Dans une interview exclusive accordée à Africanmanager, Abdellatif Hmam, directeur général de l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT) a reconnu que la Tunisie se trouve actuellement dans une situation post-choc.
Mais, cette crise peut constituer une opportunité pour revoir notre stratégie pour que la Tunisie reste une destination de choix. D’après lui, il s’agit d’une étape stratégique étant donné que la reprise de l’activité ne pourrait être que progressive. Interview :
Comment se représente le secteur du tourisme ?
C’est une véritable industrie qui en train de se développer à l’échelle internationale. C’est un secteur qui a affiché une croissance soutenable tout au long de ces dernières années.
Sur le plan national, le tourisme a toutefois connu des difficultés liées principalement à une conjoncture de transition. Ces difficultés viennent s’ajouter à d’autres problèmes d’ordre structurel.
Outre ces contraintes, la Tunisie a subi deux grands chocs. Le premier ayant eu lieu en mars dernier et qui a visé le Musée de Bardo, considéré comme l’un des symboles de l’Etat..Le second a frappé, le 26 juin dernier, la région de Sousse où les terroristes ont ciblé les vacanciers étrangers Le bilan est lourd avec la mort de 38 touristes.
A partir de cette date, tous les chiffres sont appréciés dans un contexte d’après choc.
Qu’en est-il des chiffres réalisés ?
A la date de 20 août courant, l’entrée de non résidents a affiché une baisse de 23%, comparée à la même période de 2014.
Sur les marchés européens, la tendance est à la baisse et ce fléchissement varie entre 15% et 50%.
Toutefois, une augmentation est enregistrée dans plusieurs marchés arabes. A commencer par les Algériens dont le flux a affiché une croissance de 16%. C’est le même constat pour les Marocains, Saoudiens et des Bahreinis qui ont réalisé une augmentation respective de 35%, 10% et 26%. Un effet de solidarité est consenti de la part de plusieurs marchés arabes.
En termes des recettes touristiques, on déplore un manque à gagner de 26% jusqu’au 10 aout 2015, et ce, par rapport à la même période de l’année écoulée.
Et pour la Grande-Bretagne ?
Le flux n’est pas arrêté bien que ce pays ait imposé une restriction de voyage aux ressortissants désirant visiter la Tunisie.
On travaille actuellement avec les principaux tour-opérateurs pour une éventuelle reprise.On essaye aussi d’examiner les formes d’appui et de soutien pour que ces voyagistes programment la destination Tunisie.
Une fois cette restriction de voyage serait levée, on est prêt à reconquérir ce marché.
Dans une conjoncture morose, est-il possible de gagner ce challenge ?
Il faut qu’on sache qu’on est encore dans une situation de post-choc d’autant qu’on continue à subir des attaques. Comme l’a déjà évoqué le président de la République, nous sommes en guerre contre le terrorisme et c’est pourquoi les chiffres sont appréciés dans ce contexte. Donc, on comprend bien la réaction du ministère britannique des Affaires étrangères britannique surtout que la majorité des victimes sont des anglais.
C’est qui ce passé à Sousse a créé une psychose généralisée non seulement auprès des étrangers, mais aussi auprès des Tunisiens. Donc, la reprise ne peut être que progressive. Elle est déjà conditionnée par le fait que les gens auront de plus en plus confiance dans notre système de sécurité, dans notre organisation.
Au fur et à mesure que ce sentiment de sécurité se développe, le flux touristique va certainement reprendre progressivement
Comment va-t-on regagner la confiance des autres alors qu’on est en train de subir d’autres attaques terroristes ?
On n’a jamais dit qu’on va assurer la sécurité à 100%. Nous avons dit que nous sommes en guerre contre le terrorisme et les choses sont prises de façon sérieuse, et ce, au plus haut niveau de l’Etat. Pour ce faire, des décisions très courageuses ont été prises pour assurer une meilleure surveillance de nos frontières. Ajoutons à cela une excellente coopération avec l’Algérie sans oublier que les forces de sécurité sont en train de réaliser des victoires tous les jours.
La Tunisie avec ses moyens modestes n’épargne aucun effort pour assurer la sécurité de nos citoyens et nos visiteurs. On est en train de manager le problème de sécurité de façon déterminée et sérieuse pour relever ce défi.
C’est vrai que nous passons par un moment difficile et personne ne peut l’ignorer. C’est vrai qu’en logique quantitative du chiffre, on reçoit moins de touristes.Mais cette crise peut constituer une opportunité pour revoir notre manière de faire, améliorer notre produit, diversifier nos marchés à l’international, améliorer notre efficacité en termes d’intervention.
C’est le moment ou jamais de travailler sur la reprise progressive de l’activité, et ce, par rapport à l’amélioration de la sécurité, mais aussi de s’engager à entamer une série de réformes structurelles importantes liées à la formation, l’investissement, le produit, la communication à l’étranger, l’événementiel, les liens entre le tourisme et la santé, tourisme et sport, tourisme et événement.
Il y a énormément des chantiers où nous avons la volonté et nous sommes surtout déterminés avec l’appui du ministère du Tourisme pour aller à l’avant et réaliser des performances.
Avez-vous élaboré une telle stratégie pour faire face à cette crise surtout que plusieurs professionnels du secteurs prévoient la fermeture de plusieurs hôtels à partir de mois de septembre prochain ?
Nous sommes en train de gérer cette crise au niveau du ministère de tutelle, mais aussi au niveau de l’ONTT. Les professionnels du tourisme savent ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter.
Le gouvernement, de son côté, a mis en place une batterie de mesures exceptionnelles à la suite de l’attaque de Sousse pour aider le secteur.
