Les avocats, avoués, notaires et autres auxiliaires de justice, souvent jaloux de leur bréviaire ésotérique, utilisent autant que faire se peut dans leurs correspondances, cette formule magique : « sous toutes réserves généralement quelconques et sans aucune reconnaissance préjudiciable » Pour faire simple, il s’agit d’une mise garde dont les initiés comprendraient aisément que l’on aura à l’œil le destinataire épistolaire. Une formule qui irait comme un gant à ceux qui ne voudraient pas ou ne pourraient pas créditer les décisions annoncées, le 25 juillet, par le président de la République, d’un « oui » franc et massif. Il y ceux qui s’abritent derrière l’exigence de « garanties constitutionnelles », d’autres qui exigent d’une façon ou d’un autre une « feuille de route » et il y a enfin ceux qui souhaitent que Saied ne s’installe pas à perpétuelle demeure dans la nouvelle architecture politique qu’il a construite et n’aille pas au-delà des 30 jours, délai qu’il a sommairement fixé.
Des composantes de la société civile l’ont exhorté à s’engager à un calendrier précis et contraignant comportant des délais parcimonieux pour l’exécution des mesures exceptionnelles et le retour à un fonctionnement normal des institutions de l’Etat, tout en appelant à un dialogue associant la société civile et les parties politiques.
Le réseau Mourakiboun, par exemple, considère que les mesures annoncées le 25 juillet doivent être accompagnées de garanties constitutionnelles dont en premier lieu la respect des droits et libertés, l’indépendance du pouvoir judiciaire et la garantie de la liberté d’expression et de la presse. Il préconise le lancement d’un dialogue sérieux pour établir une feuille de route et définir les priorités en termes de réformes et d’ériger l révision du système électoral en priorité. Il souligne aussi l’impératif de poursuivre les processus administratif et judiciaire concernant les violations relevées par la Cour des Comptes dans son rapport sur le financement des campagnes électorales de 2012 et de rompre avec la culture de l’impunité.
Une préconisation de la même eau, celle due à l’Observatoire Chahed pour le contrôle des élections et le soutien des transitions démocratiques qui recommande, à son tour, de ne pas prolonger la période des mesures exceptionnelles, et appelle Saied à fournir des précisions sur la reprise du processus démocratique afin de protéger les droits et libertés et assurer un retour à la normale dans les meilleurs délais.
Il n’en a pas moins exprimé sa « profonde inquiétude » face à la situation d’exception dont se trouve le pays surtout en l’absence d’une Cour constitutionnelle, le seul organe à décider du prolongement des mesures exceptionnelles après 30 jours de leur entrée en vigueur, conformément à l’article 80 de la constitution.
ATIDE (Association Tunisienne pour l’Intégrité et la Démocratie des Elections) impute la dislocation des appareils de l’Etat et leur dysfonctionnement à tous ceux qui gouvernent le pays, responsables de la crise politique économique, sociale et sanitaire.
L’association appelle, au dialogue et à l’élaboration d’une feuille de route claire devant permettre au pays de parachever son processus de démocratisation dans le cadre de la loi et dépasser, définitivement, cet état de blocage.
Eviter l’effet de panique économique
Sur le plan économique, le président de la République est presque sommé de préserver les structures de l’Etat et l’appareil de production dans un climat de paix et loin de toutes les tensions ». C’est principalement le cas de l’IACE qui insiste sur l’importance « d’adopter les mesures nécessaires pour éviter l’installation d’un effet de panique pouvant affecter l’économie du pays, (retraits massifs de cash, chute de la bourse, mouvements du marché monétaire, dépréciation de la monnaie, financement du commerce international, confiance des investisseurs étrangers, ruée vers les produits de base et les difficultés d’approvisionnement qui pourraient en découler) ».
Il recommande de conférer davantage de prérogatives à la Banque Centrale pendant cette période transitoire, pour rassurer les opérateurs et les marchés, de même qu’il juge indispensable « de clarifier les prochaines étapes devant conduire à une normalisation de la situation, d’apporter des réponses aux attentes de la population en matières économique et sociale et de mobiliser des compétences qui allient expérience, courage et capacité d’exécution ».
D’après l’IACE, la résolution de cette crise institutionnelle devrait permettre à la Tunisie de renforcer les acquis démocratiques; ainsi que d’asseoir un système de gouvernance permettant de mener à bien les réformes et politiques publiques rendues nécessaires.
Elle permettrait aussi de renforcer l’Etat de droit et de lutter contre la corruption afin de rétablir la confiance des investisseurs nationaux et internationaux à même de favoriser l’émergence de nouvelles opportunités d’investissement et d’emplois pour une croissance durable et inclusive.