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Tunisie : De Ben Ali à Marzouki, du RCD à Ennahdha, l’étrange histoire du présent d’un pays où la roue tourne !

Aussitôt les deux pieds dans l’étrier du pouvoir, les trois nouveaux gouvernants de la Tunisie de l’après Ben Ali avaient lancé d’une voix unanime le slogan de la « rupture avec les pratiques du passé». A l’image de ce qui s’était passé en Tunisie, le slogan avait pris et plu.

16 mois après le départ précipité de Ben Ali, le passé n’est pourtant pas loin si loin que le fanfaronnait le slogan. Aux moins 7 points confirment ce bilan.

– Des Députés aux Constituants, mêmes pratiques et mêmes préoccupations.

Depuis la constitution de la première Chambre des Députés de la «nouvelle ère» de Ben Ali, cette institution avait cessé d’être l’Agora où s’exprimait la voix du peuple, pour devenir la caisse de résonance du parti unique. Du RCD, l’Assemblée Constituante est tombée entre les mains de la troïka qui y règne en maître absolu.

Avec le RCD, la Chambre des Députés, était une carte de visite et un faire-valoir pour les RDV chez les ministres, les passe-droits, les privilèges et les interventions, moyennant contrepartie ou pour le paraître. Avec la troïka, la Constituante devient le laissez-passer qui ouvre les portes de tous les plateaux TV, soit pour se refaire une virginité, soit pour prendre en marche la Révolution ou encore faire sa propre politique.

Elle est aussi le lieu où les Constituants se réunissent en secret pour demander d’être logés dans les hôtels au lieu d’une prime de logement de 900 DT, le lieu où l’on demande du travail pour soi et où l’on sollicite d’autres avantages.

Avec le RCD, les Députés étaient assidus, sous le coup d’une sanction financière en cas d’absence et votaient, à la majorité, tout ce qu’on leur présentait. Avec la troïka, les Constituants s’absentent par dizaines et s’ils sont là, ils lisent leurs journaux, répondent à leurs mails, regardent leurs pages FB et falsifient les votes, même électroniques.

Entre falsification des élections et falsification des votes, il n’y a qu’un petit pas. Il n’y a que les temps qui ont changé, mais la culture, les habitudes et les pratiques restent. Il faut dire que, d’un siècle à l’autre, seul Ben Ali était parti. Tous ceux qui n’avaient pas pu faire comme lui sont restés !

– Culte de la personnalité du Chef. Ben Ali-Ghannouchi.

Dès sa prise du pouvoir, Ben Ali avait fauché les têtes (médiatiquement parlant, de tous ceux qui pourraient lui faire de l’ombre. Le premier à se voir mettre de côté sera Habib Ammar, celui avait fait avec lui son 7 novembre. 23 ans durant, la bête politique qu’en avait fait le peuple, avait détruit tout ce qui pourrait ressembler à une intelligencia politique. Tirant ses propres pouvoirs du pouvoir du chef qu’il était, sa « Hachia » (cour) avait veillé 23 années durant à éteindre toute autre lumière et à effacer toute autre aura que celle de Ben Ali. Il était celui qui faisait l’actualité, celui qui décidait de tout, celui à qui on rendait grâce et le seul qui devait être vu. Au début de son règne, les ministres avaient droit à leurs activités à la TV, cela diminuera au fil des années. Ceux qui le faisaient devaient toujours le nommer, le prendre comme référence et les journalistes de la TV étaient grondés lorsque dans leurs images, il n’y avait pas le portrait du chef et gare à ceux qui lui couperaient la tête dans l’image !.

Avec Ennahdha au pouvoir, on ne compte plus le nombre de longues interviews de celui qu’on appelle désormais respectueusement le Cheikh comme l’érudit qu’on doit vénérer. Ses déplacements se font en cortèges, ses réunions avec ses disciples sont ponctuées de «Takbir». La nouvelle idole se fâche même que la Watanya l’ignore et que son journal TV du 20 heures ne mette pas aux devants de la scène médiatique, les activités de son gouvernement. Le processus de l’installation du culte de la personnalité du Chef est en bonne voie et prendra de l’ampleur.

