Le Tunisien vit depuis quelques temps au rythme d’une crise économique touchant quasiment tous les compartiments de la vie. Des pénuries du sucre, du café, du lait, de l’eau et tutti quanti, avec tout ce que pourrait engendrer cette rareté des produits comme spéculation, monopolisation de marché et bien évidemment de hausses des prix… Il n’y a guère une exception pour les fruits et les légumes qui étaient jadis des produits bon marché et à la portée de tous. Hélas, ce n’est plus le cas !
Mercredi 14 septembre 2022, Africanmanager a mis le cap sur Aousja à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Tunis , un petit village agricole situé entre El Alia et Ras Jebal, rattaché à la délégation de Ghar El Melh, gouvernorat de Bizerte, qui était sorti quelques jours plus tôt de l’anonymat pour avoir reçu la visite « impromptue » du président de la République, Kais Saied, dans le cadre de sa lutte contre les spéculateurs
Il s’était agi d’une randonnée à travers les étals improvisés du marché de légumes et de fruits où, cependant, l’on ne se bouscule pas au portillon.
Des vendeurs accueillants à droite et à gauche qui exposent leurs marchandises n’hésitant pas à inviter le potentiel acheteur pour peu qu’il s’attarde devant leur étalage.
Des prix dans les normes mais…
La marchandise est exposée sur les étals et les prix affichés varient entre 1.5 DT et 1.7 DT pour les pommes de terre, les tomates entre 1 DT et 1.5 DT, les oignons proposés à 1.2 DT/kg, les poivrons à 2.5 DT/kg, les piments 2 DT/kg, les courges entre 2 à 1.5 DT/kg, les concombres à 1.5 DT… Pour ce qui est des fruits, on trouve les raisins dans une fourchette de 3 DT à 3.5 DT, les pommes à 3 DT, les poires à 4 DT, les pêches de 2.5 à 3 DT, les pêches plates à 3 DT, le melon entre 1 et 1.5 DT le kilo et e citron à 3 DT…
D’emblée, on ne peut pas ne pas noter que dans ce « souk », les prix des légumes et fruits sont abordables mais la différence n’est pas énorme avec ceux qu’on retrouve dans la capitale. Autrement dit, hormis les quartiers dits « huppés », on peut acheter ces produits au même prix ou même à un prix moins cher dans un quartier populaire comme cité Ettadhamen-Mnihla dans le Grand Tunis tout en faisant l’économie d’un déplacement.
Sur la route, à l’entrée du village, on voyait des marchands dans des édicules vendant des légumes dans des paniers en plastique.
« Le panier de pommes de terre est à 2.5 DT contenant 1.5 kg », criait le marchand.
Mais on est en peine de savoir que ce panier ne contenait que 1.2 kg quand une fois pesé son contenu chez l’épicier du coin et pareillement pour les tomates, les piments et les raisins qu’on avait achetés.
Croyant avoir fait une bonne affaire, on s’aperçoit de l’arnaque de ces vendeurs « à panier», chez qui le prix du kilo revient plus cher que chez les autres marchands, situés au centre du village qui vendent à la pesée, comme l’avait confirmé Amor , un commerçant reconnaissant dans une déclaration à Africanmanager avoir fait siennes ces pratiques depuis un temps pas très lointain.
« 3am Tijani », un consommateur et vieil épicier de la région, a estimé que les prix, surtout ceux des fruits sont élevés. Concernant ces manœuvres dolosives, il a affirmé qu’elles ne sont nullement un secret pour les originaires de la région et que seuls les passagers se font avoir.
« Si on veut avoir une idée véritable sur les prix, il faut aller au centre du village ou bien au « souk » hebdomadaire et ne pas traiter avec des profiteurs à l’entrée de Aousja au bord de la route », a-t-il indiqué.
Autorisations et taxes
Concernant les autorisations, tous les vendeurs en ont. Cependant, ils ne payent pas tous les mêmes taxes à la municipalité.
En effet, ce que payent ces marchands ou qu’on peut appeler aussi « vendeurs à panier » ce n’est que trois fois rien par rapport aux autres commerçants avec des autorisations saisonnières qui ne dépassent pas les 70 dinars dans le meilleur des cas.
« Certains payent seulement 1 mois à la municipalité et utilisent cette autorisation durant toute la saison estivale… », révèle l’un d’eux.
Sofiane, un jeune vendeur et agriculteur à la fois, s’est laissé aller en notre présence à mettre le doigt sur les adversités rencontrées par ces marchands de fruits et légumes.
« Personnellement, je paye 570 DT par an à la municipalité, alors que ces vendeurs que vous retrouvez sur la route ne payent que 15 ou 30 DT et profitent en plus de la crédulité des clients passagers », a-t-il affirmé en exhibant son autorisation libellée à son nom.
« En plus, on en a marre de ces descentes nous ciblant plutôt que d’autres ! Par exemple, on m’a infligé une amende car j’ai une balance électronique contrefaite de fabrication chinoise ! Je n’ai pas les moyens de m’en acheter une à plus de 1000 DT », a-t-il expliqué.
« La question qui se pose, c’est pourquoi les autorités n’interdisent pas d’emblée l’entrée de tel matériel au marché », s’est-il interrogé en toute amertume.
« Etant père de famille de trois enfants, je n’arrive plus à couvrir le coût de production et à joindre les deux bouts, bien que je sois agriculteur et marchand en même temps, … Je vais renoncer à ce métier, je vais tout abandonner et partir à l’étranger même clandestinement ! On ne peut plus vivre dans ce pays », déplore-t-il tout aussi amèrement.
Parlant de la vente directe et de l’agriculture, un cultivateur a confié à African Manager qu’il a vendu tout son troupeau de vaches laitières et de moutons car il n’arrive plus à couvrir les coûts de productions vu la cherté des aliments si on en trouve en plus de la pénurie d’eau. « D’ici deux ou trois ans, le secteur de l’élevage bovin va s’effondrer… », a-t-il prévu.
Beaucoup de problèmes ont été soulevés pendant cette visite à Aousja, qui se conjuguent tous pour aboutir à une seule et unique conclusion, c’est que toute la chaîne agricole vit une véritable crise qui a impacté directement le consommateur et a ouvert la porte aux profiteurs.
Il est à rappeler que le chef de l’Etat Kaies Saied avait effectué une visite à Aousja et Kalâat El-Andalous, la semaine dernière, au cours de laquelle il a rencontré des agriculteurs qui vendent leurs récoltes à des prix qui couvrent la production dépassant de loin ceux qui sont pratiqués dans les marchés, tirant la conclusion que la pénurie de certains produits est le résultat des pratiques de distribution, selon un communiqué de la présidence de la république.