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Restauration du régime des Habous : répondre aux difficultés par l’idéologie

Est-ce que la restauration du régime des Habous, aboli au lendemain de l’Indépendance, revêt vraiment un caractère urgent , aujourd’hui , pour être proposée sous forme de loi ?

La réponse ne peut être que négative. Mais, on ne peut pas s’empêcher de se poser une autre question d’une importance capitale : Quelles sont les raisons qui ont poussé le parti au pouvoir en plein isolement et la troïka en pleine déconfiture à prendre une telle initiative ?

Même si on met de côté le dossier du Dialogue national, qui obéit à une autre logique et revêt de loin un caractère plus urgent , on remarque que le volet législatif de l’ANC comporte, déjà , un ordre du jour lourdement chargé : la loi des finances complémentaire pour l’année 2013, qui devait être soumise à l’ANC depuis des mois ,n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour , de même que le budget de l’Etat , le budget économique et la loi des finances 2014 qui attendent toujours d’être transférés à la Constituante, à quelques semaines de la nouvelle année . Le nouveau code de l’investissement, qui doit donner une vision d’avenir à l’initiative économique, attend son tour, également.

Tous ces sujets ont nettement la priorité et devraient précéder le projet de loi sur la restauration du régime des Habous, discuté, hier lundi 11 novembre, conjointement par la commission de la législation générale et celle des finances, de la planification et de du développement régional .

L’éventail de l’argumentaire islamiste était très varié : Noureddine Khadémi, ministre hautement politique, parle de l’initiative comme une revendication de la Révolution , Nejib Mrad , député nahdhaoui , parle, lui, de rétablissement des biens et des droits spoliés à plusieurs familles et possédants au lendemain de l’Indépendance , et Kalthoum Badreddine et Ferjani Doghman , présidents des deux commissions , cherchent des raisons économiques et financières à l’initiative , invoquant une nécessité économique et sociale exigée par la situation du pays .Ils soulignent qu’il s’agit d’un projet de développement qui renforce les ressources du Trésor Public , et font remarquer que plusieurs députés de différents horizons politiques y étaient associés , citant Samir Ben Amor, Fayçal Jadlaoui, Abderrazk Khallouli, Mohamed Tahar Ilahy, Samia Abbou, Tarak Bouaziz et Moncef Charni, ce qui lui ôte l’étiquette d’initiative religieuse .

Au-delà du discours pompeux, aucun chiffre n’a été donné pour étayer la thèse de la nécessité économique et sociale à laquelle répond le projet .Par contre, lorsque le régime des Habous a été aboli , la démarche de Bourguiba était toute autre . L’initiative était guidée par une vision claire. Elle avait pour objectif d’intégrer dans le circuit de la production la moitié des terres cultivables dans le pays, évaluées à des millions d’hectares. Ces terres, de par leur mode d’exploitation, étaient peu ou mal exploitées, et le projet voulait les doter d’un statut clair et leur permettre d’être gérées avec rationalité .

Dans ce dossier , la Tunisie n’était pas seule à avoir pris cette orientation . Elle était précédée par les pays musulmans qui avaient acquis leur indépendance avant .La Turquie a mis en œuvre sa réforme en 1926, le Liban en 1947, la Syrie en 1949 et l’Egypte en 1952 . Ces pays ont modifié profondément le statut des Habous ou Waqfs comme il est l’appelé en Orient ,après avoir constaté que les dispositions régissant ces biens constituent un obstacle à une exploitation rationnelle et deviennent une source de litiges inextricables entre bénéficiaires , à mesure que le temps avance et les générations se succèdent.

Les dirigeants de l’Indépendance ont remarqué que le développement du pays était , en partie hypothéqué, par ce mode archaïque d’exploitation des Habous et engagé une réforme jugée, à l’époque, décisive.

La démarche en Tunisie était graduelle . Un premier décret beylical, en date du 31 mai 1956 , supprime les Habous publics, liquide l’ancienne administration de gestion, la Djamaia, et met à la charge de l’Etat les dépenses se rapportant au culte ou à caractère social . Il libère 150.000 ha sur les 1.150.000 ha que représentaient les biens Habous à la veille de l’Indépendance de la Tunisie. Un deuxième décret en date du 18 juillet 1957 abolit les Habous privés et mixtes , libérant ainsi le million d’hectares restants . Les deux décrets interdisent les Habous et le deuxième restitue leurs biens en toute propriété aux ayants droit.

La démarche était également purement administrative. Dès 1956, des commissions régionales de liquidation des Habous , à caractère administratif , ont été créées au siège de chaque gouvernorat, présidées par le gouverneur ou son représentant. Elles comprenaient des experts, topographes, géomètres, magistrats, fonctionnaires des ministères de la Justice, des Finances, de l’Agriculture, et étaient chargées de statuer sur la destination des terres en analysant les situations et les faits, et prenant acte des litiges, des contestations, pour parvenir à homologuer les accords et ordonner les partages. Ceci a permis d’accompagner l’abolition de ce régime foncier anachronique par un ensemble de solutions originales , ce qui a rendu possible l’introduction de ces terres dans la vie économique moderne .

Or, ni la vision claire, ni la démarche concrète et graduelle, ni l’association de l’opinion publique à l’initiative n’ont été au rendez-vous, cette fois .Et le projet de loi qui vise à inverser une tendance de l’opinion et du mode d’organisation de la structure économique du pays, devrait être préparé à haute voix. Mais, ce à quoi on a assisté est une préparation sous serre, en catimini, et qui a fait irruption en plein blocage du Dialogue national , comme s’il s’agissait d’une conspiration à cacher jusqu’à son exécution .

Des observateurs ont cru voir dans cette initiative un geste s’inscrivant dans une démarche beaucoup plus large, visant à ressusciter la loi de l’immunisation de la révolution , empêcher tout amendement de la loi de l’organisation provisoire des pouvoirs publics et donner un nouvel élan à la redevabilité (muhasaba) des politiciens et des hommes d’affaires de l’ancien régime .Et Béji Caïd Essebsi était visé en premier, paraît-il . Cette orientation a été annoncée par Mohammed Abbou ,le chef du Courant démocratique , et on a assisté à un redéploiement politique , au sein même de l’ANC , pour faciliter la mise en œuvre de ce cours nouveau .

D’autres observateurs décèlent un lien entre cette initiative et d’autres qui ont commencé bien avant les élections d’octobre 2011 , et qui présentaient la Tunisie comme un pays profondément occidentalisé par Bourguiba et l’élite de l’Indépendance , et duquel l’Islam a été totalement déraciné . Ennahdha et les islamistes de tous bords pensent que le temps est venu pour que l’islamisation du pays soit entamée. Et dans ce cadre, peuvent être inscrites les menées pour couvrir le salafisme , même sous sa version terroriste , la défense du Niqab même à l’université , l’apologie de la finance islamique et les promesses du financement par les pays du Golfe du développement en Tunisie . L’actuel projet de loi sur la restauration du régime des Habous , illustre cette orientation qui n’est qu’une réponse maladroite et irréfléchie aux engagements pris par les dirigeants d’Ennahdha vis-à-vis des bailleurs de fonds islamistes d’Asie et du Golfe ,qui ont été édifiés sur la Tunisie comme un pays à islamiser et qui ont beaucoup investi, depuis les années 1970 pour voir enfin l’islam réinstallé en Tunisie .Sans quoi , Ces bailleurs de fonds peuvent demander des comptes à ceux qui leur ont distillé ces idées sur la Tunisie , et ont bénéficié de leur largesses .

Aboussaoud Hmidi

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