– Parti unique à visage découvert, partis iniques à visage ouvert.

Avec Ben Ali, le RCD jouait à visage découvert, et même de manière effrontée, son rôle de parti-Etat. Ben Ali avait même un certain moment essayé de créer un autre parti, baptisé alors de la présidence, mais l’ancien PSD qui deviendra RCD, l’en empêchera de manière assez vigoureuse, disait-on alors.

Avec la «Nouvelle ère » nahdhaoui, le parti de la majorité joue, plutôt et jusqu’ici, l’effarouchée et n’arrête pas de clamer sa volonté d’ouverture. Ennahdha «se cache», c’est un secret de polichinelle, derrière le CPR pour faire passer les «mauvaises décisions» à la Constituante. Elle joue aussi au poker menteur, lorsqu’il s’agit d’annoncer une décision sous forme de ballon d’essai, avec toujours des «rectificateurs» sur les plateaux TV qu’il faut. Pour les deux, RCD & Ennahdha, c’est pourtant le même objectif : régner en maîtres absolus et parfois même en véritables marionnettistes, sur la scène politique tunisienne.

– RCD exclut Ennahdha, Ennahdha exclut le RCD.

N’ayant pas pu la domestiquer après avoir sauvé ses chefs de la potence, Ben Ali finit quand même par tester Ennahdha en la laissant s’essayer aux élections sous le porte-drapeau des Indépendants. Ayant fini par constater la puissance de sa mobilisation, dans les urnes, Ben Ali s’était résolu à exclure complètement le MTI (Mouvement de la Tendance Islamique) de l’échiquier politique.

Après avoir, un temps, secrètement courtisé les anciens du RCD qu’on appellera pudiquement les Destouriens, Ennahdha essaie de nouveau de les exclure de la scène politique. Cette fois, ce sera pour au moins 5 ans, si ce n’est plus. Pour exclure les Destouriens dont elle redoute aussi la force de mobilisation acquise par l’expérience des jeux et des enjeux électifs, elle n’y était pas allée directement, mais via la troïka et plus exactement le CPR, qui en fait partie. Ennahdha et les parties qu’elle a enfantés (Notamment le CPR qui compte plusieurs membres retournés [les mauvaises langues diraient introduits]) qui décriaient, de l’étranger, l’exclusion, avaient fini par recourir aux mêmes procédés pour faire place nette pour ses prochaines échéances électorales.

– L’obédience en lieu et place de la compétence.

Avec Ben Ali, les nominations politiques et administratives, obéissaient à la seule règle de l’obédience. Pour postuler à un portefeuille de ministre, il faut vouer un culte au Chef, ne jurer que par lui, avoir peur de sa puissance et le lui montrer et surtout exécuter sans discussion ses ordres et, si possible, lui rapporter tout ce que les autres feraient de mal ou diraient en mal de lui.

Pour aspirer à être PDG, il faut montrer patte blanche. Le sésame est la carte d’adhésion au parti du Président. Sinon, il faut faire acte d’obédience à l’un de ses proches qui vous couchera sur la liste de ses candidats pour les postes de responsabilité. Avec Ben Ali, il faut être appartenir à un parti, il faut avoir une étiquette. Soit c’est celle du RCD, soit d’un autre parti avec une prédisposition à retourner la veste.

Avec Ennahdha et son Gouvernement, les nominations des Gouverneurs, de certains PDG ont fini par démontrer à qui ne voulait pas le croire, que les mêmes procédés produisent les mêmes résultats.)

– Des ministres qui interviennent en tout et non-transparence.

