L’UGTT est au cœur des problèmes économiques de la Tunisie, selon l’influent hebdomadaire britannique de référence à l’échelle mondiale « The Economist » qui lui consacre un article dressant le catalogue de ses contestations de la politique gouvernementale et de ses interventions dans maints domaines, notamment économiques et sociaux. Y figure en premier lieu son rôle dans les événements de Kamour, dans le gouvernorat de Tataouine dont le principal gazoduc du champ de Nawara a été fermé par de jeunes chômeurs qui demandaient à être embauchés par la compagnie exploitante. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la plus importante du pays, est intervenue en tant que médiateur. En juin, elle a annoncé un accord : l’Etat embaucherait 3 000 travailleurs supplémentaires de la région, rappelle le magazine. « L’accord-concession a mis fin aux protestations, mais c’était une mauvaise politique », estime-t-il faisant remarquer que « la compagnie pétrolière publique est déjà un gâchis inutile ». Au cours de la dernière décennie, sa production a en effet chuté de 29%, même si ses effectifs ont augmenté de 14%. En vertu de l’accord, le gouvernement a exhorté les entreprises pétrolières et gazières privées à embaucher 1 500 personnes, alors qu’elles n’avaient pas besoin de travailleurs. Même Nawara, un projet qui devrait augmenter la production annuelle de gaz de la Tunisie de 25% à partir de l’année prochaine, ne nécessite qu’environ 200 employés à plein temps.
L’autre épisode dans lequel l’UGTT a été active, celui de la « bureaucratie pléthorique qui est l’un des plus grands freins à la croissance ». Sous la pression de l’UGTT, indique The Economist, l’État a entamé une vague de recrutements après la révolution, embauchant des dizaines de milliers de gratte-papiers. Au point que 800 000 Tunisiens environ travaillent maintenant pour le gouvernement, sur un effectif de 4 millions. Les salaires publics représentent près de 14% du PIB, parmi les pourcentages les plus élevés au monde.
La privatisation, une « ligne rouge »
L’UGTT s’est battue contre les tentatives de réduire les dépenses du gouvernement. Elle a déclaré la privatisation une « ligne rouge ». Et cela paralyse souvent le pays avec des grèves et des mouvements de protestation. En effet, elle a appelé à des manifestations anti-gouvernementales en 2013. En 2016, La Poste a été fermée pendant des jours en protestation contre le traitement d’un seul travailleur. Les menaces d’un débrayage en décembre dernier ont forcé le gouvernement à abandonner les plans de gel des salaires dans le secteur public en 2017.
Et The Economiste d’ajouter : « Les syndicats sont particulièrement puissants dans l’arrière-pays de la Tunisie. Et cela a nui à la région, comme c’est le cas à Gafsa, le pôle de l’industrie du phosphate. La Tunisie était autrefois le cinquième plus grand exportateur de ce minerai. Plus de la moitié de la production du pays provenait d’une usine appartenant à l’État dans la ville. Après la révolution, les syndicats ont appelé à la grève et exigé plus d’emplois. Ainsi, l’usine a embauché 2 500 nouveaux travailleurs au cours des trois prochaines années, ce qui a fait grimper les effectifs de 51%. Mais les grèves se sont poursuivies et la production est passée de 8 millions de tonnes en 2010 à seulement 3,3 millions en 2013. Le secteur peine encore à s’en sortir ».
L’UGTT peut être pragmatique
Les dirigeants syndicaux soutiennent que, sans protestation, le gouvernement continuerait à négliger les régions de l’intérieur, à ses risques et périls. «Nous sommes devenus un exportateur de terrorisme», explique le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi de l’UGTT. Quelque 6 000 Tunisiens ont rejoint Daech, plus que tout autre pays. Beaucoup d’entre eux viennent des mêmes régions pauvres qui se sont soulevées contre Ben Ali, note l’hebdomadaire londonien.
En 2016, ajoute-t-il, le Fonds monétaire international a approuvé un prêt de 2,9 milliards de dollars sur quatre ans pour la Tunisie. Mais il a gelé la deuxième tranche en février après que le gouvernement a échoué à mettre en œuvre les réformes convenues, telles que la suppression de 10 000 emplois dans le secteur public. En lieu et place, le gouvernement travaille à une croissance économique de 4 à 5%, de sorte que les salaires publics n’atteignent que 12% du PIB d’ici 2020, selon le conseiller économique du chef du gouvernement, Lotfi Bensassi. C’est un taux élevé et irréaliste, estime le magazine qui cite la Banque mondiale laquelle pense que la croissance sera autour de 2% cette année.
Cependant, l’UGTT a montré qu’elle peut être pragmatique. L’un des plus gros problèmes budgétaires de la Tunisie est le système de retraite, qui croule sous un déficit de 1,1 milliard de dinars (440 millions de dollars), soit 65% de plus qu’il y a deux ans. Les gouvernements successifs ont proposé des réformes modestes, telles que le relèvement de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. Pendant des années, l’UGTT s’y est opposée. Mais en octobre, elle a reculé. « Quand ils en sont capables, ils poussent [à des solutions], explique Lotfi Bensassi. « Ils sont conscients des problèmes ». La Tunisie a besoin qu’ils le fassent plus souvent, conclut The Economist.