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Tunisie : Une loi de mauvais aloi. Deux pas en avant, un pas en arrière !

La société civile en Tunisie est célébrée comme le socle de la démocratie en ce sens que les associations opérant sous son étendard ont joué et jouent encore un rôle crucial dans la transition démocratique. Seulement, il est survenu un événement juridique dont on craint qu’il compromette cette vocation. C’est la loi n° 30 de 2018 adoptée par l’Assemblée des représentants du peuple le 27 juillet dernier. C’est une législation très préoccupante, estime l’influent magazine « Foreign Policy », basé à Washington, au motif qu’elle décrète un enregistrement national des institutions et des associations et exige que les entreprises publiques et privées, y compris les organisations de la société civile(OSC) s’y enregistrent. La loi est venue en réponse à une demande du Parlement européen ajoutant la Tunisie à sa liste de pays « à haut risque » en termes de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en février, une décision qui a nui aux efforts de reconstruction de l’économie tunisienne et que beaucoup de parlementaires européens ont critiquée comme étant indue.

Les défenseurs de l’inclusion des OSC dans la loi 30 soutiennent que certaines de ces organisations servent de frontispices pour les organisations terroristes et que l’ensemble du secteur doit donc être contrôlé de manière plus stricte. Mais plusieurs organisations de la société civile ont mis en garde contre son adoption, la déclarant inconstitutionnelle et soulignant que le décret 88, la loi sur les organisations non gouvernementales (ONG), réglementent déjà le secteur de la société civile et garantit la transparence recherchée.

Inclure les organisations de la société civile dans la loi 30 est non seulement inutile, mais durcit, d’une manière détournée, le contrôle de la société civile par le gouvernement et cela aura sans aucun doute un effet dissuasif sur la liberté d’association en Tunisie. Les OSC des droits de l’homme – traditionnellement les sous-groupes les plus vulnérables – seront parmi les plus touchées. Les lois visant à surveiller et à réglementer les activités de la société civile sont souvent des outils efficaces de répression par l’État, mais il est peu probable qu’elles aient un impact perceptible sur le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. En d’autres termes, les terroristes continueront probablement leur travail par des moyens extrajudiciaires ou informels, tandis que les OSC se verront imposer des formalités administratives et des tâches administratives supplémentaires – et c’est le meilleur scénario. Dans le pire des cas, la crainte de se soumettre à une surveillance gouvernementale stricte empêchera les organisations d’accomplir leur important travail.

Deux pas en avant, un pas en arrière

La Tunisie a fait des progrès remarquables ces dernières années dans la promotion des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes. La Tunisie a également progressé dans la lutte contre la discrimination raciale. Après des années de plaidoyer acharné de la part des OSC, le gouvernement élabore actuellement la première loi du monde arabe qui criminalise la discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’ascendance. Le projet de loi comprend également des mesures visant à lutter contre la discrimination raciale en s’y attaquant dans les domaines de l’éducation, de la culture et des médias.

La communauté internationale a un rôle important à jouer pour encourager la Tunisie une vaste marge pour une société civile ouverte et libre, affirme Foreign Policy. Les États-Unis ont été l’un des principaux partisans, à la fois rhétoriquement et financièrement, de la transition démocratique en Tunisie, allouant des centaines de millions de dollars en soutien à la société civile et au développement d’institutions gouvernementales efficaces. Mais lors de conversations avec des responsables tunisiens, il est clair que certains membres du gouvernement ne comprennent pas l’impact potentiel de la loi 30 ou de tout autre projet de loi sur les relations du pays avec la communauté internationale. Le Congrès des États-Unis a fait un pas positif dans cette direction en exigeant que le Département d’État fasse état de l’effet potentiel des modifications de la loi sur les ONG sur les intérêts américains, à partir de considérations pratiques telles que la limitation sévère du travail des organisations américaines dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Ce rapport devrait être rendu public pour alerter le gouvernement tunisien et la société civile sur les dommages que la modification de la loi pourrait causer à la relation américano-tunisienne.

Des préoccupations légitimes entachées de méfiance

Les préoccupations concernant le financement du terrorisme sont légitimes, reconnaît Foreign Policy, et la Tunisie est naturellement désireuse de gagner la confiance des investisseurs européens, des gouvernements et des touristes. Selon un rapport publié par le Projet sur les démocraties du Moyen-Orient, le décret 88 contient déjà les dispositions nécessaires pour lutter contre le financement du terrorisme. Plus précisément, il interdit aux ONG «d’inciter à la violence, à la haine, au fanatisme ou à la discrimination pour des motifs religieux, raciaux ou régionaux» et de «distribuer à leurs membres des avantages personnels ou l’exploitation de leur association à des fins d’évasion fiscale appelle à « la suspension ou la dissolution de toute ONG qui viole ces interdictions ». La lutte contre le terrorisme en Tunisie nécessite donc une meilleure application de la loi existante, et non une nouvelle loi ayant des conséquences potentiellement dévastatrices. La priorité accordée à la lutte contre le terrorisme a déjà eu un coût, et cette approche pourrait faire d’autres victimes, principalement les avancées en matière de droits de l’homme.

Le gouvernement tunisien devrait engager un dialogue sérieux avec la société civile et la communauté internationale sur les efforts visant à modifier la législation relative aux ONG. Le gouvernement et la société civile ont été des collaborateurs productifs au cours des phases précédentes de la transition, mais aujourd’hui, un climat de crainte et un manque de confiance croissant entravent leur coopération. Si l’objectif premier du gouvernement est vraiment d’accroître la transparence, il ne devrait pas poser de problème à la société civile. Toutefois, » l’instauration de la transparence de manière non transparente, sans l’adhésion du pilier le plus important de la démocratie tunisienne, risque de se retourner contre elle », prévient Foreign Policy.

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