Les péripéties sont abondantes mais également tragiques qui ponctuent la croisade que la Tunisie est en train de livrer contre la pandémie du coronavirus. C’est moins dû au fléau pathologique en soi qu’à l’écosystème politique qui s’y est greffé avec un étalage pathétique des griefs que les uns nourrissent envers les autres et qui, fatalement, produisent le pire effet sur la gestion de la crise sanitaire.
A la tête de l’Exécutif, deux présidents, l’un de la République, l’autre du gouvernement, sont à couteaux tirés à propos de tout et de rien au grand dam de l’intérêt supérieur de la Nation, et au mépris de l’image que réfléchit normalement un Etat qui se respecte, alors même que les crises, l’une après l’autre, secouent jusqu’aux fondements de l’Etat républicain tel qu’il a été toujours celui dans lequel se reconnaissent tous les Tunisiens. Et ces crises, de sournoises convulsions, devrait-on dire, ne sont pas du petit nombre, elles malmènent les institutions, les bloquent de temps à autre, et les dépossèdent de l’autorité et du magistère sur lesquels sont adossées l’adoption et la conduite de politiques censément bien senties et largement convenues.
La crise sanitaire est la dernière en date des arènes de ce jeu de massacre auquel se livre ceux qui sont à la barre de l’Etat , en bisbille s’agissant de celui auquel doit être imputée la responsabilité de la mauvaise gestion de la pandémie et d’une campagne spéciale de vaccination qui exacerbe encore les tensions latentes entre les deux protagonistes.
Un pouvoir en lambeaux
On s’entredéchire pour s’approprier, chacun à son échelle, les lambeaux d’un pouvoir qui avait entamé sa déliquescence voici un peu plus d’une décennie marquée par une succession de soubresauts de divers ordres , terroriste, financier, social, durablement politique, et depuis peu sanitaire alors que la funeste variante Delta du coronavirus s’installe dans un pays où les vaccinations sont peu nombreuses et où le taux de mortalité lié au Covid-19 est le plus élevé du monde arabe.
L’Organisation mondiale de la santé a classé la Tunisie comme un pays désormais en proie à une flambée « extrêmement préoccupante » des cas. Seuls 7 % de la population ont achevé le schéma vaccinal, et face au chaos qui règne dans les hôpitaux et les centres de vaccination du pays, le président de la République, autre facette de son bras de fer avec le chef du gouvernement, a confié à l’armée la responsabilité de la gestion de la crise sanitaire.
Les Tunisiens comme les observateurs et journalistes étrangers sont constamment les témoins, à travers les réseaux sociaux, de scènes chaotiques dans les unités de soins intensifs qui sont presque pleines et certains hôpitaux connaissent des pénuries d’oxygène, qui est crucial pour les patients de Covid-19 souffrant de difficultés respiratoires.
Le Covid, ce n’est pas leur priorité !
Une situation sanitaire, si détériorée qu’elle met à l’épreuve les limites d’un système politique déchiré par des différends entre le président de la République, le chef du gouvernement et le président du parlement et que vient aggraver le limogeage par le locataire de la Kasbah du ministre de la Santé à la suite de scènes chaotiques dans des centres de vaccination insuffisamment approvisionnés. Cette décision est considérée comme une escalade de la lutte pour le pouvoir entre les deux hommes, qui a exacerbé les problèmes économiques de la Tunisie.
« C’est une exacerbation de la crise politique et de la polarisation entre les deux présidents, de la République et du gouvernement », a déclaré Youssef Cherif, l’analyste politique qui dirige le Columbia Global Center à Tunis, cité par la presse britannique.
Tout en soulignant que les citoyens tunisiens n’avaient pas été « sérieux en portant des masques et en évitant les réunions de famille », il a déclaré que le gouvernement avait « mal géré la crise sanitaire en n’étant pas préparé à l’afflux de cas ».
« Le covid en général n’a pas été la première priorité du président, du gouvernement et du président de l’ARP », a ajouté l’analyste. « Tous les trois ont continué à mener leurs querelles politiques quotidiennes plutôt que de s’occuper de la crise ».
La pandémie a également aggravé la situation économique d’un pays lourdement endetté, où l’on assiste à de fréquentes éruptions de manifestations de jeunes en colère contre la pauvreté et le chômage élevé.
L’économie s’est contractée l’an dernier de 8,8 %, selon le FMI, et malgré des projections de croissance de 3,8 % en 2021, elle ne retrouvera pas son niveau d’avant la pandémie cette année. L’industrie touristique de la Tunisie a été décimée en raison des restrictions de voyage européennes et britanniques.
James Swanston, économiste au cabinet de conseil Capital Economics basé à Londres, a déclaré que les pertes de devises étrangères pourraient affaiblir le dinar tunisien « entraînant un risque inflationniste et augmentant le coût de la vie ». La Tunisie pourrait avoir du mal à faire face au remboursement de sa dette, a-t-il ajouté. « L’absence de gouvernement signifie qu’il n’y a pas d’élan pour faire face à la crise économique », a-t-il souligné cité encore par la presse londonienne.