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La confiscation des biens de la liste des 114, entre les raisons de la Révolution et la justice.

Bien qu’étant l’une des mesures phares prises par le président tunisien par intérim, en réponse aux demandes pressantes de ceux qui ont parlé au nom du peuple de la Tunisie de l’après Ben Ali, la confiscation des biens commence à faire timidement débat.

La confiscation a été le fait d’un décret n°13 paru au Journal officiel (JORT) en date du 14 mars 2011. Il préconise la saisie des avoirs mobiliers et immobiliers acquis après le 7 novembre 1987 et appartenant  à l’ancien président Ben Ali, à son épouse Leïla Trabelsi, à ses enfants, à ses gendres, à sa famille et à ses belles-familles ainsi qu’à certaines personnes ayant occupé des hauts postes au sommet de l’Etat et dont les noms figurent sur  la liste annexe au décret. La liste comprend 114 personnes, mais reste ouverte et peut à tout moment englober plus que cela. Comme nous l’avions déjà écrit, ce décret-loi appelle cependant plus d’un commentaire et fait déjà débat.

Le ministre des Domaines de l’Etat affirme qu’aucun recours n’est possible.

Acte régalien par excellence, il porte atteinte, selon plus d’un juriste, au principe sacré de la propriété individuelle et  introduirait nouvelle notion, celle de «crime par parenté ou alliance». Cela, d’autant qu’il ne prévoit aucune possibilité de recours auprès d’une quelconque juridiction, administrative ou judiciaire. Cela, d’autant moins qu’aucune juridiction ne s’est, à ce jour, prononcée sur la culpabilité de nombre de personnes visées par le décret-loi. Ceci renvoie à soulever la question de la présomption d’innocence dont visiblement  il n’a pas été fait usage dans le cas de l’espèce. Lors d’un débat radiophonique sur la chaîne nationale, mercredi 13 avril 2011, le ministre des Domaines de l’Etat Ahmed Adhoum, a surtout expliqué la décision de confiscation par « la logique de la Révolution ». Il a aussi précisé qu’aucun recours ne sera possible s’agissant de cette décision et aucune possibilité ne sera donnée à ces personnes, pour essayer de prouver que tel ou tel bien a pu être acquis par des moyens licites ou dont les fonds ne proviendraient pas d’argent mal acquis. Cela demandera certainement plus de 6 mois pour officialiser sur les papiers cette prise de possession des biens, meubles et immeubles, des Trabelsi, des Ben Ali, de leurs gendres et proches.

Un juge met en garde, évoque vice de forme, ingérence et contradiction avec les principes.

Même si le ministre est lui-même un ancien juge, cela ne semble pas être l’avis de tous les magistrats. Dans une interview réalisée par Abdelwaheb Belhadj Ali d’« Al Ousbouî », et rapportée par notre confrère Businessnews, le juge Imed Hazgui, magistrat au Tribunal administratif et représentant de l’Etat, estime que «le décret, tel que  publié au JORT, ne fait aucune référence ni mention du chapitre 28 de la Constitution et de la loi n° 5 de l’année 2011 à propos de la procuration accordée au Président de la République par intérim pour la proclamation des décrets ; ce qui lui ôte , à la base, toute légalité et fait croire à une précipitation dans la prise d’une décision qui s’avère, finalement, à connotation politique. A cela s’ajoute, précise le juge, le fait -que le décret 13 est entré en vigueur le 14 mars 2011, soit un jour avant l’entrée en vigueur du décret 14 autorisant le président de la République par intérim à bénéficier des prérogatives d’ordre législatif». Le juge Hazgui estime donc qu’il y a là vice de forme. 

Toujours selon le juge, «ce décret constitue une ingérence flagrante du pouvoir exécutif dans les prérogatives de pouvoir judiciaire dans le sens où les sanctions pénales relèvent uniquement de la compétence de la magistrature. Or la justice est encore en train d’instruire les affaires dans lesquelles seraient impliquées les personnes en question, mais rien n’indique que les procédures judiciaires aboutiraient à leur condamnation. Le même décret stipule la saisie de tous les biens et avoirs acquis après le 7 novembre 1987 par les personnes mentionnées dans la liste sans faire la distinction entre les biens acquis d’une manière légitime et ceux qui ne le sont pas». 

En effet, indique le juge, «le lien de parenté, direct ou par alliance, n’est pas suffisant pour établir l’acquisition illégitime de ces biens, ce qui ne peut être affirmé ou infirmé que par le biais des instructions et des procédures judiciaires, seules aptes à trancher dans ce genre de situations».

Le juge Hazgui estime que «le décret 13 ne mentionne aucune instance de recours à laquelle pourraient se diriger les personnes touchées par cette mesure de saisies, ce qui est inadmissible. Ce qui est, aussi, contradictoire avec tous les principes constitutionnels et les conventions internationales auxquelles la Tunisie a adhéré».

Pourquoi refuser le droit au recours ?

Ce décret-loi semble ainsi avoir été concocté dans l’urgence et la précipitation et même par peur, de la part du gouvernement, de faire face à une colère populaire et à une déception politique qui pourrait s’abattre sur l’actuel gouvernement, de la part notamment du conseil de préservation des acquis de la Révolution. Et si certains juristes, comme ce juge ou encore comme un avocat célèbre qui ne le dira pas en public, sont d’accord sur l’existence de failles dans le texte du décret-loi dont notamment le refus de donner une voie de recours et sur les injustices que portera ce texte, certains n’osent pas encore aller à l’encontre des vents de la révolution, même si ce texte entache quelque peu [malheureusement il n’est pas le seul et le dernier texte sur les élections de la Constituante le prouve], la virginité et l’éclat de la Révolution. Plus d’un rappelle à ce propos l’exemple de la confiscation des biens de la famille de l’ancien Bey de Tunis, de la détermination de certains membres de cette famille à recouvrer leurs biens et qu’ils ont fini par avoir même partiellement. La question se pose alors pourquoi le gouvernement et le Président temporaire n’introduiraient-ils pas les modifications qui s’imposent à ce décret-loi ?
 

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