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Tunisie : 2012 sera encore plus difficile que 2011, affirme le gouverneur de la BCT.

Ces déclarations faites par Mustapha Kamel Nabli le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) à Africanmanager, sonnent comme un avertissement sérieux pour le citoyen tunisien et toute sa classe politique plus préoccupée par les fonctions à se partager que du redressement d’une situation économique désormais dangereuse. M.K Nabli ne parle pas encore d’austérité, mais les choix deviennent difficiles entre ressources et dépenses, les premiers diminuant et les seconds augmentant.

Le Gouverneur de la BCT qui ne voulait pas trancher, dans sa position, entre l’optimisme et le pessimisme, détaille dans cette interview surtout les points de faiblesse de la situation économique de la Tunisie d’après les élections. Il y évoque aussi le cas de la BFT. Interview :

Comment se présente actuellement la situation économique de la Tunisie et quelles sont ses perspectives après les élections du 23 octobre, selon vous ?

Ce que nous observons, c’est que la situation économique reste difficile et je ne pense pas qu’il ait des prémisses d’une relance à la suite de ces élections. Il y a, au contraire même, de nouvelles difficultés qui s’annoncent du fait de la répercussion sur la Tunisie, des effets de la crise européenne, au niveau des exportations et du tourisme et des phosphates notamment qui n’ont pas repris comme il faut, et la croissance ne semble pas reprendre. Il y a encore beaucoup d’incertitudes et de questions que les opérateurs se posent suite à ces élections. On ne peut donc que continuer à observer et suivre de très près l’évolution de toutes ces conjonctures et notamment la situation post-élection qui est en train de se gérer.

Quelle est, selon vous, la projection de la croissance à la fin de l’année 2011 ?

Elle sera nulle ou légèrement positive, de l’ordre de zéro ou 0,5 % probablement. Il n’y a pas de prémisses de reprise pour le 3ème trimestre pour que la croissance soit positive, bien que le 4ème trimestre soit légèrement positif.

Et pour le déficit courant ?

Probablement de 5,5 % du PIB, ce qui est assez lourd. On s’attend à une détérioration du commerce avec l’Europe, sa crise se détériorant. Nous devons donc faire très attention à ce qui se passe en Europe, car son impact sur la Tunisie sera aussi sérieux.

2012 non plus  ne sera donc pas une bonne année ?

2012 sera, à mon sens, beaucoup plus difficile que 2011. La raison essentielle en est que les marges que nous avions en 2011 ne seront plus là.

Pouvez-vous être un peu plus explicite ?

Nous avions commencé la Révolution avec un certain nombre de marges de manœuvre qui nous avaient permis d’opérer un certain nombre de politiques. Le déficit budgétaire au début de l’année, était assez faible, ce qui a permis de relancer les dépenses publiques et d’augmenter le déficit à 4 %. Cette marge n’est plus là, et l’année prochaine partira déjà avec un niveau de déficit plus important que 2011, avec des dépenses déjà engagées qui sont très importantes, des ressources exceptionnelles qu’on avait à disposition en 2011 et qui ne seront plus là en 2012 et donc des risques de déficit budgétaire beaucoup plus importants. Les réserves de devises que nous avons actuellement sont à un niveau beaucoup plus bas qu’en 2011. Nous sommes à 115 jours d’importation, ce qui est certes confortable, mais on ne peut pas descendre plus que cela et donc, une autre marge que nous n’allons plus avoir en 2012. Nous avions la possibilité, en 2011, de réduire les taux d’intérêt et les réserves obligatoires ; on n’aura plus cette possibilité.

La relance ayant été faite, en 2011, par le levier de la BCT, il nous restera quand même le budget. Aura-t-on assez de ressources budgétaires, l’année prochaine, pour faire face aux conjonctures, interne et externe, et aux besoins d’un 2012 qui sera, comme vous le dites, beaucoup plus difficile ?

Je vous dis que, même pour le budget, 2012 sera plus difficile et les possibilités d’expansion des dépenses seront beaucoup plus réduites qu’en 2011.

Il va donc y avoir recours à l’endettement ?

Ce n’est plus un choix, mais ce sera au prochain gouvernement de décider, soit serrer la ceinture et réduire le rythme d’augmentation des dépenses, soit accepter un endettement beaucoup plus élevé.

Va-t-on droit vers un budget d’austérité ?

Je dis simplement qu’il n’y aura plus de marges suffisantes pour augmenter les dépenses, pour lancer de nouveaux projets, pour affronter le chômage. La possibilité existera, mais dans des proportions limitées.

Y a-t-il déjà un projet de sortie sur les marchés extérieurs pour s’endetter et dans quelles conditions, la notation souveraine de la Tunisie s’étant détériorée ?

Il y a un nouveau gouvernement à venir, et c’est à lui de prendre la décision au vu des options qui seront disponibles.

Où sont alors les différentes promesses d’aides données par le G8, les USA, les Européens et la France ?

