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Ce que je crois : Un sacré président peut-être, mais jamais plus un président sacré

Il y a un peu plus de 10 ans encore, la presse tunisienne fabriquait ses propres dictateurs. Le chef de l’Etat était un personnage sacré. On ne le critiquait pas. On n’en parlait qu’en bien. On ne le contredisait pas. On le citait pour confirmer tout le bien qu’on pense de lui et de sa politique. On mettait en exergue sa clairvoyance, sa bonté, et tout le bien qu’il faisait pour la population. Et surtout on fustigeait tous ceux qui en diraient un mot «déplacé».

  • Quelques exemples de l’histoire contemporaine, à méditer

Beaucoup de fois pendant l’ère Ben Ali, des journalistes étaient chargés de répondre à des articles de presse étrangers, ou à des opposants en exil, sans citer leurs noms, ni même rappeler ce qu’ils auraient écrit. Les «articles-réponses», étaient publiés indoor, et on les traitait de tous les noms. Il y avait alors, comme désormais sur les réseaux sociaux, une certaine presse écrite spécialisée dans ces réponses à tous ceux qui «médiraient» du chef de l’Etat (Bourguiba ou Ben Ali) ou de sa politique.

Il y a quelques dizaines d’années, l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali avait, dans sa mansuétude, décidé d’amender le code de la presse. L’idée était d’alléger la disposition concernant l’accusation de diffamation, pour la limiter au chef de l’État puisse-t-elle pour autant être juste et corroborée par des preuves irréfutables. Devant la Chambre des députés d’alors, on opposa que tous les échelons de responsabilité et donc de responsables représentaient le chef de l’État. L’amendement fut alors abandonné.

Décryptage. Les responsables vivent du pouvoir de leur chef et l’utilisent pour se couvrir. Les attaquer revient à attaquer le chef de l’État dont ils tirent leur pouvoir pour régner à sa place, une fois dans le firmament de la sacralisation. Le rendre sacré, intouchable et non critiquable, c’est se sacraliser eux-mêmes, se rendre inattaquables et immunisés contre toute critique pour mieux régner. C’est ce que tentent de faire, depuis quelques semaines, les pro-Kais Saied. Le sacraliser, c’est aussi lui donner le pouvoir de régner, sans aucune opposition et sans aucune presse libre pour lui opposer toute autre logique et tous autres intérêts que les leurs.

  • Ils attaquent la presse et ne compteraient pas s’arrêter

Depuis quelques semaines, en effet, parler du nouveau chef d’État autrement que d’un homme plus blanc que blanc, un homme probe et tout le reste, devient mal vu, met mal à l’aise des bases et les pousse, dans un premier temps, à devenir verbalement agressifs. Ils franchiront prochainement le Rubicon et deviendront agressifs par l’acte.

Écrire sur la voiture qu’il a utilisée, le salaire qu’il perçoit ou la maison qu’il habite, est, avec cette nouvelle présidence de la République, une atteinte à sa vie privée. Son statut, administratif et financier, il est pourtant payé par l’argent du contribuable, et son statut politique en fait un homme public qui ne peut à la limite plus se prévaloir d’une vie privée. Tout peut être et doit être scruté et critiqué à souhait chez lui. Un président n’est ni un roi, ni un empereur, ni un César. C’est un simple mortel, auquel a été confiée, pour un temps, la gestion des affaires de l’Etat.

Une de ses promesses électorales a pourtant été la transparence. Une autre a été le strict respect de la Constitution où la liberté de la presse est gravée. Et si Kais Saied ne se prononce pas sur ce sujet de la liberté de la presse, ses sbires s’en chargent, cachés derrière la toile, de défendre ce silence, ce qui rendrait presque leur chef complice.

C’est que ces sbires ont entamé la construction de l’image de leur idole, et ne tolèrent à ce sujet aucune fausse note à propos de celui qui n’est qu’un simple mortel. Le fait même d’informer est désormais par eux interprété comme une critique, et partant, comme une atteinte et une offense à la personne de leur chef.

