Hatem ferjani, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de la diplomatie économique
Hatem ferjani, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de la diplomatie économique

Il est secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de la diplomatie économique, le premier du genre dans un gouvernement tunisien. Son travail, c’est d’user de la diplomatie pour trouver de nouveaux marchés, mobiliser les IDE, rechercher les opportunités de création d’emplois, l’exportation des compétences tunisiennes et la promotion de la Tunisie en tant que destination touristique. Avec Africanmanager, Hatem farjani parle de l’Afrique, des problèmes des visas, annonce une amnistie et de nouvelles ambassades. Interview :

Que veut dire la diplomatie économique et quelle est la feuille de route du SE qui en a la charge ?

Dans diplomatie économique, il y a la dimension économique, la dimension commerciale et celle de l’action diplomatie traditionnelle. En fait, c’est désormais l’économie qui régit les relations internationales.

Au sein du MAE, elle existait déjà en tant que pratique dans le cadre d’une structure dédiée et qui a réalisé des réussites. La création d’un poste de SE chargé de la diplomatie économique est simplement la confirmation que cette orientation est devenue stratégique en Tunisie qui remet l’économie au cœur de l’action diplomatique. Cela nous amène à utiliser toutes nos relations diplomatiques pour trouver de nouveaux marchés à nos produits, mobiliser les IDE, la coopération triangulaire, la coopération décentralisée, la recherches d’opportunités de création d’emplois, l’exportation des compétences tunisiennes et la promotion de la Tunisie en tant que destination touristique.

Pour y arriver, il nous fallait unifier les rangs et les efforts de toutes les parties concernées, ministères, structures d’appui confondues, organisations nationales et le secteur privé qui reste le «Driver» de l’économie tunisienne. C’est dans cet objectif qu’il a été décidé de créer une commission mixte, sous la présidence du MAE, et qui aura la charge de coordonner l’activité diplomatique économique entre ces différentes structures.

Nous avons aussi signé des conventions cadres avec le Cepex et les ministères du Tourisme et de la Culture. Elles seront suivies de conventions avec l’Utica et les ministères du Transport et de la Santé. Le Cepex nous a déjà débloqué 1,4 MDT. Le ministère du Tourisme devrait nous allouer presque le même montant. Ce financement sera consacré à l’activité de diplomatie économique de nos ambassades. Chacune d’elle aura son propre budget, dans cette cagnotte et la gestion lui en sera directement confiée, avec un plafond de 35.000 euros pour chaque ambassade, appelée à devenir un promoteur et un marketeur de l’économie de son pays et dont les actions économiques et les résultats compteront parmi les indicateurs d’évaluation.

Vous n’avez certes que trois mois dans ce nouveau poste ministériel, mais on remarque toujours que l’action diplomatique reste, même dans son volet économique, drivée par le ministre des Affaires étrangères lui-même.

Moi je suis SE auprès du ministre des Affaires étrangères. Mon département reste donc sous la tutelle du MAE et il faut avouer que le ministre me donne une assez grande marge de manœuvre pour l’accomplissement de mon travail dans de bonnes conditions.

La diplomatie étant aussi le lobbying, politique certes, mais aussi économique. Or l’incident de l’introduction par l’Union Européenne de la Tunisie dans la liste des pays non coopératifs en matière de lutte contre l’évasion fiscale, a démontré la limite du lobbying Tunisie avec des ambassades accusées de ne pas avoir su réactiver les groupes de lobbying développés par l’ancienne administration.

Dès mon arrivée, j’ai provoqué une réunion avec un groupe d’anciens ambassadeurs de la Tunisie, de conseillers et d’experts dans ce domaine. Ce brassage d’idées et de propositions a par exemple permis de mettre au point un document relatif à nos relations avec l’Europe dans le cadre des négociations de l’Aleca. Nous croyons en l’importance du lobbying et ouvrerons dans ce sens pour redorer le blason de la Tunisie sur la scène économique et politique internationale.

Nous avons pourtant remarqué l’absence de toute action de lobbying dans le dossier dit des paradis fiscaux. A se demander aussi où était le secrétariat d’Etat à la diplomatie économique et où était l’ambassadeur de Tunisie à Bruxelles ?

Il faut rappeler ici que la décision européenne introduisant notre pays sur la liste noire des 17 non coopératifs en matière fiscale, a été prise le 5 décembre 2017. Une décision surprenante et incompréhensible. C’est même, comme l’a affirmé le chef de l’Etat, une injustice et une erreur politique et économique. Je rappelle à ce titre que la Tunisie a fait l’objet d’éloges pour ses initiatives en matière de transparence fiscale, par l’OCDE.

Dans ce dossier de la liste noire, la diplomatie tunisienne a joué son rôle à la perfection et cela est traçable. Il faut pourtant dire que la partie européenne a exercé des pressions sur la Tunisie, pour des raisons inhérentes aux discussions de l’Aleca et relatifs à la mobilité des personnes et à l’offshore. Elle oubliait que tout cela est cadré par le code des investissements et que nous nous devons d’encourager l’investissement direct étranger, au risque de perdre 400 mille postes d’emplois qui sont sources de revenus pour presque deux millions de familles tunisiennes. Je rappelle aussi que la lettre explicative du ministère des Finances était parvenue le 4 décembre à l’Union Européenne, par rapport à un deadline fixé au 5 décembre et contenait toutes les réponses aux questions européennes et tous les engagements de la part de la Tunisie pour faire les réformes requises. Les ministres des Finances de l’Union Européenne, qui étaient encore en réunion, ont pourtant décidé de ne pas tenir compte de cette lettre, malgré l’opinion du ministre italien des Finances, qui estimait que la lettre du ministre tunisien des Finances répondait à toutes les conditions requises et avait appelé à en tenir compte au cours de la prochaine réunion, le 23 janvier prochain. Faute de quoi, la Tunisie serait restée dans la liste noire, jusqu’à décembre 2018. C’est pour cela qu’il nous faut désormais améliorer la coordination entre les ministères économiques.

