AccueilCe que je croisPromotion de la Tunisie : Quand l’embouteillage atteint son plein

Promotion de la Tunisie : Quand l’embouteillage atteint son plein

AM*

Hier soir à Gammarth, banlieue chic de Tunis capitale, le rideau est tombé sur le dernier acte du festival des rencontres économiques en Tunisie, le Tunisia Investment Forum. Aucune annonce spectaculaire n’a fait la Une ce matin. Le mois de juin 2024 aura ainsi été selon les observateurs, le mois le plus chargé en événements économiques d’envergure internationale. Tant mieux pour la Tunisie estiment certains. Pas aussi évident, répliquent d’autres.

Du 3 au 13 juin, le pays a vécu sous le rythme d’au moins quatre grands forums économiques qui se veulent orientés vers une audience internationale qu’il faut faire venir en Tunisie pour lui faire découvrir opportunités d’investissement, secteurs porteurs, partenaires fiables et autres mérites et pépites de notre économie traditionnellement bien ancrée dans son périmètre méditerranéen. Est-ce qu’un hasard de calendrier ou tout simplement la ligne droite d’un championnat qui se jouait depuis un certain temps ? Il est possible également que la richesse de l’offre vaut bien des étalages spécifiques pour une meilleure visibilité de chaque fruit de cette même offre.

Il est entendu que pour chaque évènement, les médias s’affolent pour inviter, en exclusivité s’il le faut, la partie organisatrice et selon les cas les différents partenaires de l’organisation. Chaque évènement se voulant un produit unique et inédit, les présentations aux médias laissent souvent penser à un même évènement. Tellement les objectifs, les messages et les publics sont d’une similarité exemplaire que le récepteur finit par tomber dans la confusion : parle-t-on vraiment d’évènements distincts ? En l’occurrence oui, puisque les dates et les dénominations ne sont pas les mêmes. Les slogans également. Alors comment se fait-il que le discours autour de ces évènements a du mal à se démarquer ? Là, c’est un peu exagéré. En effet pour le même évènement, le discours change selon qu’on s’adresse à un media d’expression arabe ou un media d’expression française. Le var n’étant pas permis dans pareille circonstance, le mélange de genre serait par contre toléré : penser en arabe et transmettre en français ou l’inverse. Et comme l’objectif ultime, depuis quelques années, des différentes manifestations économiques, se résume dans la formule magique « win/win » là on aura exposé, sans le vouloir, la langue arabe à une rude épreuve pour laquelle elle peine toujours à trouver un équivalent. Contrairement à sa consœur la langue française qui s’en sort, aussi bien que mal, avec la déclinaison « gagnant/gagnant ».

 Doit-on finir à la conclusion que tout ce qui se fait en Tunisie sur fond de promotion économique est mal servi par les insuffisances linguistiques que les académies respectives n’ont pas encore résolues ? ou serions-nous en face d’anomalies congénitales que la langue n’a pas prévues et ne peut aucunement assumer la responsabilité ? Ou encore, des insuffisances linguistiques conséquence logique d’une insuffisance des idées et des méthodes.

Si on se réfère à la médecine, la science qui traite les maladies par excellence, il se trouve qu’elle a produit depuis Avicenne, les mots exacts pour un phénomène exact. Comment explique-t-on alors que la promotion économique aussi vieille que la Tunisie indépendante éprouve encore des difficultés à prendre des ailes et à produire ses propres axes de performance et d’efficience avec exactitude ? 

Comment comprendre le fait que ce « win-win », tellement ressassé tellement galvaudé que ses créateurs anglais ont fini par l’abandonner depuis des années, bénéficie toujours des bienveillances des structures tunisiennes promotrices d’évènementiel ? Il se trouve qu’il ne faut pas faire supporter à la langue ce qu’elle ne supporte pas. La langue n’est qu’une courroie de transmission des idées. Elle sert à livrer des bonnes idées comme des mauvaises. Des idées mures, comme des idées moins mures. Des idées structurées comme des idées à peine ayant pris forme.

Comme dans un championnat, il y a des équipes qui sont mieux préparées que d’autres. D’où l’idée que la langue ne peut aucunement cacher les insuffisances d’un évènement qui n’a pas été porté au moins neuf mois comme le veut la nature humaine pour produire un être vivant dans les meilleures conditions.

