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Tunis :«Pas de reprise en 2015 tant que les réformes ne sont pas engagées»

Radhi Meddeb, expert en économie a accordé à Africanmanager une interview exclusive dans laquelle il a indiqué que l’année 2015 ne peut pas nous réserver une véritable reprise, expliquant que l’inertie du système fait que les problèmes d’aujourd’hui nécessiteront dix ans de labeur et d’acharnement pour se résorber.

Il a indiqué, en outre, que l’emprunt national est d’abord une goutte d’eau dans l’océan des besoins de financement de l’Etat.

L’expert a souligné que l’endettement extérieur de la Tunisie a beaucoup augmenté depuis trois ans et demi, passant de moins de 40% du PIB à près de 50%. Interview :

Comment jugez-vous la situation économique et financière actuelle du pays ?

La situation économique et financière de la Tunisie s’est beaucoup dégradée depuis janvier 2011. D’un pays, beaucoup trop soucieux de ses grands équilibres macroéconomiques au détriment de l’emploi, de l’équilibre régional et de la solidarité nationale, la Tunisie a privilégié, depuis la Révolution, la consommation à l’investissement, l’endettement à l’épargne, les traitements sociaux aux réformes économiques et, plus généralement, le laxisme à la rigueur et à l’effort. Le résultat était dès lors prévisible: une forte dégradation de la situation économique et financière. La crise politique du second semestre 2013 s’y ajoutant, il était devenu urgent de mettre fin à tous ces errements. Il en est résulté le gouvernement des technocrates et l’immense espoir qui l’a accompagné. Malheureusement, très peu a été fait depuis et le navire a continué à voguer, livré à lui-même. Personne ne veut entendre parler de réformes. Les intérêts catégoriels priment l’intérêt général. Les partis politiques rivalisent de populisme et de démagogie. Jamais, de l’histoire de la Tunisie indépendante, la crise économique et financière n’aura été aussi profonde dans un climat politique et sécuritaire aussi délétère.

Peut-on parler d’une reprise en 2015 ?

Malheureusement, 2015 ne peut pas nous réserver une véritable reprise. D’abord parce que l’inertie du système fait que les problèmes d’aujourd’hui nécessiteront dix ans de labeur et d’acharnement pour se résorber, et ensuite, tant que nous n’aurons pas engagé les réformes économiques et sociales multiples et variées dont le pays a besoin, nous ne pouvons pas espérer une véritable sortie de crise. Par les recrutements démagogiques des années de gestion des affaires publiques par la Troïka, par les augmentations salariales complètement déconnectées de la productivité, par le blocage du secteur des phosphates et de ses dérivés, par le naufrage de notre secteur bancaire plombé par ses mauvaises créances, par l’agonie lancinante de notre secteur touristique plombé par une situation environnementale dégradée, une communication décalée et l’absence d’action concrète, par l’explosion de l’économie informelle, de la contrebande et des trafics en tous genres et des coups de boutoirs que tout cela assène à l’Etat, nous sommes passés de la crise d’un modèle de développement à une crise des finances publiques profonde et durable.

Quel taux de croissance doit réaliser la Tunisie en 2014 pour assurer les équilibres financiers ?

Plus de la moitié utile de l’année est déjà derrière nous. Notre taux de croissance aura été particulièrement faible, inférieur à 2,5% en rythme annuel. La situation politique, sécuritaire, sociale et économique laisse penser que nous ne réaliserons pas plus de 3% sur l’ensemble de l’année dans le meilleur des cas. Ce sera largement insuffisant. Cela augmentera notre stock de chômeurs de quelques 40 à 50.000 demandeurs d’emplois supplémentaires. Cela réduira les recettes fiscales de l’Etat et approfondira le déficit budgétaire. Cela tirera encore plus haut la dette publique. Encore une fois, le maître mot est la réforme. Il n’y aura pas de croissance forte tant que nous ne nous déciderons pas à lever les contraintes du modèle hérité: faire sauter les verrous des rentes et des privilèges, privilégier l’investissement à la consommation, libérer les énergies, diminuer les coûts d’accès au marché, réduire le poids de l’administration et créer un environnement propice à l’initiative privée, restaurer les valeurs du travail et de la performance, identifier les modalités d’une plus grande inclusion économique et veiller à plus de justice sociale, bref, redonner de l’espoir à tous les Tunisiens et plus particulièrement à nos jeunes.

– Dans quelle mesure peut-on dire que l’emprunt national va résoudre la crise en Tunisie ?