Les professionnels ont affronté cette crise dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, nous sommes en train de préparer le retour progressif du flux. Ceci passerait également par des actions de communication auprès des tour-opérateurs. D’ailleurs, des contacts quotidiens s’effectuent à plus haut niveau pour les assurer et pour que la reprise soit la plus rapide possible.
Nous avons programmé un certain nombre de participation à des RDV internationaux et régionaux. A ce titre, la ministre Salma Elloumi conduira une forte délégation au sommet de l’Organisation Mondiale du Tourisme qui se tiendra prochainement.
Nous sommes en train d’organiser des séjours aux professionnels, journalistes, agents commerciaux en Tunisie pour transmettre des messages rassurants.On est en train de mobiliser toute notre énergie pour assurer la reprise progressive des flux touristiques.
Sur un autre plan, on est en train de préparer des reformes structurelles. D’ailleurs, le ministère est en train de donner une impulsion particulière à toutes les réformes dans le cadre de sérénité.
Beaucoup d’éléments doivent être à ce propos révisés, à savoir l’organisation, la gouvernance du secteur, la valorisation du produit, la diversification du produit…
Est-il possible d’atteindre cet objectif ?
Je pense qu’il va falloir de faire le benchmarking des pays qui ont réalisé des réussites. On va comprendre que les mouvements de changement structurel sont des mouvements qui se réalisent dans la durée.
C’est la raison pour laquelle une réforme structurelle nécessite une durée de 5 à 10 ans. Car il est important de bien préparer les esprits pour qu’elle soit largement partagée. On ne doit pas faire une réforme contre les professionnels. Aujourd’hui, nous avons une grande réforme à engager pour améliorer la qualité du produit touristique. Ceci passe par la réactualisation des standards et les normes tout en introduisant des normes de sécurité.
Ceci nécessite aussi la diversification de l’offre touristique en encourageant les petites et moyennes entreprises touristiques comme les maisons d’hôtes, des campings pour les jeunes.
C’est important étant donné que la Tunisie dispose d’un potentiel extrêmement riche et chaque territoire tunisien peut être un territoire touristique moyennant l’engagement de la population et un certain nombre de réflexes d’accueil.
Il est important de fournir un effort supplémentaire pour changer l’image d’insécurité et de terrorisme.
Comment voyez-vous l’avenir du secteur ?
Je suis naturellement optimiste. Je pense que lorsqu’on a une responsabilité de gérer un secteur, jugé important et diversifié avec une chaîne de valeurs très riche, on n’a pas le droit de reculer. Au contraire, on a le devoir de la réussite en réalisant les réformes, en créant une dynamique positive et de rebondir sur les problèmes pour que la Tunisie puisse sortir de cette épreuve douloureuse.
Vous insistez à chaque fois sur la reprise. alors que plusieurs professionnels ont mis en garde contre l’incertitude de la prochaine étape. Etes-vous sûr que la reprise est certaine ?
La reprise, à mon avis, est certaine. Après le carnage survenu le 26 juin à Sousse, des contacts ont été établis à titre d’exemple avec les tours opérateurs dans deux pays : la Pologne et la Russie, et on a constaté que les choses ont tendance à reprendre.
Cela signifie que la reprise a besoin de la confiance. Cette reprise a besoin que nous ayons confiance en nous-mêmes et que nous ayons confiance en la destination Tunisie. C’est très important de garder à l’esprit que la Tunisie est une destination incontournable et sa proximité géographique est un atout compétitif majeur.
Il n’y a pas beaucoup de pays qui ont une capacité entre 200 et 240 mille lits d’hôtels.
Le Maroc est en train de développer son tourisme et nous ne sommes pas forcement en compétition. Il y a des complémentarités.
Je pense que nous restons et nous continuerons à être une destination de choix pour les vacances de familles, mais également une destination de choix pour les événements sportifs, culturels et le tourisme golfique etc.
La Tunisie est un pays proche, naturellement accueillant. C’est pour cette raison qu’il suffit d’améliorer notre politique de communication et de sécuriser notre pays tout en maîtrisant en mieux notre management de sécurité pour que les choses reprennent.
Pour certaines parties, c’est tout simplement du speech et rien n’est fait. Il s’agit uniquement de speechs. Que pensez-vous ?
Ce constat ne concerne pas uniquement le département du tourisme. C’est un constat valable pour d’autres secteurs comme la santé, l’enseignement, le commerce, la culture.
Les gens ont tendance à oublier que la Tunisie est un pays en développement et le propre de ce genre du pays est qu’il est en chantier, sachant que les chantiers de développement, de restructuration et d’amélioration sont des chantiers continus. C’est ça le sens de la vie d’un pays.
Un pays qui arrête de se moderniser, de restructurer est un pays mort. Donc, nous sommes un pays vivant et c’est tant mieux qu’il y ait toujours des chantiers.
Depuis 5 ans, c’est la première fois que la Tunisie a la possibilité d’entamer des actions de réforme dans un environnement politiquement stabilisé. Si ce double choc qu’on a eu ces derniers temps n’avait pas eu lieu, on n’aurait pas avancé sur un certain nombre de pistes de reforme et de restructuration.
Aujourd’hui, ce gouvernement a pour la première fois remis sur les rails la planification, le cadre de gestion dans le temps. D’ailleurs, le chef du gouvernement a décidé de munir la Tunisie pour les 5 prochaines années d’une note d’orientation, des priorités fixées et des projets importants qui ont été identifiés. Il a déjà demandé à l’ensemble des ministères d’indiquer leurs priorités. C’est pour cette raison qu’on va élaborer nos priorités de restructuration de ce secteur.
Les conditions, à mon avis, sont réunies jumelées avec une forte volonté politique d’améliorer la situation actuelle sans oublier la grande pression pour qu’on puisse aller à un autre stade de professionnalisme et pour qu’on réinvente notre tourisme à travers une vision bien déterminée.
