AccueilLa UNETunis : Le dilemme cornélien d’Ahmed Mestiri!!

Tunis : Le dilemme cornélien d’Ahmed Mestiri!!

Lors de sa dernière interview (mardi 5 août 2014) au journal arabophone « le Maghreb » , Ahmed Mestiri affirme qu’il est en train de perdre son optimisme face à la situation qui prévaut en Tunisie et dans la région. Il voit que ces développements constituent non seulement une menace pour la révolution mais sont porteurs du risque de rayer la Tunisie en tant que République et Etat indépendant de la carte de la région. A l’opposé, il ne voit qu’une classe politique insouciante qui ne s’intéresse qu’aux élections, alors que l’essentiel aujourd’hui, à son avis, est de préserver la Tunisie comme Etat indépendant qui a ses spécificités, son histoire et une identité propre aux racines lointaines qui a donné, à travers les siècles, naissance à d’illustres dirigeants et diffusé ses valeurs, des siècles durant.

Evidemment, Ahmed Mestiri a démenti, comme l’avait fait Mohamed Bennour, le porte-parole d’Ettakattol auparavant, tout lien de sa part avec sa candidature annoncée par le MDS aux présidentielles, laissant la porte ouverte à une candidature qui émanerait d’une formation politique plus importante. D’ailleurs, le diagnostic proposé (dangers sur le pays et insouciance de la classe politique) laisse entendre qu’il se réserve un créneau pour une éventuelle candidature, tout comme les réponses évasives au journaliste du « Maghreb » sur son éventuelle candidature aux présidentielles.

Cependant, à le voir de près, ce diagnostic n’est pas nouveau. On avait entendu Mestiri relever que la situation est critique. La première fois, c’était au lendemain de l’attaque de l’ambassade américaine en septembre 2012. Il a lancé un cri de détresse, le 16 octobre 2012, aux assises du Dialogue national, initié, à l’époque, par l’UGTT: »je suffoque mais ma langue reste bloquée « . Quelques jours plus tard , il a exprimé sur la chaîne Russya Al Yaoum , le 28 octobre 2012, ses craintes de la recrudescence du salafisme dans le pays , accusant de manière à peine voilée Rached Ghannouchi de duplicité et de machiavélisme, en assurant : « quand Rached Ghannouchi m’a rendu visite, je lui ai dit des choses essentielles: le double langage, l’ambiguïté et les tergiversations , lorsqu’il s’agit de prendre une bonne décision et au bon moment, pourraient porter préjudice à tout le monde, à la Tunisie dans son ensemble, à la pérennité de la révolution, et même au parti majoritaire « , ajoutant à l’adresse de son hôte (Ghannouchi ) que l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis Tunis (septembre 2012) pouvait être évitée. Il conclut en mettant en garde son interlocuteur contre le danger du maintien de rapports équivoques avec les salafistes.

Une année plus tard, pourtant, Ennahdha s’acharne à l’imposer comme chef du gouvernement, lors du Dialogue national, ce qui laisse penser que les avertissements d’Ahmed Mestiri des dangers qui guettent la Tunisie ne sont pas suivis d’un changement d’alliance de sa part pour s’éloigner de ceux qui sont derrière cette situation. Et lui, qui paraissait surpris par l’évolution de la situation vers le pire, n’a jamais remis en question les éléments de sa pensée et le cadre de son analyse qui l’ont poussé vers ces alliances, ni jamais exprimé la volonté de les revoir.

Ce rapprochement a sa plateforme. Les deux parties (Ahmed Mestiri et les islamistes) rejettent les acquis de la Tunisie. Ahmed Mestiri n’a été associé à aucun d’entre eux réalisé depuis 1971, et il était témoin d’un pays qui ne cessait d’avancer et d’aligner les performances même si elles sont incomplètes et imparfaites du fait du climat antidémocratique ambiant. Ces avancées étaient notoires au regard des moyens limités du pays. Cette vérité première a échappé à Mestiri et il a l’air de regretter de ne pas l’avoir découverte auparavant, et d’en vouloir, en même temps, à ceux qui étaient associés à la vie publique depuis son départ du gouvernement, même s’ils n’ont pas trempé dans la corruption et la répression. De l’autre côté, le parti islamiste puise sa vision négative des acquis de la Tunisie dans un tout autre registre, partant du fait que tout ce qui a été réalisé en Tunisie depuis l’Indépendance était bâti sur des choix qui ont occidentalisé le pays et perverti la société .