«Le 15 octobre, Naoufel Saied, frère du nouveau président, écrivait dans un message publié sur Facebook, que désormais, toute fausse nouvelle contre Kais Saied serait considérée comme une offense à la Tunisie et à son peuple.» Il n’a pas précisé ce qu’il voulait dire. Fausses nouvelles, ceci pourrait être compris comme des informations rapportant que lui et les autres partisans du nouveau président n’aiment pas», rapportait le site Middle East Online. Nous avons posé la question à l’intéressé sur sa page des réseaux sociaux, d’où semble avoir disparu le Post, il n’a pas répondu. Ni Marzouki, ni Caïed Essebssi, ne l’avaient fait. Pourquoi Kais Saïed voudrait-il commencer ?

  • Ils lui construisent l’image de l’idole, dont l’idée ne saurait être refusée

La construction de la nouvelle image de président de l’universitaire Kais Saïed, a débuté comme à Kairouan avec cette affiche de KS l’appelant «César». Ou encore cette image d’une de ses filles l’appelant «la petite princesse de Carthage», ou encore cette effigie du président sur le rocher de la plage de Sousse, pour remplacer l’emblème de la région qui est l’étoile.

Des gestes, à première vue, simples et innocents émanant de fans et fidèles du nouveau président. Mais des gestes et attitudes qui, lorsqu’ils ne sont pas dénoncés et corrigés à temps par la presse, amèneront à d’autres gestes et attitudes plus prononcés, dans la même démarche de confection d’une idole politique impossible à critiquer car sacralisée par une partie de la population. L’ère du Président-Roi avait pourtant déjà été rasée par la révolution de 2011. Cette dite seconde révolution de la jeunesse ne saurait la reconstruire.

Et si, dès maintenant, ses fans n’acceptent plus la critique de leur idole et que tous leur donne, par le silence, raison, qu’adviendra-t-il alors lorsqu’un journal fera caricature du nouveau César Kais Saïed, ou lorsqu’une chaîne de télévision en fera une marionnette, comme avec BCE et son prédécesseur ? Lynchera-t-on alors le journaliste ? Fera-t-on l’autodafé du journal ? Brûlera-t-on la télévision. Le tout en se disant être dans une démocratie ?

Il faut savoir, à notre sens, raison garder, et ne pas, de nos propres mains, reconstruire la dictature qui briserait l’espoir de tous ceux qui n’ont pas voté KS et de tous ceux qui n’y voient pas leur avenir, de constater, peut-être, qu’ils se seraient, peut-être, trompés.

Le monde change avec les critiques qui contribuent à chercher les solutions. Les gouvernants aussi. Et aussi acerbes que puissent être ces critiques, la démocratie impose de les accepter. La démocratie, c’est aussi les «libres-penseurs» et ceux qui ont un autre avis.

Dans un journal, il y a l’information qui est sacrée, vérifiable car vérifiée. Et il y a aussi le commentaire et l’analyse, qui doivent être respectés, au nom de la même démocratie qui a permis à Kais Saied de devenir président et de vouloir concrétiser son projet, par la seule volonté d’un tiers de la population.

  • Que les critiques notre liberté de presse balayent d’abord devant leurs propres portes

Certains objecteront, certainement, qu’on devrait lui accorder le préjugé favorable et le laisser travailler. D’autres diront qu’ils l’avaient déjà fait avec BCE et voyez où cela a mené. Entre les deux, il y a un nouveau chef de l’Etat qui n’est pas encore entré dans le vif du sujet.

En lanceur d’alerte, la presse critiquera certainement tout ce qu’il fera et dira. Il est même de son droit et de son devoir de lui chercher la petite bête, et s’il le faut, les poux dans la tête. Il y va pour la démocratie, de sa bonne santé, qui passe par la presse et sa liberté. Il faut s’y résoudre, l’accepter et même l’encourager.

Dans cette presse, il y a sans doute du bon grain et de l’ivraie. Mais ce n’est, en tout cas, pas par les insultes et les menaces, ou la censure, qu’on peut la corriger. A bon entendeur, dans le cas présent le chef de l’Etat et ses conseillers, salut.

Pour les collègues tunisiens, qui travaillent notamment dans les pays arabes, qu’ils soient de tendance CPR ou ED, commencez d’abord par écrire, comme nous en Tunisie, à propos des dirigeants des pays où vous vivez. Vous aurez ensuite le droit de nous critiquer, et même de nous insulter, ce qui ne vous honorera pas pour autant.

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