venu, à la construction d’un Etat islamiste, une fois tout ce qui a été bâti depuis l’Indépendance et même avant aura été annihilé.

Des choix politiques et économiques qui ont ponctué le cheminement de la Tunisie indépendante ont porté de graves préjudices à des citoyens ordinaires, à l’entreprise économique et aux régions de l’intérieur. Les expropriations lors de la collectivisation forcée dans les années 1960, la répression aveugle des évènements du 26 janvier 1978 et des islamistes en 1986/1987 et surtout en 1990 qui a été étendue à leurs familles, doivent être discutées au cours de la mise en œuvre de la justice transitionnelle.

Du fait que ces combats ont été engagés , cinq décennies durant , par des courants et des formations politiques aussi multiples que variés contre l’hégémonie du parti unique et ses menées dictatoriales , chacune de ces parties a fini par se faire une mémoire propre qui a servi à reconstruire l’histoire de la Tunisie et même son avenir à partir de perceptions qui ont acquis leur légitimité dans la lutte quotidienne , mais demeurent , somme toute, assez subjectives . La multitude de témoignages s’excluant les uns les autres, ont, sur le plan pratique, pris la place des approches qui habiliteraient chacun à faire valoir, dans la modestie et l’esprit positif, ses intérêts, sa vision et donner une idée de son vécu depuis l’Indépendance, reconnaissant ses erreurs et ses appréciations tronquées qui l’auraient conduit à adopter des choix inappropriés et parfois suicidaires. Ce n’est qu’ainsi que ces mémoires parcellaires, subjectives et inachevées parviendraient à s’inscrire dans une démarche collective pour reconstruire une mémoire nationale intégrant toutes les expériences engagées dans la Tunisie Indépendante pour la liberté, la justice sociale et le développement global,, des pré requis pour une véritable réconciliation nationale .

Or, ce à quoi on est en train d’assister nous montre qu’on est loin d’une approche positive qui rende possible une réconciliation nationale dans des délais raisonnables et ne moyennant que le coût payé jusque-là par la communauté nationale .

Aboussaoud Hmidi

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