Lorsqu’il a instauré la troïka, bien avant les élections du 23 octobre 2011, Ahmed Mestiri avait pour objectif de barrer la route à un retour à l’ordre établi. Il a été de tous les combats qui ont abouti à mettre en marche le processus de la Constituante, avec Ennahdha, le CPR et l’extrême gauche. Et même lorsqu’il a donné l’impression qu’il s’est éloigné des islamistes, fin 2012, il n’en gardait pas moins des liens à tout le moins solides. Ce positionnement s’inscrit dans la logique qui a mené cet ancien destourien, bâtisseur de l’Etat moderne et plusieurs fois ministre sous Bourguiba à quitter son giron originel.

Cette rupture s’est faite en deux temps. D‘abord, après le 1er Congrès de Monastir en 1971 où il était majoritaire mais il a été rejeté lui, son équipe et son programme politique qui prônait une ouverture démocratique au sein du parti unique, le PSD, pouvant conduire un jour à un pluralisme irréversible. Ensuite, lors des élections législatives de 19981, au cours desquelles il a fait une percée dans plusieurs circonscriptions, mais la fraude était tellement évidente qu’il a lancé à l’époque son « j’accuse » pour se détourner définitivement de toute illusion de changer le système de l’intérieur. Il s’oriente vers les islamistes qui voient en lui un leader à avoir de leur côté.

En fait, Ahmed Mestiri qui a été exclu du PSD en janvier 1972, a constitué d’abord un courant puis en 1978 un parti, le Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS). Durant presque 10 ans, il fait valoir sa thèse que le pays ne plus être gouverné comme aux premières années de l’Indépendance. Et sa stratégie était de convaincre Bourguiba qu’un autre mode de gestion du pays était à l’ordre du jour, et qu’il en est le mentor.

A cette date, il avait devant lui deux possibilités : créer un parti de masse ou un simple groupe de pression ; il optera pour la seconde alternative en utilisant tour à tour les mouvements de contestation de la jeunesse, le mouvement étudiant de février 1972 et la radicalisation de la gauche marxiste ( surtout Perspectives Al Amel Tounsi ) dans les années 1973-1975, et à partir de 1976, il change son fusil d’épaule en misant sur le courant indépendantiste au sein de l’UGTT. En 1980, lors des évènements de Gafsa, il les exploite en esquissant un rapprochement avec l’establishment en s’alignant cette fois sur son ennemi juré Hédi Nouira.

Mais sa déception après la falsification des élections de 1981 l’éloigne de la stratégie de faire changer le système de l’intérieur en convainquant Bourguiba ou en utilisant les élections. Et à partir de cette date, il s’éloigne de l’establishment et se rapproche des islamistes, pour ne plus s’en dissocier.

Ahmed Mestiri, véritable libéral et patriote sincère, a fait des choix stratégiques controversés aux yeux des observateurs. Il s‘est, d’abord, dissocié assez tôt de son parti le PSD, avant d’épuiser toutes les possibilités de changement qui s’y présentaient. Ensuite, il a choisi de ne pas créer un parti de masse pour contrebalancer l’ordre établi, préférant se prêter de l’extérieur au jeu des clans au sein du pouvoir qu’il a quitté sans vraiment le faire. Enfin, il a misé sur la mouvance islamiste avec laquelle il ne partage rien qui puisse être fondamental, nourrissant l’illusion de s’en servir pour consommer la rupture la plus radicale avec l’ancien régime. Mais il s’est trouvé enfermé dans la logique de dénoncer les excès des islamistes sans pouvoir rompre avec eux.

Aboussaoud Hmidi

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