AccueilLa UNEL’extension du Canal de Suez: quelles leçons de politique économique?

L’extension du Canal de Suez: quelles leçons de politique économique?

L’Égypte vient de lancer en grande pompe l’extension du Canal de Suez. Ce grand projet l’aidera-t-elle à sortir de la « croissance molle » dans laquelle elle s’est enfoncée comme beaucoup de pays arabes depuis l’avènement des printemps arabes. Éléments de réflexion…

    C’est en grande pompe que l’Égypte a inauguré le 6 août dernier la nouvelle voie sur le Canal de Suez. Une cérémonie imposante avec la présence d’un grand nombre de dirigeants et de responsables politiques : le Président français François Hollande qui a fait spécialement le déplacement ainsi qu’un grand nombre de responsables africains comme le Premier ministre éthiopien dont le pays était en froid avec l’Égypte il y a quelques mois à cause de la construction du barrage sur le Nil. Cette cérémonie s’est prolongée dans la soirée avec le spectacle de l’opéra Aïda, commandé spécialement par le Khédive Ismaïl Pacha pour l’inauguration du Canal en 1869 mais qui n’avait pu être joué à cette époque.

Cet évènement a suscité un grand retour à l’histoire tellement le canal est intiment lié aux soubresauts historiques du monde et du Moyen Orient. L’importance stratégique du canal, comme voie de liaison entre l’Europe et l’Asie sans être obligé de contourner l’Afrique, en a fait immédiatement un enjeu essentiel dans les relations internationales. En effet, le scepticisme de départ a été rapidement balayé par le fait que ce canal prenait une place dans le commerce mondial pour en devenir une des plus importantes voies. C’est pour ce rôle majeur, dans les échanges mondiaux, que le Canal de Suez est devenu l’objet de toutes les convoitises. Ainsi, l’incapacité de l’Egypte en 1875 à payer la dette contractée pour le construire et la cessation de ses parts au Royaume-Uni ont été à l’origine d’une prise de contrôle des troupes de sa majesté des rives du Canal et remplacer ainsi l’empire ottoman pour protéger le passage de leurs navires vers les Indes. Mais, plus tard, la convention de Constantinople de 1888 va imposer la neutralité du Canal et assurer le principe de la libre circulation des bateaux par cette voie.

Ce n’est que le 26 juillet 1956 que l’Égypte reprendra le contrôle du canal suite à sa nationalisation par Nasser. Un évènement majeur dans l’histoire politique du monde arabe et constituera le premier acte majeur du nationalisme post-colonial. Cette décision sera à l’origine de l’attaque tripartite par la France, le Royaume-Uni et Israël. Mais, les Nations-Unies soutiendront l’Égypte et condamneront, dans une résolution, l’attaque du Canal. Plus tard, le Canal va connaître les soubresauts des conflits au Moyen-Orient et des guerres entre Israël et l’Égypte. Il sera fermé durant de longues années. Le 5 juin 1975 il est ré ouvert à la navigation internationale et reprend sa place stratégique dans le commerce mondial.

Ainsi, l’histoire du Canal est intimement liée à celle de l’Égypte et des conflits au Moyen-Orient. Il est aussi au cœur de l’histoire économique égyptienne, mais également celle du monde et particulièrement du commerce mondial. C’est cette histoire complexe et cette forte symbolique qui expliquent cette grande cérémonie et cette forte présence internationale à la cérémonie d’inauguration de cette nouvelle voie sur le Canal.

Cette extension a soulevé beaucoup de débats et des controverses qui sont allés au-delà des aspects techniques et économiques et ont touché les aspects politiques. Mais, il nous semble important de réfléchir aux questions de politique économique liées à cet important projet d’infrastructure.

La première concerne l’investissement. Il faut souligner que ce projet de près de 8 milliards d’euros a été totalement financé par une émission obligataire de l’État égyptien, totalement acquise par les personnes physiques ou les citoyens égyptiens. Des titres totalement achetés en deux semaines. Certes, le taux d’intérêt était relativement élevé, se situant autour de 12% et étant supérieur à l’inflation qui évoluait entre 9 et 10%. Mais, ceci n’explique pas seulement cet engouement. J’ai évoqué cette question avec des amis égyptiens qui expliquent cet engouement par la charge symbolique du Canal auprès des égyptiens mais également par le fait que cet emprunt obligataire était clairement destiné aux investissements et non aux dépenses courantes de l’État.

Le second aspect concerne l’impact futur de cette extension sur l’économie égyptienne. Les études effectuées ont montré que cet agrandissement doublera la capacité future du Canal passant de 50 bateaux actuellement à plus de 90 en 2023. Cette augmentation aura des effets importants sur les recettes de l’État en provenance du canal puisqu’elles passeront de 4,5 milliards d’euros aujourd’hui à 12 milliards en 2023. Il s’agit par conséquent d’une manne assez importante permettant une forte croissance des recettes internes et réduisant, certainement, son recours à l’endettement.

Enfin, le troisième point, plus important encore : le choix d’extension du canal est pertinent dans la lutte contre la croissance médiocre que connaît le monde aujourd’hui et que vivent aussi la plupart des pays arabes et particulièrement les pays en transition. Face à cette croissance médiocre deux choix de politique économique se présentent. Le premier est contra-cyclique, qui cherche, par le biais d’une relance des investissements publics et particulièrement dans le domaine des infrastructures, à s’opposer au trend du cycle de manière à le renverser pour retrouver une dynamique de croissance forte et rétablir la confiance. L’autre choix de politique est pro-cyclique qui s’inscrit dans la dynamique du cycle sans chercher à s’y opposer. Il s’agit d’un choix entre le courage, l’audace et la détermination d’un côté et la frilosité, la timidité et de la peur de l’autre. Les égyptiens, contrairement à beaucoup d’autre pays, ont fait le premier choix. L’histoire et la théorie économique leur donnent raison. D’autres ont choisi de se complaire dans le conformisme et risquent par conséquent de s’enfoncer encore plus dans la croissance médiocre.

Les moments de crise sont des moments singuliers dans l’histoire économique qui exigent des choix audacieux afin d’éviter l’enlisement. L’extension du Canal ainsi que les autres projets présentés par le gouvernement égyptien lors du Sommet de Sharm Echeikh de mars dernier sont des paris audacieux sur l’avenir. A nous de nous inscrire dans cette démarche et de définir nos projets structurants capables de relancer la croissance et de redonner confiance dans l’avenir.

Par Hakim Ben Hammouda

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2 Commentaires

  1. Avec un Habib Essid aux mains tremblantes et aux décisions hésitantes , on ne risque pas de vivre ce que nos frères et sœurs égyptiens et égyptiennes ont vécu.

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