N’est-il pas le moment, selon vous, de mettre en place une représentation diplomatique permanente auprès de l’Union Européenne, notre premier partenaire économique et commercial et l’un des plus importants bailleurs de fonds pour la Tunisie ?

L’idée est actuellement à l’étude, au sein du MAE, de transformer le Consulat de Tunisie en Ambassade pour prendre en charge les relations bilatérales et l’Ambassade en Délégation permanente auprès de l’UE pour se consacrer aux relations avec l’Europe. Il nous faudra pour cela les ressources et le budget pour se donner les moyens de notre politique avec notre partenaire stratégique.

Vous évoquiez la politique et les moyens. Or, la Tunisie est en train de se doter d’une politique africaine, sans s’en donner les moyens en matière d’ambassades et de représentations économiques. A quand, au moins une redistribution de ces représentations, diplomatiques et économiques, en fonction de la nouvelle stratégie africaine ?

C’est justement une des actions engagées par le ministre des AE en coordination avec le chef de l’Etat qui est le premier responsable de la politique étrangère dans le pays, mais aussi l’élargissement de ces représentations. L’Afrique est importante pour la Tunisie. Nous étions au Bénin et nous avions vu le potentiel qu’offre ce pays pour notre économie, surtout avec l’ouverture de la nouvelle ligne de Tunisair. Ouvrir une nouvelle ambassade coûte en moyenne un million USD, mais cela devient nécessaire pour assurer la profondeur africaine de la Tunisie et s’y assurer une confortable part de marché.

Concrètement, nous avons ouvert une ambassade au Burkina Faso. Nous en ouvrirons une autre au Kenya à Nairobi qui sera inaugurée par le chef du gouvernement en février prochain. Nous entamerons ensuite une visite de prospection en Afrique anglophone, en Ethiopie et Djibouti. On prépare trois autres ouvertures de nouvelles ambassades, pour 2018, dont les emplacements africains sont encore à l’étude. La prochaine ligne aérienne pour Khartoum sera importante. Le potentiel en tourisme médical est estimé à 1,5 milliard USD. J’ai rencontré à Tunis le ministre soudanais des AE et on en a longuement parlé et les perspectives sont prometteuses.

Il vous reste à résoudre la question des visas. Y avez-vous pensé ?

Dans cette question, il y a le principe de la réciprocité, sans oublier les soucis de sécurité. Une étude est en cours, en coordination avec le ministère de l’Intérieur, pour des visas professionnels ou pour les soins médicaux à Tunis. Nous avons déjà supprimé le visa pour les Béninois, à partir du 15 décembre 2017. La même démarche sera suivie pour le Soudan, une ligne aérienne d’abord et les visas pour les professionnels et le tourisme médical ensuite. Le visa électronique n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour, car nécessitant une étude approfondi et la coordination avec le ministère de l’Intérieur. Nous y arriverons, mais pas en 2018.

En parlant de visas, il est nous faut évoquer la question des visas pour les étudiants africains et les contraintes que vivent ces derniers en matière de permis de séjour en Tunisie. Des contraintes qui virent parfois au drame et entraînent des sanctions financières pour les étudiants africains en Tunisie. Du nouveau à ce propos ?

Il nous faut d’abord revoir la loi sur la résidence des étrangers. J’ai eu une rencontre avec le directeur des frontières au cours de laquelle ont été évoquées les questions, des délais des visas, ce qui les contraint parfois à l’illégalité et entraîne des amendes financières lors du renouvellement et peut aboutir à l’interruption des études en Tunisie. D’ailleurs, nous avons enregistré une baisse du nombre des étudiants africains en Tunisie, qui sont passés de 12 mille à 4.000 seulement, alors que nous ambitionnons 20.000, sans compter un cumul de sanctions financières de 160 mille DT.

Pour y remédier, nous pensons créer le poste d’interlocuteur unique, au ministère de l’Intérieur, pour les étudiants et les hommes d’affaires issus des pays africains. Pour le cumul des amendes financières pour expiration des cartes de séjours, une demande a été introduite auprès du chef du gouvernement pour provoquer un CMR qui pourrait décider une amnistie financière pour toutes les amendes dont ont écopé les étudiants africains en Tunisie. Tout cela, dans l’attente de la révision de nos lois en matière de séjour des étrangers.

Où en est le dossier du membership de la Tunisie au CDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et la Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe), alors que nous apprenons le refus d’entrée d’un autre pays maghrébin qui est le Maroc ?

La Tunisie est déjà membre observateur à la CDEAO. Le secrétaire général de cette organisation était en Tunisie et nous l’avons senti très réceptif à propos de l’entrée de la Tunisie dans ce marché. Il y a des conditions à remplir, comme pour l’Aleca, dont la mobilité, qui sont à l’étude et en négociation. J’estime cependant que si nous arrivons à engager un premier accord préférentiel pour les exportations tunisiennes, dans le cadre d’un processus d’entrée graduelle dans cet important marché, nous aurions franchi un pas important vers un membership à part entière qui pourrait intervenir à la fin 2018. Pour le Comesa, ce marché de 19 pays, nous avons entamé les négociations pour une entrée à la fin 2018 aussi.

Khaled Boumiza

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