Telle une boule de neige ou plutôt un feu de brousse, les réactions aux propos tenus, le 21 février dernier, par le président de la République, Kais Saied, le plus solennellement du monde, devant le Conseil de sécurité national, sur l’immigration subsaharienne, n’ont pas l’air de devoir se calmer. Au contraire, les rangs des « offensés » Etats, organisations et même institutions internationales, et non des moindres, ne cessent d’enfler. Et il est fort à parier que le tollé soulevé depuis deux semaines ne devrait pas s’essouffler, comme le préfigurent les commentaires de la presse mondiale, prompte à faire ses choux gras de ce qu’elle regarde comme une diatribe aux allures racistes, improvisée par un chef d’Etat, plus est africain.
Kais Saied s’est-il allé à dire des choses qui ne reflétaient pas réellement ce qu’il pensait ? On peut le présumer au regard des rétractations , pas totalement explicites certes, qui se sont succédé sous forme de communiqués portant le sceau de la présidence de la République, de la Primature, et du ministère des Affaires étrangères, dont le nouveau patron, Nabil Ammar, a tout loisir pour se démener sur bien des fréquences pour arrondir les angles, mais aussi pour dire que le président de la République tunisienne ne présentera pas des excuses pour les déclarations qu’il a proférés. Ce qui, convenons-en, n’est pas pour désamorcer cette flambée dont la diplomatie aurait pu faire l’économie, pour s’investir dans d’autres dossiers dont le bénéfice serait ressenti par les Tunisiens.
Au fait quelle importance la question de l’immigration subsaharienne revêt dans la hiérarchie des problèmes qui occupent les Tunisiens, les agitent même pour s’emparer si abruptement de l’attention générale et du tempérament public ? L’interrogation vaut d’être posée et d’autant plus que l’Agora tunisienne peut s’accommoder d’autres sujets et de défis autrement plus mobilisateurs, moins clivants, donc plus fédérateurs.
Un exercice périlleux !
Kais Saied a-t-il bien mûri, le 21 février, cette harangue qu’il avait livrée ou s’agissait-il d’une vue de l’esprit subreptice qu’il a articulée de mémoire sans se référer à un texte dûment élaborée et circonstanciée, s’agissant d’un sujet aussi sérieux voire grave comme celui de dire son fait à une communauté de migrants subsahariens ? La démarche la plus convenue est généralement de se livrer à cet exercice extrêmement périlleux en sachant tenir sa langue et dire les choses dans les règles de l’art.
Ceci alors que les Tunisiens ont besoin d’autre chose dans ce maelström qui ballotte si férocement l’immense majorité d’entre eux et qui ne sait plus à quel saint se vouer, sous l’effet d’une conjonction d’écueils qui ont pour noms chômage, éducation abîmée, santé vacillante, horizon désarticulé, le tout enveloppé d’une désespérance vouée à devenir son alliée de longue durée.
Autant dire que le chemin est plus que jamais semé d’embûches et que la Tunisie est de moins en moins outillée pour congédier cette multitude d’obstacles qui inhibent son essor, si essor il y a, alors qu’il lui arrive plus souvent que par le passé d’être en proie à des crises plus exogènes qu’endogènes, comme par exemple la guerre en Ukraine et ses retombées gravissimes sur le quotidien de son peuple ou encore les effets qui s’aggravent sans discontinuer et prennent racine dans la succession de mauvais choix pris au lendemain du 14 janvier 2011, dans l’exécrable gestion de la chose publique à laquelle elles ont donné lieu et enfin dans la propension de bien des pans de la population à être chevillés au mythe de l’Etat-providence.
Ce qui accentue d’autant le désespoir, c’est que quasiment rien n’a été fait ni tenté pour arracher le pays à ce marécage dans lequel il s’est trouvé embourbé, alors que sur le plan politique, les approximations, les improvisations et l’impéritie tiennent mordicus le haut du pavé. Les changements dont on espérait des dividendes salutaires peinent à porter leurs fruits, se traduisant par des travers, des errements et des caps qui n’ont pas l’heur d’indiquer la bonne direction à prendre.
Un gâchis qui ne dit rien de bon pour un peuple plus enclin à s’accrocher à des chimères qu’à se retrousser les manches, choisir dûment et à bon droit ceux qui ont vocation à le diriger, et surtout savoir démêler le bon grain de l’ivraie.