AccueilLa UNETunis : Suicide politique ou émergence, en césarienne, d’un homme d’Etat ?

Tunis : Suicide politique ou émergence, en césarienne, d’un homme d’Etat ?

Cela fait maintenant 5 jours, depuis l’assassinat politique de Chokri Belaid, que le chef du Gouvernement tunisien a annoncé son désir de constituer un nouveau gouvernement, apolitique et technocrate. Cela fait plus de 6 mois que toute la Tunisie attend ce remaniement comme la dernière tentative de dépolitiser l’action gouvernementale, pour ne laisser aux politiciens que l’obligation d’écrire la nouvelle constitution et d’aller vers les réelles élections.

Depuis l’annonce de Hammadi Jbali, le 6 février, alors que toute la Tunisie était plongée dans la stupeur du 1er meurtre politique de son histoire récente, la Troïka se déchire allègrement sur ce remaniement et la querelle des fauteuils se focalise entre le chef du Gouvernement, son parti Ennahdha et le CPR.

– Le coup de poker et la solitude de Jbali !

Nombreux sont ceux qui n’ont retenu de l’initiative de Hammadi Jbali que le remaniement. Il est certes la clé de voute de ce qui nous semble pourtant avoir été oublié dans cette déclaration du 6 février. En effet, croyons-nous comprendre, le gouvernement apolitique et de technocrates n’est pas une fin en soi. Il est manifestement conçu comme le moyen de sortir la majorité de l’ANC (Assemblée Nationale Constituante), du souci quotidien de la gestion du pays, pour pouvoir se focaliser sur la mission première de l’ANC qui est l’écriture de la Constitution et la décision finale sur la feuille de route pour les nouvelles élections. Plusieurs fois, en effet, l’ANC et les partis au pouvoir de la Troïka, se sont cachés derrière les soucis quotidiens de la gouvernance, pour expliquer les retards répétés dans la Constitution et la feuille de route. De son côté, l’opposition a toujours profité des bugs de ce gouvernement et son incapacité à gouverner, comme chaque Tunisien le voudrait, pour tacler l’action gouvernementale.

Cette annonce ressemble cependant, de plus en plus, à un coup de poker. Jbali a, en effet, fait exprès de ne prendre l’avis d’aucun, ni ses alliés, ni l’opposition. Jbali sait très bien, selon nous, qu’Ennahdha ne dira jamais oui pour une sortie du gouvernement, tant ce parti a tout fait pour essayer de phagocyter toutes les articulations du pouvoir pour en mettre le contrôle entre ses seules mains afin de pouvoir en contrôler les mouvements. Cela explique son intransigeance sur la question des ministères de souveraineté.

Jbali tient, depuis mercredi dernier, tête à ses alliés et durcit même chaque fois sa position, disant qu’il n’acceptera aucune pression dans ce qu’il considère comme une initiative de «salut national». Tout seul, le chef du Gouvernement tunisien se tourne vers les médias pour expliquer son initiative et essayer de trouver un soutien populaire à cette initiative et multiplie, pour ce faire, les interviews sur les chaînes TV, européennes (France 24) et arabes (Al Jazeera et Al Arabiya).

Tout seul à Diar Dhiafa où il semble vouloir éviter toute interférence pour ne pas dire plus, Hammadi Jbali essaierait, croyons-nous comprendre de ses dernières audiences diplomatiques, de baliser son initiative par un appui des partenaires européens.

Pour l’instant, l’initiative de Hammadi Jbali intrigue tout le monde politique en Tunisie. Aussi bien la Troïka que l’opposition, se trouvent désarmés. Pour l’opposition, la refuser, c’est faire acte de déni de ce qui est une demande nationale et montrer que l’opposition refuse ce qu’elle a toujours réclamé , c’est-à-dire, la dépolitisation du gouvernement transitoire, l’écriture rapide de la Constitution et le passage rapide aux élections. Cela, d’autant plus que Jbali a, cette fois, élargi sa consultation à propos du remaniement à presque tous les partis sauf Nida Tounes dont le président, Béji Caïed Essebssi, a mis la barre trop haute en demandant la dissolution pure et simple de l’ANC. Pour la Troïka, il s’agit bien sûr de la guerre des fauteuils gouvernementaux, outil indispensable pour le positionnement électoral et le contrôle, de l’intérieur, du processus de transition.

– Débouté, renvoyé ou accepté, Jbali est le seul gagnant du coup de poker.

Le plus médusé par cette initiative, c’est certainement Ennahdha qui ne sait toujours pas comment réagir. Après avoir, à différentes reprises, retardé la réunion de son Conseil de la Choura, Ennahdha finit par annoncer qu’il ne se réunira point et que sa réponse à Jbali sera écrite. Voudrait-elle donner, par cette décision, le droit de réponse à son seul président, d’autant plus que ce parti connait des dissensions intérieures ?

Ce qui est sûr, c’est qu’accepter la fronde du SG d’Ennahdha, en fera un héros auxs yeux des ennemis d’Ennahdha. La refuser aussi en fera un héros aux yeux de tous ceux, parmi les intellectuels et toute l’intelligencia du pays où il est soutenu, quoiqu’à demi-mot encore, par les laïcs.

Jbali est ainsi, à notre sens, gagnant sur tous les plans. Cela expliquerait, peut-être, son intransigeance face aux pressions de ses alliés et de son propre parti. Il l’est d’autant plus qu’il se dépouille lui-même de toute velléité politique et pousse même sa volonté de s’élever au dessus de tous, par annoncer qu’il démissionnera s’il échouait dans son coup de force. Son coup de poker, s’il échouait ou s’il réussissait, aura fini par creuser les premiers reliefs dans la stature de véritable homme d’Etat qu’il dessine, après un apprentissage difficile de deux années, des arcanes, les affres et la solitude du pouvoir. Son geste, à moins de vouloir aller droit devant le vide constitutionnel et prolonger les crises, politique, économique et sociale, mériterait, à notre sens et indépendamment de toute appartenance partisane, qu’on lui donne sa chance d’amener le pays vers ce que toute la Tunisie attend, la nouvelle Constitution et les élections dans les plus brefs délais, à l’ombre d’un gouvernement de véritable transition qui gère, techniquement et sans aucune initiative ou pression politique qui retarderait encore plus la fin d’une transition qui n’aura que trop duré et où le sang des Tunisiens, politiciens, policiers ou simples citoyens, a assez coulé.

Khaled Boumiza.

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