L’emprunt national est d’abord une goutte d’eau dans l’océan des besoins de financement de l’Etat. Annoncé à 500 millions de dinars, cela représente à peine 3,8% des besoins identifiés de 2014. Probablement, clôturé autour d’un milliard de dinars, cela n’excédera pas 8% des besoins. En aucun cas, l’emprunt ne peut constituer une modalité de sortie de la crise. Il y a un principe en finance qui dit que les ressources sont fongibles, ce qui veut dire que le montant collecté par l’emprunt contribuera à couvrir quelque peu le déficit du budget et celui de la trésorerie de l’Etat. Mais celui-ci aurait gagné d’un point de vue psychologique à annoncer l’affectation des fonds collectés à des projets précis de développement régional et de modernisation des infrastructures qui auraient pu parler à chacun d’entre nous. Cela aurait mobilisé l’ensemble des Tunisiens et chacun aurait trouvé une raison de contribuer à une Tunisie meilleure et non à combler le déficit budgétaire légué par certains.

– Selon vous, cet emprunt n’a-t-il pas d’effets sur l’épargne nationale et les liquidités des banques ?

En Tunisie, aujourd’hui, beaucoup d’argent échappe au secteur formel et au circuit bancaire. L’épargne nationale s’est effondrée depuis janvier 2011, entraînant dans son sillage l’investissement et les banques. Cet argent gris alimente l’économie informelle et la contrebande. L’emprunt n’aura rien changé à cet état de fait. Nous aurions pu, moyennant une amnistie fiscale assortie d’une pénalité raisonnable, favoriser le retour d’une partie de cet argent gris, sinon noir, dans les circuits formels. Il faut reconnaître que l’essentiel de l’emprunt aura été souscrit par les banques à un moment où celles-ci souffrent d’une crise profonde de liquidité et qu’elles sont secourues quotidiennement par la Banque Centrale à des niveaux excessifs. D’ailleurs, on peut relever que le niveau d’intervention de la Banque Centrale est passé en l’espace de quelques semaines de 5 à 5,6 milliards de dinars au même moment de la souscription des banques et que cette augmentation correspond à peu de choses près à cette même souscription des banques. Il est donc probable que la participation du secteur bancaire à l’emprunt ait été totalement financée par la BCT, par de la création monétaire! Cela ne va favoriser ni la maîtrise de l’inflation ni la relance de l’investissement car le financement de l’Etat par les banques génère nécessairement un effet d’éviction au détriment de l’économie productive.

– Comment voyez-vous la situation de l’endettement en Tunisie ?

L’endettement extérieur de la Tunisie a beaucoup augmenté depuis trois ans et demi, passant de moins de 40% du PIB à près de 50%. Il faut d’abord rappeler qu’il reste à des niveaux globalement maîtrisables. N’oublions pas, par exemple, que la dette grecque, malgré ses multiples réaménagements, culmine encore aujourd’hui à 175% du PIB. Deux évolutions récentes de la dette sont toutefois inquiétantes. D’abord, son utilisation: on s’endette pour équilibrer le budget de l’Etat et pour payer des dépenses de fonctionnement qui ne créent pas de richesses et qui ne génèrent pas de valeur et on laisse la charge du remboursement à ceux qui viendront après. Ensuite, la maturité de cette dette: elle s’est considérablement raccourcie par rapport à son historique. Le résultat de tout cela est que si nous ne renouons pas avec une croissance forte dès 2015, nous n’échapperons ni au rééchelonnement de notre dette ni aux fourches caudines du Club de Paris et de ses exigences sans états d’âme. Mais malheureusement, en l’absence de grandes réformes structurelles, le chemin de la croissance forte est hypothétique sinon impossible faisant de celui du rééchelonnement une chronique presque annoncée. Mais, même là, l’anticipation s’impose pour éviter de se retrouver démunis dans la gueule du loup.

Certains pensent que la conjoncture et les déséquilibres financiers dépassent la Banque centrale puisque cela touche les fondamentaux économiques du pays qui deviennent très vulnérables aujourd’hui, qu’est ce que vous en pensez ?

Très clairement, la Banque Centrale intervient sur un nombre limité de variables. Sa marge de manœuvre en est d’autant plus réduite. Les déséquilibres financiers actuels et la mauvaise situation économique trouvent leur origine dans une gestion chaotique et populiste des affaires publiques mais aussi dans le climat d’instabilité politique et sécuritaire que vit le pays depuis plus de trois ans. La Banque Centrale a sa part dans les réformes à mener, notamment au niveau du secteur bancaire, mais l’essentiel relève de la responsabilité du gouvernement. Il est urgent que nous ayons un gouvernement appuyé par des forces politiques responsables et qu’il s’engage à prendre à bras le corps les problèmes économiques et financiers sans ménagements. Rien ne pourra être fait sans le soutien de l’ensemble des forces vives de la Nation, mais cela suppose clairvoyance, responsabilité, engagement, équité et justice sociale. Cela suppose aussi de la vision et de l’action et je reste persuadé que la Tunisie a du ressort et une grande capacité de rebond. Soyons ambitieux pour notre pays.

Khadija Taboubi

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