AccueilChiffreTunis : Les habits neufs de Moncef Marzouki

Tunis : Les habits neufs de Moncef Marzouki

Les propos du président de la République Mohamed Moncef Marzouki, tenus , jeudi, au palais de Carthage , ont surpris les observateurs. Il a exprimé son engagement à rapprocher les points de vue des différents partis politiques pour aboutir à un consensus. « Le consensus serait la meilleure solution, et il est temps de trouver en toute urgence une solution à la crise actuelle concernant la date de la tenue des prochaines échéances », a-t-il affirmé devant des experts et des sommités scientifiques, lors de la deuxième conférence pour la création d’un tribunal constitutionnel international.

La surprise des observateurs vient du fait que Marzouki ne s’est pas dépensé dans ce sens, depuis son retour au pays le 18 janvier 2011, et surtout depuis son accès à la magistrature suprême, le 12 décembre 2011, ne faisant montre ni de modération et d’application dans la recherche de solutions médianes et de compromis. D’autant moins que son parti a boycotté toutes les initiatives du dialogue national (sauf une), et ses collaborateurs sont allés même jusqu’à tourner en dérision toutes les propositions qui devraient aplanir les divergences.

Son discours à la Kasbah 3, quelques mois avant le scrutin du 23 octobre 2011, sa campagne électorale, ses interventions, ses promesses aux jeunes et aux citoyens des régions intérieures sont allés dans le même sens: s’en prendre à ce qui a trait à l’avant-14 janvier 2011, élargir le champ des cibles et des ennemis et promettre l’Eldorado après la prise du pouvoir. Cette stratégie de communication pouvait paraître payante pour une place sur l’échiquier politique et consacrer son statut de « révolutionnaire authentique et radical », mais guère accommodante dès lors qu’on est le locataire du palais de Carthage. Les citoyens de Sidi Bouzid se rappellent de lui lorsqu’il est revenu les voir les mains vides un certain 17 décembre 2012, après leur avoir promis, l’année d’avant, à son retour, des projets de développement à forte capacité d’emploi.

La direction de son parti le Congrès Pour la République (CPR), ses proches collaborateurs à la présidence et le groupe parlementaire du CPR à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) ont, régulièrement, tenu un discours et annoncé des positions qui dénotent qu’ils sont habités par ce qui est convenu d’appeler l’esprit CPR.

Et les Tunisiens ont fini par découvrir que le CPR n’est pas un parti mais un état d’esprit qui colle aux êtres humains sans jamais les quitter. Ceux qui ont passé un simple week-end dans le parti de Moncef Marzouki ne s’en relèveront jamais, et il arrive même de trouver, peut-être par contagion, des Cpéristes dans plusieurs autres partis bien qu’ils n’y aient jamais appartenu organiquement.

L’esprit CPR a sa date de péremption, comme tout consommable, mais sa durée de validité s’est prolongée, au désavantage du pays, plus longtemps que prévu. Les Tunisiens ont découvert ce mode de penser et d’agir, au 14 janvier 2011. Seulement, ce modus operandi a pris brutalement fin à l’été 2013 lorsque le grand tournant politique a été négocié vers le réalisme et la rationalité.

Déjà, ses deux partenaires de la troïka s’orientent, depuis des mois, vers des alliances avec des partis du Centre, mais lui reste coincé dans son dernier carré passéiste et otage de sa vision hostile à toutes les formations politiques.

Cet état d’esprit a son histoire. Les dirigeants du CPR ont pris fait et cause pour les Ligues de la Protection de la Révolution (LPR). Le président de la République a déroulé le tapis rouge à leurs symboles. Un ancien Secrétaire général du parti a été remarqué dans leurs démonstrations de force à la banlieue Nord de la Capitale, haranguant leurs adeptes (bases, aurait-il dit) pour qu’ils ne plient pas devant la pression de l’opinion publique et aillent jusqu’au bout de leur besogne. Un autre dirigeant de ce parti qui cumule une fonction dans le cabinet présidentiel se réunit, sans vergogne, avec la section de Tataouine des LPR, après la mort tragique de Lotfi Naguedh.