Les emprunts on été, en 2011, limités au maximum pour ne prendre que ce qui était strictement nécessaire pour faire face à la situation d’après Révolution. Il y a eu ainsi des emprunts auprès de la Banque Mondiale, de la Banque Africaine de Développement, de l’Agence Française de Développement et un don de l’Union Européenne. Des possibilités existent pour l’année 2012, mais tout cela reste du ressort du nouveau gouvernement.

Nous remarquons au vu des états financiers, annuels ou intermédiaires, que les banques tunisiennes vont bien. Leur PNB est toujours en évolution, leurs résultats aussi et les dépôts des clientèles et les ressources sont aussi en augmentation. Tout évolue chez les banques alors qu’on parle de crise dans le pays … Où est la vérité ?

Vous avez raison de poser cette question. Mais tâchons d’abord de revenir au début de l’année 2011. L’économie était alors à l’arrêt et les dépôts baissaient drastiquement avec même une croissance négative pour certains types de dépôts et certains avaient commencé à retirer les leurs. On n’en parlait pas alors beaucoup, mais ce qui était important pour nous, c’était de veiller à ce que le secteur bancaire tunisien reste en bonne santé et continue de financer l’économie, car le risque de la spirale inflationniste demeure. Il était donc urgent de stabiliser la situation et nous y avons réussi. La BCT avait intervenu pour fournir les ressources monétaires aux banques. Malgré la stabilité des dépôts, cela avait permis d’augmenter les crédits et de financer les entreprises qui s’étaient trouvées en difficultés. Nous pensons que cette politique volontariste qui visait à maintenir le tissu économique tunisien en activité a réussi, et ce n’est pas un hasard que le crédit a continué à être accordé.

Lorsque vous regardez les résultats, les crédits ont augmenté de l’ordre de 10 % sur l’année, ce qui n’est pas du tout négligeable dans une économie en stagnation, et cela a permis aux dépôts et aux ressources d’augmenter, actuellement à 3,6 %, même si cela reste plus faible que l’augmentation des crédits. La différence, c’est que c’est la BCT qui injecte des liquidités à court terme pour des crédits à long terme. Le revers de tout cela, c’est qu’ grande partie de ces crédits est constituée de crédits de consolidation dont une partie va aux entreprises qui ont du mal à se faire financer ou aux entreprises du service public. Les créances classées ont pour autant augmenter, les impayés ont aussi augmenté d’au moins 50 %. Tout cela impactera l’équilibre des bilans des banques.

On va donc retrouver cela dans les bilans 2012 pour les banques ?

C’est ce que je vous disais au début, et cela fait encore partie des marges de manœuvre qui s’en trouvent limitées. Les banques et la BCT auront moins de ressort en 2012.

N’y aura-t-il pas lieu de remettre en marche la planche à billets ?

Mais, en fournissant  de la liquidité, nous créons de la monnaie et le revers sera l’inflation qu’il faudra surveiller.

Des informations ont été publiées, en France et circulant sur les réseaux sociaux, sur une action de nettoyage bancaire,  sous la pression de la banque centrale, dans tout le secteur et principalement sur un crédit donné par la Biat à la BFT. Qu’en est-il au juste ?

Ce que nous savons, c’est la situation financière de la BFT (Banque Franco-Tunisienne) qui préoccupe tout le monde. Cette banque se finançait sur le marché interbancaire, avec des prêts à court terme auprès des banques de la place et peut-être que la Biat figurait parmi les créditeurs de la BFT. Nous avons cependant vu que ces prêts étaient accordés à des taux très élevés. Ce qui s’est passé, c’est que le Trésor tunisien a donné une garantie à la BFT, pour un financement auprès des trois banques publiques à hauteur de 145 MDT, lui permettant ainsi d’emprunter, mais à des taux plus faibles. Il y a eu, en quelque sorte ainsi, récupération de ces crédits auprès du marché interbancaire pour le consolider et alléger la charge de la BFT. Cela a certainement entraîné que certaines banques de la place ne prêtent plus à la BFT, mais cela rentre dans le cadre des solutions qu’on essaie de trouver à la BFT.

Jusqu’à quand ce genre de solutions pour une banque en faillite ?

Cela aussi est un dossier que le prochain gouvernement doit traiter. Nous étudions, à notre niveau, ce dossier ; nous préparons les solutions possibles.

Quelle serait la solution la plus viable, selon vous ?

Il y a des options d’absorption, il y a des options de privatisation. A chacune de ces différentes options, ces avantages et ses inconvénients. Il n’y a en fait pas de bonnes solutions. Toutes sont difficiles et il y aura des choix à faire.

Y a-t-il, parmi ces solutions, une qui ferait le lien avec le litige en cours entre l’Etat tunisien et l’ABC Investments  qui revendique la propriété de cette banque, auprès du CRDI ?

Bien sûr, mais ce que nous essayons de faire, c’est de dissocier ce litige des solutions à trouver, dissocier le conflit qui existe entre l’investisseur en question avec la BFT et l’Etat tunisien de la solution à trouver.

Il n’est pas question donc de lui rendre la banque ?

Je ne suis pas au courant de proposition dans ce sens.

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