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La Tunisie encore sous le joug du  féminisme d’Etat!

Le 13 août, la Tunisie célèbre la « Journée nationale de la femme », mais cette journée se déroule dans un contexte d’inégalité pour beaucoup. Malgré les efforts des féministes et des militants des droits de l’homme, les femmes tunisiennes ne peuvent toujours pas  accéder à l’égalité successorale.

De nombreux Tunisiens, y compris des femmes, refusent l’égalité devant l’héritage et rejettent le discours des Nations unies sur l’équité entre les sexes en faveur d’une version des droits des femmes fondée sur les interprétations religieuses du Coran.

L’opposition aux changements de la loi sur l’héritage dans la Tunisie post-révolutionnaire découle largement de l’importance continue de la religion. Et ce, malgré les politiques féministes sécularisées qui ont été introduites sous les deux premiers présidents après l’Indépendance.

Habib Bourguiba, qui a dirigé la Tunisie de 1956 jusqu’en 1987, a introduit le code de la famille en 1956. Ce code du statut personnel, qui garantit davantage de droits aux femmes, représente le texte législatif qui s’écarte le plus des normes islamiques. Pour cette raison, le code était et est toujours sans précédent dans le monde arabe et musulman.

Alors que la loi islamique fait du divorce le droit exclusif  et discrétionnaire de l’époux, le Code de Statut Personnel  (CSP) en a fait une affaire civile accessible aux épouses comme aux maris.  Et tandis que   la répudiation reste une tradition musulmane courante, pratiquée jusqu’à aujourd’hui dans de nombreux pays arabes à majorité musulmane, le CSP a mis fin à la possibilité pour le mari de dissoudre le mariage en disant simplement trois fois à sa femme « tu es divorcée ». La polygamie a également été criminalisée.

Le code représente une étape importante dans la modernisation et la laïcisation relative du pays. Bourguiba a lié ses innovations juridiques laïques à la critique publique répétée des érudits islamiques et des traditions religieuses comme le jeûne, le voile et le pèlerinage. Dans cette optique, il a interdit l’université de Zitouna et s’est prononcé contre le voile, qu’il a qualifié de « chiffon misérable » et de « linceul épouvantable ».

Une  législation insuffisamment sécularisée

Cependant, la législation tunisienne de cette nature n’était pas totalement sécularisée. Au contraire, et  au rebours de ce que pensent de nombreuses personnes en Tunisie et à l’étranger, le Code du statut personnel était et reste ancré dans les enseignements de l’Islam, puisqu’il s’est basé sur le droit de la famille malékite (école de pensée sunnite), affirme  Jyhene Kebsi,  maître de de conférences à Macquarie University dans une analyse relayée par « The News Arab ». Elle  cite l’universitaire tunisien Nouri Gana  qui soutient que « sans équivalent dans le monde musulman, à l’exception peut-être du code civil turc de 1924, le code tunisien n’a cependant pas aboli complètement la charia, ou loi islamique, et n’a pas procédé à une imitation à l’emporte-pièce du modèle européen quelque peu « à la Ataturk ». »

Malgré ses attaques contre le clergé, Bourguiba présente le Code comme un retour au véritable esprit de l’Islam à travers la réforme des questions liées au statut de la femme. Le premier article de la Constitution tunisienne définissant la religion du pays comme étant l’Islam, Bourguiba insiste sur le fait que le Code n’enfreint pas les lois de la foi et qu’il a consulté certains érudits islamiques qui ont affirmé qu’il était conforme à l’esprit et à la bonne interprétation de celle-ci. 

Certes, la législation qui a été mise en œuvre après 1956 était limitée. Malgré des réformes progressives qui s’écartent de la charia, la réticence de la Tunisie à signer la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), en 1979, indique la portée limitée du féminisme d’État sécularisé.

En 1984, le gouvernement a émis des réserves sur certains des droits de la Convention de Copenhague sur la CEDEF, notamment en ce qui concerne la question de l’égalité en matière d’héritage. Le gouvernement tunisien n’a ratifié la convention qu’en 1985, après que l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (AFTURD) et l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) ont présenté un document dans lequel elles demandaient la mise en œuvre intégrale du traité.

Lorsque Zine El Abidine Ben Ali a pris le pouvoir une approche similaire de féminisme d’État s’est poursuivie. Ainsi, en 1993, il a aboli une partie du Code relative au devoir d’obéissance de l’épouse envers son mari.

Ben Ali a également révisé le Code de la nationalité, permettant ainsi aux mères tunisiennes de transmettre leur nationalité aux enfants nés hors de Tunisie, quelle que soit la nationalité du père. Cette mesure était également sans précédent dans les pays à majorité arabo-musulmane de l’époque.

La réforme de 1993 a également accordé la tutelle automatique des enfants à la mère en cas de divorce. Toutefois, elle n’a pas modifié le statut de la mère dans l’institution familiale, le mari étant toujours considéré comme le « chef ». Une fois de plus, les politiques de l’État à l’égard des femmes étaient limitées.

Une méfiance vivace

La méfiance envers le féminisme (d’État) s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, affirme Jyhene Kebsi, lauréate de plusieurs prix et récompenses, dont le Fulbright .

En effet, le féminisme d’État s’est historiquement appuyé sur la sécularisation de différents aspects de la société tunisienne. Cependant, la religion est restée une partie importante de la vie de la population, notamment dans son approche de l’égalité des sexes, de la famille et des libertés civiles. En outre, certaines des stratégies de sécularisation introduites au cours des dernières décennies ont aliéné la population locale, notamment l’interdiction du voile.

L’opposition aux changements concernant la loi sur l’héritage dans la Tunisie post-révolutionnaire peut donc être comprise dans le même cadre, à savoir la crainte des traditionalistes de perdre ce qu’ils perçoivent comme leurs racines musulmanes, et un leadership répressif.

Sans compter que le retour de nombreux hommes et femmes tunisiens aux valeurs conservatrices, et leur récupération de leur identité arabo-islamique « authentique » dans la Tunisie post-révolutionnaire, lie fortement les féministes tunisiennes et les mouvements féministes de base au néo-colonialisme français. Cela a été particulièrement le cas suite à la demande d’égalité d’héritage.

Des manifestations ont été organisées contre l’égalité de l’héritage, ce qui indique que de nombreuses femmes tunisiennes rejettent le féminisme laïc et étatique en faveur d’une conception islamique du statut des femmes dans la société et l’institution familiale.

Tout ceci reflète finalement la complexité de la politique de genre dans la Tunisie post-révolutionnaire qui, malgré de nombreux changements au cours des décennies, reste marquée par des lois d’héritage inégales envers les femmes, conclut l’universitaire.

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