Avec Ben Ali, le poste de ministre ouvre les portes de toute l’Administration et être PDG ouvre celles des ministères. Le rapport de l’ancienne Commission d’investigation sur les faits de corruption, suffirait à convaincre les moins convaincus. On croyait l’interventionnisme révolu avec l’ère Ben Ali que les Révoltés de Sidi Bouzid avaient fini par faire tomber. Certains anciens responsables passent même encore en justice pour être intervenus en faveur d’un bachelier. Le cas de Lamine Chakhari ministre dans le Gouvernement Nahdhaoui de Hamadi Jbali, en est la meilleure illustration. Il suffit de poser la question au ci-devant PDG de la société Cellulose de Kasserine. Pour le cas du ministre du Transport, il suffirait de poser la question au secrétaire général de l’UGTT.

Avec Ben Ali et pendant ses 23 ans de règne, personne ne savait rien des salaires de ses ministres, ni des avantages qui leur étaient accordés. Avec lui, le RCD et ses comptes étaient une véritable boîte noire que personne ne pouvait ouvrir au risque de se transformer en véritable boîte de Pandore pour lui et les siens.

Avec Ennahdha et le gouvernement où elle détient la majorité absolue, indirectement surtout, c’est un parti qui a les moyens, de gros moyens dont personne ne sait rien, surtout des sources. C’est aussi un Gouvernement où tout le monde parle, sans rien faire, lorsqu’il s’agit de faire état de ses biens et encore moins de les publier. On attend d’ailleurs toujours, la Nahdhaouie première vice-présidente de la Constituante qui avait promis de le faire pour démentir les ragots sur son salaire. Béji Caïed Essebssi avait fini par évoquer publiquement son salaire. Hamadi Jbali, pas encore. Tout comme le RCD et ses gouvernements, Ennahdha reste donc une véritable boîte noire.

– La famille en premier, l’intérêt de l’Etat après.

Avec Ben Ali, dont tout le monde y compris le peuple, dénonçait le sens aigu de la famille lorsqu’il s’agissait de postes ou des affaires, les exemples sont tellement nombreux qu’il nous faudrait des pages pour les citer.

Ennahdha commence par nommer le gendre du Chef du parti aux affaires étrangères. Les mauvaises langues diront que c’est aussi, en plus de ses compétences, pour le remercier pour des raisons strictement familiales. On passera sur les exemples du ministre de l’Agriculture et de son gendre ministre des Domaines de l’Etat. On passera aussi sur l’exemple de la fille du ministre Maatar qui a fini par démissionner de son poste de conseillère de la ministre de la Femme dont le frère est à la Constituante. On s’arrêtera sur le cas du fils du ministre Ben Salem qui décroche une télévision, même si elle n’est en phase d’essai en attendant de modifier les lois pour que l’accord devienne officiel dans une Tunisie où la télédiffusion reste encore un monopole d’Etat. Si tout cela ne procède pas du sens aigu de la famille qu’Ennahdha semble avoir hérité du RCD, cela y ressemble étrangement. Ce sens s’élargit, selon nos informations, depuis quelques temps, à la famille politique dont certains s’apprêteraient à reprendre quelques sociétés confisquées.

Après tous ces exemples qui ne laissent que très peu de doutes sur les connivences, culturelles, entre les deux partis qui ont ou règnent en Tunisie, force est donc de conclure que très peu de choses, si l’on y ajoute le chômage, le déséquilibre régional, la pauvreté et l’indigence, ont changé, depuis le 14 janvier 2011. On exclura pourtant la forte gestation sociale qui secoue désormais, de manière bénéfique pour certains et de manière dangereuse pour d’autres, la société tunisienne. D’abord, la profusion des partis politique. Cela devient beaucoup plus simple que de se gratter la tête. Ensuite, la liberté de parole qui nous permet d’écrire une telle analyse et qui fait désormais des TV de véritables Hyde Park. Et enfin, l’explosion des grèves et sit-ins (158 grèves et 12 sit-ins en seulement 4 mois pour cette année), dans une Tunisie qui n’en a connu que très rarement en 23 ans de Ben Ali. Vive la Révolution !

Khaled Boumiza

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