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Pour une fois, prenons au sérieux Adnène Mancer et Moncef Marzouki !

Les réactions de l’opinion publique aux déclarations faites par Adnane Mancer, au journal jordanien Addoustour, le 11 mars 2014, concernant Mohammed Bouazizi ont été épidermiques. Et de ce fait ces déclarations n’ont pas été suffisamment analysées.

On a reproché au porte-parole de la présidence de la République de mettre en pièces la légende de la Révolution , et de salir la réputation d’une icône du pays, de sa région et de la jeunesse tunisienne en général .Les propos de Mancer à l’égard de Bouazizi étaient très virulents .Il a cherché à battre en brèche l’idée que les Tunisiens et l’opinion publique internationale se font de ce martyr de la Révolution du jasmin . Il prend le contrepied de ce qui tenait lieu d’une vérité première de cette révolution, mettant en doute l’injustice dont ce jeune de Sidi Bouzid a été victime avant de commettre son geste fatal, et la désespérante gravité de la crise que vivait la jeunesse que Bouazizi incarnait. Mancer s’inscrit en faux contre l’acuité de la crise sociale et politique qui faisait apparaître le pays sous le jour d’une poudrière qui n’attendait que l’étincelle pour détoner , et attribue la cause du succès du grand bouleversement, qui a entraîné ce qui est convenu d’appeler le printemps arabe , à l’habileté des jeunes internautes et facebookers et l’engagement des médias internationaux et particulièrement Al Jazeera pour défendre la cause de ces jeunes . Mancer y ajoute , comme pour pulvériser l’image d’une révolution spontanée et généreuse et saper l’échafaudage théorique qui l’a illustrée , que Bouazizi n’était pas diplômé comme cela a été dit , mais un vulgaire ignare . En un mot, ce Bouazizi n’a été, à ses yeux, ni diplômé, ni innocent , mais c’était lui qui avait offensé la femme dont il prétendait être la victime. Mancer insinue que la Révolution tunisienne a reposé sur une légende inventée qui a été doublement exploitée , d’une part par les jeunes qui l’ont utilisée pour changer l’ordre des choses, et d’autre part par la famille Bouazizi , une fois la Révolution accomplie , en amassant argent et autres biens dont une maison à la banlieue Nord de la capitale .

Cette attaque en règle contre l’image de la révolution ne surprend, par certains aspects, de la part d’un responsable de la Présidence de la République. L’attaque a eu lieu à l’étranger et dans un média non tunisien, attitude qui rappelle celle de Marzouki lui-même à laquelle l’opinion publique s’est habituée tant bien que mal. Mais ce qui est nouveau, c’est cette relecture de l’histoire de la Révolution tunisienne qui est élaborée en haut lieu sans qu’elle ne soit révélée en premier au peuple tunisien ou fasse l’objet d’un débat national.

Quoi qu’il en soit , Adnane Mancer , qui se dit lui-même novice en politique , son expérience en la matière ,de son propre aveu, ne dépassant les deux ans, n’a pas un passé militant à faire valoir , et ne peut rien gagner en démolissant le schéma consacré de la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 . De plus, Sidi Bouzid a été toujours considéré par Marzouki comme le berceau de la Révolution. Ne s’est-il pas déplacé, dès son retour en Tunisie, le 17 janvier 2011, pour visiter ce sanctuaire du soulèvement populaire et n’a-t-il pas réservé sa première sortie, après son élection à la Présidence de la République à Sidi Bouzid, le 17 décembre 2011 . C’est vrai qu’il a été mal accueilli par la ville le 17 décembre 2012, mais la protestation des gens de Sidi Bouzid était compréhensible , du fait qu’il n’a pas tenu ses promesses de leur apporter, en un an, projets de développement et postes d’emplois.

Donc à qui profite ce révisionnisme de l’histoire de la révolution tunisienne annoncé par Adnane Mancer ?

En fait , l’attaque de la symbolique révolutionnaire peut paraître à première vue spontanée , concordant avec l’image que les observateurs se font de Adnane Mancer , qui parle pour être parfois démenti par les gens qu’il cite , politiciens ou responsables gouvernementaux . Le plus souvent, ce sont ses collègues qui « rectifient » le tir pour dédouaner la Présidence de la République au nom de laquelle il parle, ou bien il se déjuge lui-même pour dire que ses propos ont été sortis de leur contexte ou mal interprétés. Mais en y regardant de près, on s’aperçoit que les déclarations de Mancer sont faites à dessein et entrent dans une stratégie de communication bien pensée pour mettre en valeur le passé militant Moncef Marzouki et le lancer sur orbite pour les prochaines présidentielles.

L’idée de faire descendre Mohammed Bouazizi de son piédestal s’inscrit dans la même lignée du Livre noir. Les deux opérations visent à détruire l’image des autres : Bouazizi pour la première, les journalistes, artistes, personnalités publiques et anciens opposants de Ben Ali pour la seconde . Mais, de ces ruines, la seule réalité qui émerge, c’est une image positive et rayonnante de Moncef Marzouki , au cas où la symbolique portée à la fois par Bouazizi et la classe politique démocratique serait entamée et piétinée .

Le Livre noir consacre , en effet , dix pages au « résumé du parcours militant du Dr Moncef Marzouki comme cela a été révélé par les documents des archives politiques de la Présidence de la République » ( de la page 286 à la page 296 de l’édition confisquée par la justice ), cependant que le même ouvrage ne réserve que 2 pages à Ennahdha (pages 297-298) et trois à Rached Ghannouchi (les pages 299-301),pourtant lourdement frappés par la répression , sans parler du contenu dédié aux autres opposants et aux personnalités publiques des 23 ans de Ben Ali .

Et pour parachever l’image positive d’un Marzouki démocrate , attentif aux suggestions de modération et de concorde nationale , des médias locaux ont fait état , ces derniers jours,d’un rôle positif que jouerait l’épouse de Moncef Marzouki , Béatrice , « démocrate et désintéressée » , qui plaide depuis un moment auprès de son mari pour des dossiers en relation avec les droits de l’Homme et l’incite à user de ses prérogatives pour gracier Jabeur Mejri, et voir d’un autre œil les dossiers des anciens ministres de Ben Ali emprisonnés depuis la révolution , les Abdelaziz Ben Dhia, Nadhir Hamada, Ridha Grira et Sadok Korbi qui étaient , depuis peu, soit libérés soit acquittés .L’épouse de Marzouki serait aidée dans ses initiatives par ses deux filles.

Au-delà des interventions de Béatrice Marzouki, la première dame et de ses filles, on voit se profiler un portrait positif du président-candidat . Mais ce portrait contre nature, causant, du reste, d’énormes dommages collatéraux, n’a fini par prendre forme qu’aux dépens d’une classe politique qui a été malmenée par le Livre noir, et du socle de convictions et de vérités premières sur lesquelles a reposé la Révolution. Ce sont des postulats qu’il est légitime de remettre en question à tout moment, si cela s’impose , mais cette mission ne peut être confiée à un politicien novice et largement controversé , qui se met tout le monde sur le dos , à la moindre intervention , présomptueux et faussement auréolé de vertus révolutionnaires, se prenant pour quelqu’un qui doit avoir le dernier mot sur tout ce qui touche à la Révolution et à l’avenir du pays .

Aboussaoud Hmidi

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