Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a regagné, ce vendredi, la Tunisie au terme d’une visite d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique dont il rapporté un privilège rarement accordé par l’Administration américaine. C’est évidemment la désignation de la Tunisie comme « allié majeur non-membre de l’OTAN », un statut généralement peu connu sauf par ceux qui en ont bénéficié, et ils seront rares, car devant se prévaloir de conditions que seuls quelques pays au monde sont jugés par les USA à même de remplir.
Paradoxalement, une décision de pareille envergure n’a pas soulevé une avalanche de réactions chez la classe politique hormis quelques commentaires épars parmi les députés de l’Assemblée des représentants du peuple dont le plus franchement hostile est le dirigeant au Front populaire, Zied Lakhdhar, qui s’est dit « troublé » par cet accord, estimant que « l’OTAN se signale aujourd’hui par des interventions qui ne sont pas de nature à servir la paix et la stabilité dans la région, spécialement son rôle en Libye ». Il a souligné que « la Tunisie ferait mieux d’observer la neutralité vis-à-vis des axes militaires et de ne pas s’associer à des plans visant à entraîner le pays dans des axes qui ne sont pas forcément du côté de ses intérêts ».
Aux antipodes de cette position, on relève celle de l’élu d’Afek Tounès, Karim Helali qui voit dans le statut reconnu à la Tunisie, « un pas important lui permettant de nouer un partenariat avancé avec les grands Etats notamment dans les domaines, militaire et sécuritaire, ainsi que ceux des investissements et des aides ». Pour sa part, le nahdhaoui Houcine Jaziri a indiqué que « la Tunisie n’est pas une puissance militaire mais tire sa force de son projet culturel, politique, civilisationnel, démocratique et républicain tout en étant située au cœur du monde arabe en proie aux déchirements et aux guerres ».
Ce que « allié majeur non-membre de l’OTAN » veut dire ?
L’appellation « allié majeur non-membre de l’OTAN » ou encore « MNNA » que l’on doit à l’Administration américaine désigne un groupe d’alliés stratégiques qui entretiennent des relations de travail avec les forces armées des États-Unis, mais qui ne sont pas membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Bien que le statut MNNA n’inclue pas automatiquement un pacte de défense mutuelle avec les États-Unis, il offre une variété d’avantages militaires et financiers qui ne pourraient pas être acquis autrement par les pays non-membres de l’OTAN.
Le MNNA, connu aussi sous le nom de « Nunn amendement » a été créé en 1989. Il précise les accords sur la coopération dans la recherche et le développement qui pourrait être conclus avec des alliés non-membres de l’OTAN, par le secrétaire à la Défense avec l’approbation du secrétaire d’État américain. Au départ, le statut a été accordé à l’Australie, à la Corée du Sud, à l’Egypte, à Israël et au Japon. Ont été suivis par le Pakistan puis par l’Inde.
Les avantages tirés par les pays classés alliés majeurs non-membres de l’OTAN sont nombreux en tête desquels figure l’association à des projets de recherche& développement et de coopération avec le Département américain de la Défense, sur la base des frais partagés et aussi la participation à certaines initiatives de lutte contre le terrorisme.
S’y ajoutent l’achat de l’uranium utilisé dans les armes antichars, la livraison en priorité de surplus militaires, des prêts de matériel et d’équipements pour des projets de développement coopératif, et l’autorisation accordée aux bénéficiaires d’utiliser le financement pour l’achat ou la location d’équipements de défense.
Au rang des pays auxquels ce statut a été accordé, figurent ceux qui ont été désignés par l’ex président américain George H. W. Bush. Il s’agit de l’Australie, de la Corée du Sud, de l’Egypte, d’Israël et du Japon. Le deuxième lot désigné par Bill Clinton comprend la Jordanie, la Nouvelle-Zélande et l’Argentine. Quant à George W. Bush, il a désigné Bahreïn, les Philippines, la Thaïlande, le Koweït, le Maroc et le Pakistan. Enfin Barack Obama n’a désigné que l’Afghanistan et tout récemment la Tunisie. On lui prête cependant le projet d’en faire autant pour la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine.
Ce qu’il faut souligner, c’est que sous ce statut, les intérêts sécuritaires des États-Unis et de la Tunisie vont se corréler étroitement. Cela veut dire aussi qu’il y a des possibilités de coopération politique, militaire et sécuritaire plus fructueuses et plus profondes entre les deux pays autant qu’avec des Etats amis sans un lien aussi fort et aussi profond. Enfin, la relation bilatérale étroite a le potentiel de s’étendre au-delà de l’accord bilatéral pour évoluer vers un cadre multilatéral.
Mohamed Lahmar