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Sadok Rouai, dit ce qu’il pense de la réforme du code des changes

 
Sadok Rouai, ancien BCT et ancien FMI, dit ce qu’il pense de la réforme du code des changes : Intervenant le 2 avril devant l’ITBS sur le projet de réforme du code des changes, Rouai a écrit que «
Pour moi, la libéralisation des paiements extérieurs a une connotation personnelle, ayant été membre de l’équipe qui avait mis en place en 1993 la convertibilité courante du dinar.
Je vais limiter mon intervention à deux points : (i) le traitement du secteur cryptos dans le projet de loi et (ii) les risques d’une ouverture du compte capital dans un environnement caractérisé par des déséquilibres financiers et un besoin important de financement du trésor.
Mon premier commentaire est sur les cryptos, je vous rappelle le texte de de l’Article 13 du projet de loi qui stipule que :
« Article 13 : La détention des cryptoactifs par toute personne résidente est soumise à déclaration à la Banque Centrale de Tunisie. Toutefois, l’acquisition par toute personne résidente de cryptoactifs contre dinars ou devises ou en rémunération de biens ou services fournis à des non-résidents établis en Tunisie ou à l’étranger, est soumise à autorisation préalable de la Banque Centrale de Tunisie. »
L’avantage de cet article est qu’il est très clair. Pour apprécier sa portée, imaginez un moment une situation où le CMF imposerait à chaque investisseur une autorisation préalable avant d’acquérir un titre en bourse. C’est exactement ce que le projet de loi exigerait pour les opérations cryptos.
Avec tous mes respects pour ceux qui ont travaillé sur le projet de réforme, exiger une autorisation préalable pour des opérations cryptos reflète une information limitée sur la gouvernance et le fonctionnement de ces marchés.
J’offre deux critiques à ce sujet :
1. La première est pour moi fondamentale et pourrait constituer un risque pour la BCT. Je m’explique. Depuis l’avènement des cryptoactifs, le secteur a connu de nombreuses turbulences, avec d’énormes gains pour certains investisseurs et des pertes pour d’autres. Entre 2021 et 2023, de nombreuses faillites ont été enregistrées. Aujourd’hui même le marché a baissé de plus de 5 % sans que personne ne panique. Malgré ces événements, le secteur cryptos n’a jamais bénéficié de bailout c’est-à-dire d’un soutien officiel contrairement au secteur bancaire. Je répète aucun pays n’a soutenu à ce jour les crashs en cryptos. Les chois semblent se diriger plutôt vers une acception de ces nouveaux produits tout en privilégiant la régulation des marchés et la défense des investisseurs.
Apparemment, la Tunisie veut modifier cette gouvernance et ses choix semblent dévier des principes développés par le Financial Stability Board, le FMI, et l’Union Européenne. Je m’explique de nouveau. Imposer une autorisation préalable pourrait être interprété comme quoi la BCT est en mesure d’évaluer les risques liés aux cryptoactifs mieux que les investisseurs eux même. Ces derniers pourraient comprendre que la BCT serait responsable, légalement sinon moralement, de ses décisions et devrait donc les soutenir en cas de difficultés, comme les banques, ce qui est sans précédent dans le monde.
2. Ma deuxième remarque est d’ordre pratique. Les marchés cryptos fonctionnent en continu 24/7 et les cours fluctuent considérablement. Tout cela est incompatible avec une gestion administrative visant à soumette chaque transaction à une autorisation préalable. En outre, le projet de loi parle d’acquisitions. Il n’y a pas de référence aux cessions, sachant que souvent les acquisitions et cessions se font par swaps entre cryptos sans passer nécessairement par une monnaie.
Mon deuxième commentaire est bref et porte sur les risques que comporte une ouverture du compte capital lorsque les fondamentaux de l’économie sont fragiles sinon faibles. Actuellement, les besoins de financement du Trésor sont élevés et ses sources de financement sont limitées au marché intérieur. Offrir la possibilité aux non-résidents d’acquérir les bons du Trésor par apport de devises peut induire les autorités à s’endetter davantage à court-terme et devenir sujettes à la volatilité des marchés. A ce sujet, l’expérience de l’Égypte offre un exemple.
Je termine par un conseil aux autorités. La Tunisie est un marché de taille limité et ne peut se développer que grâce aux exportations. Ces dernières années, et en l’absence de réformes fondamentales, l’économie tunisienne a pu quand même montrer une certaine résilience grâce au bon comportement de deux secteurs offshore à savoir le tourisme et les Tunisiens vivant à l’étranger.
La Tunisie dispose d’une jeunesse éduquée, dynamique, mais en chômage, sinon exerçant dans le secteur informel ou en dehors du pays. Les services financiers, les paiements, et les cryptoactifs peuvent être un vecteur pour développer un troisième secteur offshore.
Malheureusement, la Tunisie est non seulement en retard mais même l’esprit des réformes proposées continue à être basée sur le maintien d’un rôle prépondérant pour l’État dans la prise de décision. Autrement dit, les autorités annoncent une libéralisation mais continuent à traiter le secteur privé avec méfiance et estiment donc nécessaire de soumettre toute transaction à une autorisation administrative préalable.

En fin de compte, n’oublions pas que crypto est le secteur informel par design. Je doute fort que les propositions sous leur forme actuelle sont à la hauteur des aspirations de nos jeunes ».

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