Trois chiffres à retenir de ce dernier sondage d’opinion, réalisé par l’oracle Hassen Zargouni. D’abord ces 63 %, de la population tunisienne, qui ne sont pas contents de la manière dont est gouvernée la Tunisie. Ensuite ces autres 87 % qui ne sont pas contents de la situation économique du pays. Et enfin, ces 73 % qui ne le sont pas de la situation sociale qui prévaut dans le pays depuis sa révolution. Des chiffres et des taux de mécontentement sans appel pour quiconque voudrait bien les entendre et en tirer les conclusions qui se doivent. La première conclusion que le chef du gouvernement tunisien, Habib Essid, semble avoir déjà tirée, c’est que rien ne va chez lui du côté de la communication. Il a ainsi changé de staff et n’a pas manqué, en recevant des journalistes la semaine dernière à La Kasbah, de dire «tout le bien» qu’il pensait de l’ancienne équipe et de son travail. Encore une bourde, à notre sens.
Mais posons d’abord la question de savoir si la population tunisienne qui a exprimé ainsi son avis sur la manière dont est gérée la chose publique par un gouvernement qu’elle n’a pas directement choisi, avait forcément raison ?
– Un chef de gouvernement qui n’arrête pas de «se dégonfler».
Il faut d’abord dire que le chef du gouvernement ne semble avoir convaincu personne depuis sa première prestation télévisée et on pourrait, peut-être lui donner en ce sens raison, lorsqu’il décide de changer de staff de communication. Son premier discours télévisé a démontré que l’homme manquait de charisme ou avait été présenté comme tel aux téléspectateurs.
Mais il faut aussi rappeler que ce premier personnage de la politique tunisienne n’avait pas su asseoir son autorité, depuis qu’il n’a pas, su ou pu, résister aux signaux de premières «menaces», indirectes et non dites, qui lui avaient été envoyés par les gros bonnets de la contrebande à Dhehiba en février dernier (Voir notre article).
Le même chef de gouvernement fera œuvre de faiblesse, d’abord face aux professeurs de l’enseignement secondaire. Le ministre de l’enseignement Neji Jalloul se plaindra par la suite de n’avoir trouvé aucun soutien de la part du gouvernement dans son bras de fer avec le syndicaliste Lassaad Yaacoubi. Il jettera ensuite l’éponge devant toute l’UGTT qui obtiendra l’augmentation salariale qu’elle demandera, malgré le manque de moyens financiers que dira son ministre des finances en face du SG de l’UGTT. Il annoncera une prochaine restructuration des caisses sociales, qu’il ne fera pas et ne pourra pas faire, le lien direct avec la révision de l’âge de la retraite restant le handicap majeur qu’il ne pourra pas lever. Essid n’engagera pas, non plus, les indispensables réformes économiques douloureuses. Ses conseillers lui ont prescrit un plan d’austérité et un plan de redressement des finances publiques qu’il a refusés. Dans les régions, 50% du budget de l’Etat consacré au développement régional est encore bloqué et c’est le ministre Slim Chaker qui a expliqué ce blocage par «le faible pouvoir de l’Etat dans les régions ».
– Un chef de gouvernement que gouverne la rue.
Des régions où le Chef du gouvernement refuse d’user de l’autorité publique, des régions qui échappent encore à son contrôle, car il refuse toujours d’user des pouvoirs qui sont les siens pour y faire revenir le calme et pouvoir engager projets et réformes. Un chef de gouvernement qui ne peut même pas changer les quatre ministres dont il avait parlé devant le premier groupe de journalistes reçus à La Kasbah un certain samedi matin. Habib Essid s’avère être, à la déception des Tunisiens, incapable de gouverner par lui-même, mais gouverné lui-même par la crainte des réactions, des partis politiques comme le Front Populaire ou d’organisations syndicales comme l’UGTT. Le personnage avait pourtant été conçu comme un indépendant, qui n’a plus de prétentions politiques autre que de servir une Nation. Une Nation qu’il savait pourtant en péril économique et en désobéissance sociale et dont il n’a pas su tenir les brides et en maîtriser les excès, devant des finances publiques en ruine, avec des entreprises publiques prises en otage et objet de hold-up par les ouvriers et avec des chômeurs qui refusent de travailler et une Administration, vidée et décapitée, qui n’arrive toujours pas à s’affranchir de sa peur. Tout cela demande des décisions courageuses d’un chef de gouvernement qui ne les prend toujours pas.
– Essid se doit maintenant d’écouter l’autre rue !
Et maintenant, que va-t-il faire ? Maintenant que ceux qu’il dit gouverner lui ont clairement signifié qu’ils ne sont pas contents de sa manière de gérer le pays, de la manière dont il gère les tensions sociales et la situation économique ! Qui va-t-il accuser ou inculper, autre que sa propre gestion des autres et de la chose politique dont il a, lui uniquement en temps que chef du gouvernement, la charge ?
Il a déjà démis un PDG, celui de l’ONAS, et il savait très bien que l’arrêt de la station d’épuration n’est pas de sa faute et qu’il n’a pas les moyens de commander à 5 ministères et organismes au moins, pour que Monsieur le Chef du gouvernement ne le renvoie pas un jour après avoir déclaré que la station, achetée du temps de Ben Ali et arrêtée au temps de Ben Ali, se remettra en 2016 à fonctionner. Qui renverra-t-il cette fois ? A qui fera-t-il endosser la responsabilité de tout ce qui n’a pas pu être fait pendant les 100 premiers jours de sa propre gestion ? Le peuple est mécontent et attend des réponses. Espérons que la nouvelle équipe de communication d’Essid ne nous concoctera pas un nouveau discours du même type que celui du 16 mars dernier !
Khaled Boumiza