A rebours des apparences, les relations entre la Tunisie et la Libye ne peuvent être regardées comme un long fleuve tranquille, elles sont entachées de contentieux d’inégale importance, mais dont on s’abstenait de parler, soit à dessein, soit pour ménager le vis-à vis ; entendons par là celui la démarcation de la frontière entre les deux pays.
Une question qui vient de refaire surface à la suite d’une intervention du ministre tunisien de la Défense, devant l’Assemblée de représentants du peuple, annonçant la création d’un comité conjoint avec la Libye afin de définir la frontière commune, et où il soulignait la position ferme de la Tunisie en matière d’intégrité territoriale.
« La Tunisie ne cédera pas un seul pouce de son territoire », a-t-il affirmé, faisant état de préoccupations relatives à l’utilisation des terres dans les zones adjacentes à la barrière frontalière entre les deux pays. Il a fait part de son intention de procéder prochainement à une inspection personnelle de la région frontalière afin d’évaluer la situation de première main.
Dans une réaction inhabituellement rapide, le gouvernement d’union nationale (GUN) de la Libye, tout en tentant d’apaiser les tensions naissantes, a décrété que la question de la démarcation de la frontière avec la Tunisie a été résolue de manière concluante il y a plus de dix ans. . C’est en tout cas ce que soutient le ministère libyen des affaires étrangères dans un communiqué relayé par le site Libyan Express qui souligne, de surcroît, qu’ « une commission mixte entre les deux pays avait précédemment réglé toutes les questions liées à la frontière », la qualifiant de « question stable et réglée qui n’est plus sujette à discussion ou à réexamen ».
De fait, la frontière entre la Libye et la Tunisie, qui s’étend sur environ 459 kilomètres, a toujours été au cœur des relations bilatérales entre les deux pays. La démarcation actuelle est restée inchangée depuis la résolution de la commission mixte il y a plus de dix ans, ajoute la même source.
Comprenons entre les lignes qu’il est plus particulièrement question du champ pétrolifère de Bouri , considéré comme le plus productif de la Méditerranée et l’une des principales opérations offshore d’Afrique. Il est situé au cœur du plateau continental tuniso-libyen, à 120 kilomètres des côtes libyennes, et a rang de l’un des actifs énergétiques les plus importants du continent africain.
Le champ, actuellement exploité dans le cadre d’un partenariat entre la société libyenne Mellitah Oil and Gas Company et le géant italien de l’énergie Eni, détient d’importantes réserves de pétrole brut et de gaz naturel. Ses 38 puits maintiennent une production quotidienne d’environ 30 000 barils, ce qui en fait un élément crucial de l’infrastructure énergétique de la Libye.
Un différend territorial pluridécennal
L’importance stratégique du gisement a déclenché une bataille juridique de quatre ans devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, de 1978 à 1982. Le différend portait sur les droits du plateau continental, la Tunisie et la Libye revendiquant toutes deux l’accès aux eaux riches en ressources. Ce conflit est né des arrangements territoriaux complexes établis après l’indépendance des deux pays, soutient le narratif de la Libye à ce sujet et qui semble ressortir plus à une certaine idée de l’intangibilité des frontières qu’à autre chose.
À la fin des années 1970, rappelle par ailleurs Libyan Express , Mouammar Kadhafi, alors dirigeant de la Libye, avait « proposé à la Tunisie un accès partagé aux ressources du plateau continental. Cependant, le président tunisien Habib Bourguiba, conseillé par une équipe juridique comprenant le juriste Sadok Belaid, a opté pour l’arbitrage international.
Devant la CIJ, les deux pays ont présenté des arguments distincts. La Tunisie a fondé sa revendication sur des précédents historiques et des droits de pêche traditionnels, alors que la Libye axé sa défense sur des preuves géologiques
D’après le même narratif, « l’arrêt rendu par la Cour en 1982 a finalement confirmé la souveraineté de la Libye sur le plateau continental, une décision qui a remodelé les frontières maritimes régionales ».
À la suite du verdict, l’équipe juridique de la Tunisie a fait part de ses préoccupations concernant la procédure judiciaire. Malgré ces réserves, la Tunisie a respecté la décision tout en faisant appel, ce que le tribunal a rejeté en 1985.
Aujourd’hui, le gisement de Bouri continue d’être exploité sous la juridiction libyenne, « témoignant de l’interaction complexe entre les ressources naturelles, la souveraineté territoriale et le droit international en Afrique du Nord », souligne la même source.
En bonne logique, les choses ne vont pas devoir s’arrêter là au vu de la solennité de la déclaration du ministre tunisien de la Défense faite dans un haut lieu de la souveraineté du pays, à savoir l’Assemblée des représentants du peuple, et de la proclamation y associée affirmant que « la Tunisie ne cédera pas un seul pouce de son territoire ». Il reste que les deux pays ne seraient pas réticents à faire parler la diplomatie et confier cette question épineuse, car c’en est une, à une commission conjointe, et ce dans l’intérêt bien compris des deux parties.