AccueilLa UNETunis : Les magistrats ou la tentation de la toute-puissance!

Tunis : Les magistrats ou la tentation de la toute-puissance!

Des nombreux articles de la Constitution déjà adoptées, il y a quelques uns qui continuent de faire des vagues, d’aucuns estimant qu’elles l’ont été par un coup de force et sous l’effet d’un lobbying comminatoire. C’est le cas de certaines dispositions relatives au pouvoir judiciaire dont la discussion et le vote ont été effectués sur fond de pressions, du reste légitimes, qui ont abouti à des résultats qui satisfont globalement les demandes des instances représentatives des magistrats.

C’est de bonne guerre, devrait-on trouver, les règles de la démocratie ne reconnaissent-elles pas au citoyen le droit d’exprimer ses opinions, ne serait-ce que pour éclairer la lanterne de ceux qui ont vocation à édicter les lois et surtout la suprême d’entre elles, nommément la Constitution ou la Loi fondamentale. C’est encore plus vrai pour les magistrats dont la spécificité de la profession dicte que l’on tienne compte, avec toute la diligence requise, de la philosophie qui préside à l’administration de la justice et surtout de son indépendance vis-à-vis des deux autres pouvoirs que sont le législatif et l’exécutif, sans pour autant lui accorder les attributs d’un fief qui échappe à tout contrôle. Certes, le juge n’a d’allégeance qu’à la loi, et c’est un principe intangible, mais il est difficile de voir un magistrat officier dans la posture de juge et partie, s’agissant, faut-il le préciser, du volet organisation de la justice, étant établi, à ce propos, que le fonctionnement de la justice est du ressort exclusif de la magistrature. Cette dichotomie a valeur de principe fondamental dans les systèmes judiciaires, notamment dans les pays démocratiques, et personne n’y oserait la contester ni la remettre en question.

Si le problème vaut d’être posé, c’est uniquement au regard du très controversé article 103 de la Constitution où il est stipulé que « Les juges sont nommés par ordre du président de la République sur avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. La nomination aux hautes fonctions judiciaires se fait par ordre présidentiel après consultation du chef du gouvernement et sur la base d’une liste exclusive fournie par le Conseil Supérieur de la Magistrature. La loi détermine les hautes fonctions judiciaires ». Le grief que l’on peut formuler à l’égard de cette disposition tient essentiellement au fait qu’il mentionne les juges sans faire la distinction entre les magistrats du parquet, autrement dit la justice debout et le magistrat du siège. D’aucuns y ont vu un mélange des genres qui consacre une « exception tunisienne », alors que partout dans les démocraties occidentales, qui sont une source essentielle pour le Droit tunisien, les choses ne sont pas comprises sous cet angle. Par exemple, dans le système judiciaire français, il est stipulé expressément que « les magistrats du parquet sont nommés par le Président de la République, à charge pour le Conseil supérieur de la magistrature d’émettre un avis sur la nomination des magistrats du parquet, mais le garde des sceaux peut passer outre. Plus encore, les procureurs généraux sont nommés en conseil des ministres sans l’avis du conseil supérieur de la magistrature. Certes, le Conseil supérieur de la magistrature exerce un pouvoir de contrôle et de proposition pour les nominations des magistrats du siège, mais s’agissant des nominations des magistrats du parquet et de ceux de l’administration centrale, le Conseil Supérieur de la Magistrature formule de simples avis, et non un avis conforme.

Aux Etats-Unis, les membres de la Cour suprême sont nommés à vie par le président des États-Unis et après approbation par le Sénat. C’est le cas aussi des juges des cours d’appel et des cours de district. En Grande-Bretagne, le Lord Chancelier – ministre de la Justice – (Lord Chancellor), membre du gouvernement, est personnellement chargé de la nomination ou de donner son avis sur la nomination de l’ensemble des membres de la magistrature professionnelle en Angleterre, au Pays de Galles et en Irlande du Nord (ainsi que sur celle de certains titulaires de postes des tribunaux qui exercent leurs fonctions en Ecosse). Les nominations aux postes les plus élevés sont effectuées par la Reine sur recommandation du Premier ministre, bien qu’en l’occurrence également le Premier ministre demande l’avis du Lord Chancelier.

Voilà trois exemples qui donnent une idée sur les mécanismes des nominations des magistrats, et la justice ne s’en porte que mieux. Sans doute, les traditions judiciaires dans ces pays y sont pour beaucoup de même que le primat absolu de l’Etat de droit, mais on a rarement vu le corps de la magistrature y trouver quelque chose à redire, et pas davantage les justiciables et le barreau.

Il est vrai que la Tunisie, au sortir d’une révolution, est en droit de regarder les choses autrement, traumatisée qu’elle est par toutes sortes de dérives et d’absence de gouvernance dont certains juges se sont rendus coupables depuis l’Indépendance, et encore davantage sous le régime déchu. Certes aussi, le ministre de la Justice avait l’habitude de prendre ses aises vis-à-vis de toutes les règles de droit, ce qui se traduisait par des injustices inouïes, mais, en toute rigueur juridique, ceci ne plaide pas totalement pour l’instauration de mécanismes où les juges ne rendraient compte qu’à eux-mêmes et ne feraient face à aucun contrepoids. D’autant moins que les deux autres pouvoirs, législatif et exécutif sont régis, sur ce registre, par deux mécanismes qui se nomment, motion de censure et droit de dissolution, qui dépossèdent l’un et l’autre de tout attribut de toute-puissance.

Mohamed Lahmar

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