Lorsque les difficultés ont commencé à surgir devant la troïka à partir de février 2012, le CPR propose une analyse étonnamment simpliste de la situation postrévolutionnaire. Et c’est le Président Marzouki lui-même qui s’en est fait l’écho, le 16 mars 2012, à Sfax. Le financement du développement existe, et en face, les attentes des citoyens et de la jeunesse des régions intérieures sont de plus en plus ardentes, mais, entre les deux, il y a les forces de l’ancien régime qui gangrènent l’Administration régionale et centrale , empêchant toute exécution des projets de développement . Marzouki avait à l’époque illustré son idée par une image : c’est comme s’il s’agissait d’un tuyau d’irrigation qui bloquait l’eau de passer du puits au champ. Il est vrai qu’à l’époque les dirigeants d’Ennahdha avaient commencé à parler de conspiration fomentée par les laïcs, quelques chancelleries étrangères, les anciens du RCD et l’argent sale des hommes d’affaires ,  » Rjel Laâmayel « selon l’expression utilisée conjointement par Hamadi Jébali et Hamma Hammami.

Le CPR qui éclate en mille morceaux, apparaît, à mesure que les choses se compliquent pour la troïka, comme le premier candidat au sacrifice sur l’autel de la coalition. Et pour répondre aux intentions malveillantes de son principal allié, il remplace la stratégie des enchères par celle des convulsions politiques. Et comme l’exige la logique de la hiérarchie, c’est Mohamed Abbou qui ouvre le bal en présentant une démission fracassante, après avoir accusé Ennahdha de manquer de sincérité dans la lutte contre la corruption et la redevabilité des hommes de l’ancien régime. Puis, c’est Marzouki qui entre en lice, lorsque l’affaire de l’extradition de Baghdadi Mahmoudi est dévoilée, en juin 2012 , et dans la fameuse lettre qu’il adresse aux congressistes de son parti en août 2012 , dans laquelle il fait un parallèle entre Ennahdha et le RCD dans leur hégémonie et le maintien de l’osmose parti-Etat .

Jusque-là c’est une lutte entre membres de la troïka, et l’opinion et les forces démocratiques assistaient à ce combat en spectateurs. Mais on a vite fait d’être témoin d’une campagne où le CPR veut renverser les règles du jeu, impliquant l’opinion publique directement. Le livre noir, les attaques contre les hommes de gauche et l’alignement sur l’axe qatari dans les luttes interarabes.

Constatant sa marginalisation et son isolement par rapport à l’opinion publique , et ne voulant pas laisser passer l’occasion de se représenter aux prochaines élections présidentielles, Marzouki veut apparaître sous d’autres dehors : modéré , conciliateur et bienveillant envers les démunis et les familles des blessés et des martyrs de la révolution . Mais parviendra-t-il à faire une révolution culturelle au sein d’un parti qui n’en est plus un et d’un cabinet présidentiel qui s’effiloche ? De toutes les façons, la prestation de Marzouki dans l’émission « Liman Yajraou faqat » de dimanche 8 juin, et sa conversion en modéré suffiront-elles à changer l’idée que l’opinion publique se fait de lui et de son équipe.

Cet enjeu d’essence politique, placera Marzouki devant un double défi. Sera-t-il admis dans le cercle des forces du Centre après les avoir malmenées et même dénigrées ? Surtout, sera-t-il traité en simple opportuniste qui a voulu se rattraper pour confisquer à son bénéfice le patrimoine des forces du Centre, en l’occurrence leur savoir-faire , leur sagesse et un patriotisme que Marzouki n’est nullement en état de revendiquer, n’ayant jamais porté ses symboles dans son cœur .

Aboussaoud Hmidi

- Publicité-

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Réseaux Sociaux

108,654FansJ'aime
480,852SuiveursSuivre
5,135SuiveursSuivre
624AbonnésS'abonner
- Publicité -