L’homme est un Docteur d’université en génie électrique qui a commencé sa carrière en tant que chercheur à l’Irsit, avant d’intégrer en 2008 le groupe Tunisair qui marquera toute sa carrière. Directeur Fret et Catering, il est ensuite représentant de Tunisair au Caire. Deux années après la révolution, on retrouve ce natif de Sfax DGA de la compagnie nationale et puis carrément ministre du Transport en 2014.
Au ministère, qui aura entretemps déménagé dans ses anciens locaux de la cité Montplaisir à Tunis, on retrouvait mercredi dernier un Chiheb Ben Ahmed, les tempes un peu plus grisonnantes et les traits beaucoup plus marqués par les nouvelles responsabilités, grillant cigarette sur cigarette de bon matin devant un café servi dans une tasse estampillée. Mais un ministre qui n’oublie pas ses anciens quartiers de Tunisair Handling. Arrivé un peu tard à notre rendez-vous ce matin-là, il y était en fait allé en visite surprise, seul au volant de sa voiture, comme on le surprendra vendredi dernier au retour vers son domicile d’El Menzah 8 à Tunis. Un ministre qui s’est aussi entouré d’une nouvelle ribambelle de conseillers (dont l’ancien Atugien Mondher Khanfir), et qui a fini par caser son ancien chef de cabinet à la direction générale de l’office des aéroports, mais sans aller jusqu’à renvoyer le chargé du protocole, qui était toujours accolé à l’ancien ministre Karim Harouni.
Chiheb Ben Ahmed avait suscité des espoirs, beaucoup d’espoirs notamment auprès de la gente de son entreprise malade, Tunisair surtout. Un espoir nourri notamment par ses liens particuliers avec l’UGTT, la puissante centrale syndicale ouvrière qui fait la pluie et le beau temps dans tout le tissu économique, public et privé, en Tunisie. Le poste de PDG de Tunisair, après la démission, fin 2013 de Rabah Jrad, avait constitué une sorte de bras de fer entre le ministre et son chef de gouvernement. Manifestement intransigeant sur la souveraineté de son département sur son ministère et ses filiales, Chiheb Ben Ahmed avait ensuite pris le dessus sur l’ancien PDG de l’OACA dans l’affaire des appels d’offres pour la concession du Duty Free.
Lui, en tout cas, ne nie pas cette connotation syndicale. «Je suis le fils de l’organisation » syndicale, tient-il a préciser. Il nous raconte même cette anecdote des années de braise du syndicalisme du temps de Bourguiba et ses relations, parfois houleuses, avec cette figure de proue du syndicalisme tunisien qu’était Habib Achour qui est un cousin du côté du grand-père maternel de l’actuel ministre. «J’étais un petit garçon, lorsque Habib Achour était placé en résidence surveillée. Je faisais glisser de petits messages des syndicalistes dans la poche de mon petit frère qui n’était pas fouillé par les policiers, en l’amadouant avec des bonbons et du chocolat. Il était en quelque sorte le chouchou du leader syndicaliste qui le prenait sur ses genoux pour jouer. Habib Achour pouvait ainsi les lire à la barbe et au nez de ses gardiens juste en glissant la main dans la poche de mon petit frère». Ses relations de ministre avec les syndicalistes, il en parle avec beaucoup de diplomatie. Il met ainsi plus volontiers l’accent sur les nouvelles relations qu’il a pu instaurer avec la partie syndicale. «Nous avons amélioré et développé le dialogue social de la revendication vers une approche d’entreprise où les deux parties sociales sont partenaires dans la vie de l’entreprise et son avenir», dit le ministre qui cite, à l’appui de ses dires, la tenue de 90 réunions avec les représentants syndicaux.
Le ministre se targue ainsi de n’avoir à son passif qu’une seule grève d’une demi journée (celle de l’aéroport de Djerba), bien que comme il l’affirme, «tous les jours j’ai un préavis de grève. Mais aucune n’est passée à la concrétisation». Il ne s’en dit pas moins intransigeant concernant certains débordements, comme lorsque «j’ai demandé que quelques syndicalistes qui avaient crié Dégage contre l’ancien PDG de Tunisair [ndlr : Rabah Jrad], soient traduits devant le conseil de discipline». Il cite aussi le cas d’un autre syndicaliste au Kef qui fut passé en conseil de discipline et écopa de deux semaines de mise à pied. Mais il nous cite aussi, pour expliquer qu’il ne faisait qu’appliquer la loi et rendre la justice dans la concertation, le cas d’un syndicaliste de Sousse, suspendu par l’ancien ministre et dans des conditions non réglementaires et à propos duquel il a dit avoir appliqué des PV de réintégration lorsque l’ancien ministère s’est rendu compte de sa bourde réglementaire. «Au total, uniquement deux syndicalistes ont été sanctionnés et uniquement autant ont été réintégrés au cours de mon ministère», conclut-il pour parler de ses relations avec le syndicat où on lui a prêté une sympathie parfois exagérée. Au final, on se rendrait compte que nous parlions à un ministre qui sait tenir compte de la donne syndicale et à un proche des syndicats qui parle un langage qui dépasse la simple logique syndicale. Et c’est cela qui fait qu’il s’en sort jusque-là !
Khaled Boumiza.