De larges franges de l’opinion publique ont fini par saisir le lien qui existe entre les développements en Tunisie et ce qui se passe dans le reste du monde arabe et musulman. Rached Ghannouchi l’a annoncé lui-même, dès le 4 février 2011, avant même que ne soient déclenchées les révolutions en Libye et à peine quelques jours après le début des évènements d°Egypte. Le peuple tunisien, disait-il, avait, en ces temps-là pour mission de propager la révolution dans la région pour venir à bout des dictatures comme il avait auparavant diffuse l’islam en Afrique et en Andalousie .
Y a-t-il, par exemple, un lien entre l’abdication de l’Emir du Qatar et le blocage de la situation en Syrie, ou encore avec la détérioration de la situation sécuritaire en Libye et ce qui se passe en Egypte et en Tunisie ?
L’aboutissement du plan d’islamisation de la région, largement appuyé par le monde anglo-saxon n’était pas heureux. La Libye n’a pas l’air de se stabiliser, l’Egypte est au bord de la guerre civile, l’isolement du parti au pouvoir en Tunisie n’est pas à démontrer. Enfin, la situation en Syrie devient de plus en plus coûteuse à l°islamisme politique sunnite qui a été obligé, dans une fuite en avant sans précédent, de changer son fusil d’épaule et de mettre cette entreprise dans un cadre confessionnel ébauchant une guerre de 100 ans entre sunnites et chiites .
Les menées latérales, transfert à grande échelle des armes à travers la région et surtout en Tunisie ainsi que l’installation du djihadisme dans le Sahel africain et surtout au Nord Mali, destinées a l’origine à gagner de petites guerres et marquer des points en attendant de terminer avec les fronts chauds et hautement stratégiques, ont abouti également à un fiasco .
Que reste-t- il de ce grand plan destiné à changer la région ? Presque rien, disent les observateurs, cette fois, unanimes. Evidemment, les peuples de la région souffrent et souffriront encore, parce que les initiateurs de cet échafaudage ne vont pas désarmer de sitôt. Ceux qui sont au devant de la scène, qui gouvernent en Tunisie, en Libye et en Egypte ne cèderont pas le pouvoir ou ne le partageront pas facilement. Ceux qui portent les armes en Syrie, au Nord Mali et ailleurs au Sahel africain,sont encore grisés par leurs victoires imaginaires, et sont toujours encouragés par les fatwas des Karadhaouis, choyés par les commodités du djihad mixte sur terre et bercés par les promesses des hours el-ain, au paradis dans l’au-delà . Ceux qui tirent les ficelles ne sont pas encore convaincus que leurs plans de dilettantes ont échoué et sont devenus obsolètes.
Les derniers sursauts des auteurs de ce plan vont s’accompagner de plus de douleurs, de misères pour les peuples et d°instabilité pour la région .Mais, les jeux paraissent définitivement faits .Nous en voulons pour preuve les menaces du président Mohammed Morsi contre les juges, aux gens des médias et à l’opposition, ainsi que les dernières décisions du congrès des amis de la Syrie tenu dernièrement à Doha, sous la houlette de Hamed Ben Jabr Al-Thani, quelques heures avant qu’il ne soit remplacé par le nouvel Emir, de réarmer encore et encore les djihadistes en Syrie, pour réactiver une guerre civile qui prend les allures d’une guerre confessionnelle entre Sunnisme et Chiisme au niveau de la région .
C’est dans ce contexte sombre et sans horizons que s°inscrit la passation du pouvoir au Qatar, pays qui a parrainé l’accession de l’islamisme dit modéré dans la région ,et la propagation du djihadisme en terre d°Islam et dans le monde .
La signification de l’évènement ne peut être saisie qu’à travers le décryptage des rapports entre les gouvernements des pays anglo-saxons qui ont initié ce grand projet d’islamisation de la région, l’islamisme politique et l’Emirat du Qatar. Les gouvernements anglo-saxons et de l’Occident en général sont guidés par une logique rationnelle qui tient compte des intérêts de leurs pays respectifs .Donc ils savent où s’arrêter, et il leur arrive, dans un rapport de force donné, de reconnaître les aspirations des peuples et avouer leurs erreurs et faux calculs.
L’islamisme, lui, est guidé par d’autres motivations : il veut instaurer des Etats islamistes et appliquer la Chariâa .Il a saisi les révolutions arabes comme une occasion providentielle pour appliquer son agenda partisan .Il impute tout échec de ses initiatives non pas à ses faux calculs, mais à la résistance des courants laïcs et aux interventions occidentales, essentiellement européennes et françaises, pour contrecarrer les aspirations des peuples de la région pour appliquer la Chariâa .La réponse est donc facile et il n’y a pas d’échec dû au refus des peuples de l’agenda de l’islamisme, mais des interventions extérieures contre la volonté de ces peuples . Donc, il ne faut pas s’attendre à ce que l°islamisme dit modéré reconnaisse ses erreurs ou revoie ses plans. Reste le Qatar tenaillé entre ces deux logiques. Il a payé partiellement ses choix par l’abdication de l’Emir au profit du prince héritier. Mais, parvient-il à se repositionner sans avoir à perdre encore quelques attributs de sa force et des dividendes de son énorme investissement dans le printemps arabe ?
Aboussaoud Hmidi