Comme un nouveau produit pour une marque, un évènement est porteur de message à transmettre à un public bien ciblé. La naissance/lancement d’un nouveau produit s’annonce dans une ambiance festive et conviviale pour démontrer la réussite de la marque. Il sert à confirmer la pérennité de la marque et sa volonté à s’ancrer davantage dans l’avenir. Or, à lire en diagonal quelques articles de journaux qui ont fait la couverture médiatique des différents événements et à part quelques anglicismes à peine débarqués, les problématiques débattues sont aussi vieilles que l’histoire de la Tunisie avec ses partenaires les plus proches. Des problématiques loin d’être annonciatrices de la naissance de nouveaux produits héritiers de l’ADN de la marque. Malgré une bonne volonté affirmée et amplement assumée par les organisateurs, pour innover et s’il le faut surprendre par des thématiques originales, il est donné de constater que si on prend les couvertures d’un media de référence sur x années, un lecteur aura du mal à percevoir une confirmation de la marque ou un changement qui incarne la métamorphose des problématiques économiques nationales et internationales. Une conclusion précipitée dirait que le grand pays Tunisie continue à être promu par des petites idées qui se traduisent en événements peu copieux. Il est possible que la sagesse tunisienne, très prudente, se réserve le timing idéal pour faire des annonces géniales ou pour lancer des nouveaux produits sans tomber dans le prématuré comme ce fut le cas de Nokia avec le smartphone, ni le tardif comme ce fut l’erreur de LG avec le smartphone également.

Autre fait marquant, l’évènementiel économique tunisien qui se veut international, pour mieux « vendre » la marque Tunisie, ne bénéficie d’aucune couverture internationale d’envergure. Même, des médias voisins, français, italiens, se détournent des intentions des organisateurs : faire venir une audience internationale qui sera suivie d’une couverture media internationale. Il est évident que la volonté d’impliquer l’international, pour ce qu’il représente en termes de partenariat et de perspectives d’échange et d’entreprenariat, restes en-deçà des attentes de la Tunisie et parfois non conséquente avec les dépenses et les efforts déployés. Mais il parait que la bonne question est loin d’être posée : la Tunisie dans sa zone d’influence est-elle perçue et installée comme une marque ou tout simplement comme un pays à la merci de l’actualité ?   

Pour donner une esquisse de réponse à cette question, il faut remonter aux tous débuts des années soixante-dix. La Tunisie indépendante, ayant réussi à mettre en place un système administratif et économique qui tourne autour de ministères, se rend compte, aussitôt, que les exigences de développement économique risquent d’être compromises par la vitesse de décision spécifique à un ministère. Vient alors la création de l’ONTT (71), celle de l’API (72), CEPEX (73) l’AFT (73) l’APIA, un peu plus tard en 1983. Suivra la création de FIPA en 1995 et tout récemment celle de la TIA en 2017. Sans oublier, au passage, la création en 1990, de la dissoute en 2011 ATCE pour, en particulier, servir de marketeur de l’image économique et politique de la Tunisie. L’idée originelle derrière la création de tout ce beau monde d’institutions étant de fluidifier la décision et de permettre une certaine réactivité et souplesse à l’Etat tunisien représenté par ces propres institutions, qui restent, contrairement à l’intention de base, sous l’emprise de la Tutelle. Ce qui implique que le processus de décision doit être toujours validé par la tutelle.  En plus de performances économiques tangibles, ces institutions ont, chacune dans son périmètre d’intervention, à promouvoir l’image de la Tunisie, soit une marque Tunisie qui soit mémorisable, reconnaissable, identifiable et vérifiable. Seulement 50 ans après, à l’occasion du 50-ème anniversaire comme le veut la tradition grecque, le bilan des institutions, par souci d’objectivité et malgré des réalisations certaines fait état de la persistance des mêmes problématiques : insuffisances des performances économiques, déficit de certains modèles de développement, déficit d’image, manque de réactivité, manque de visibilité, manque de ressources, manque de coordination, soit tout manque possible. Des anniversaires célébrés souvent à l’hollywoodienne pour nous renvoyer à des réalités que tout chacun croyait que la Tunisie s’en est déjà débarrassée.

Comme un embouteillage interpelle les services compétents sur une étroitesse possible des routes ou une mauvaise programmation de la circulation à une heure précise, l’embouteillage évènementiel conjugué à un embouteillage institutionnel, serait donc source de réflexion et de décision autour de la mise en place d’une commission de gouvernance de l’image économique de la Tunisie à l’international qui gère entre autres le calendrier des évènements sur une période déterminée que ce soit en Tunisie ou à l’étranger. Une Commission qui se fixe comme objectif le fait de confirmer la Tunisie comme une marque et d’éradiquer les embouteillages, synonyme de déperdition d’énergie et d’improvisation. Pour ce qu’il mobilise comme autorités et décideurs l’évènementiel tunisien gagne à être conçue sous l’angle de tribunes de communication des nouvelles idées et des stratégies en direction du public cible. L’urgence est telle que l’arrivée en douceur de la diplomatie économique sur le terrain de la promotion économique pourrait à terme accentuer davantage l’embouteillage en question. Cette fois ci le plus sage serait de copier, avec conformité, des exemples réussis et d’éviter coute que coute toute tentative de réinvention de la roue. En effet tout le monde s’accorde sur le fait qu’il n’y plus rien à inventer. *Mokhtar CHOUARI, diplômé de l’IHECS Bruxelles en Stratégie de Communication des organisations

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