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Le mensonge d’Etat

Dans un silence officiel assourdissant et l’agitation toute en bruit sur les réseaux sociaux des consommateurs, la pénurie s’installe en Tunisie pour nombre de produits de première nécessité. A Carthage, on préfère parler de « monopole et de spéculation », pour rejeter la faute sur les autres.

La question a été, encore une fois, abordée par Kais Saied, mardi dernier à Carthage, en recevant la cheffe du gouvernement, Nejla Bouden qui écoute et ne dit rien, alors qu’il s’agissait d’une de ses ministres. L’accent a en effet été mis sur la nécessité pour le ministère du Commerce d’assumer pleinement la responsabilité de l’application de la loi.

« Le phénomène de monopole et la disparition de certaines denrées vitales se sont généralisés en Tunisie alors que ces dernières sont disponibles en quantité suffisante dans les entrepôts des spéculateurs.  Le ministère du Commerce dispose de tous les moyens légaux pour remplir l’office qui est le sien et le décret-loi qui a été promulgué n’a pas vocation à être uniquement publié au JORT, mais à être appliqué à tout le monde et sur un pied d’égalité », disait Saïed à Bouden.

  • Qui crée la spéculation, si ce n’est l’Etat qui a le monopole ?

Rappelons, d’abord, qu’en Tunisie le monopole pour l’achat et la distribution des denrées de première nécessité est détenu par l’Etat. C’est l’office des céréales qui l’exerce  pour le blé dur et le blé tendre , l’office du commerce pour le sucre, le café et le thé, l’office de l’huile pour ce qui est appelé à juste titre « زيت الحاكم », (Traduisez l’huile étatique) et la Stir pour les carburants. Ces offices sont les ordonnateurs, et la BCT est le payeur en dernier ressort, car le paiement se fait en devises après demande de l’acheteur qui doit avoir la contrepartie en DT. « Accuser » d’autres parties, comme d’habitude sans les nommer, de former des monopoles, est donc un mensonge d’Etat.

Sinon, la spéculation est définie par les dicos comme étant toute « opération, financière ou commerciale, fondée sur les fluctuations du marché ». L’achat et la vente, en Tunisie, de toutes ces denrées est aussi le monopole de l’Etat et non des privés. C’est l’Etat qui détermine les prix, la disponiblilité ou la rareté des produits de première nécessité, et crée donc de fait la spéculation. Les premiers spéculateurs sont d’abord les acheteurs publics. Ils font même parfois spéculation sur la devise dont le cours est volatile et changeant, car ils n’ont pas recours à l’assurance, ou au Hedging.

Et s’il existe réellement des spéculateurs professionnels, les stocks sont une pratique, industrielle, commerciale et domestique, courante et normale dans la bonne gestion d’une entreprise.

La justice l’a d’ailleurs confirmé, comme dans l’affaire du rond à béton, in fine remportée par l’industriel qui avait été alors décrié et maltraité par le chef de tout l’Etat. Et il est même antiéconomique et contreproductif de considérer des entreprises de fabrication de boissons, de yaourts, les boulangers ou les pâtissiers, comme étant des spéculateurs car ils font stocks pour éviter la rupture de la production, l’arrêt de leurs usines et le chômage de leurs employés.

Et la pénurie, c’est aussi parfois, comme dans le cas des viandes blanches, par la limitation de la production, pour limiter l’importation de certains intrants. Cette spéculation financière retarde l’approvisionnement, crée la pénurie et engendre la spéculation commerciale. Soupçonner et accuser les professionnels de l’eau minérale de stocker à des desseins spéculatifs et à des fins lucratives, c’est passer à côté de la plaque, et le pays aurait connu plus grave pénurie en eaux minérales, cet été alors que les coupures d’eau par la Sonede étaient devenues la règle, si les industriels n’avaient pas fait usage de stocks. Et cela aussi, est un mensonge d’Etat.

Pour le reste, qui vend en gros et en détail toutes ces denrées, autre que les Offices de l’Etat ? Seraient-il eux les fournisseurs des spéculateurs dénoncés par le chef de tout l’Etat ? Saïed a-t-il diligenté enquête avant d’accuser ? Si oui, où sont les sanctions contre l’OCT, qui perd par ailleurs beaucoup d’argent à cause de la politique des prix de l’Etat ?

Le chef de tout l’Etat, à qui les ministres, dont celle du commerce, donnent tous les détails, connaît bien tout cela. Pourquoi ne le dit-il pas, et ne laisse pas les ministres le dire ? Mystère et boule de gomme. « Le silence peut être parfois le plus cruel des mensonges » écrivait l’Ecossais Robert Louis Stevenson. Et cela est plus lourd, lorsque c’est l’Etat qui impose ce silence.

  • La solution de la pénurie est l’abondance de l’offre, et l’Etat n’en a pas les finances

Ce qui est certain, c’est que le remède à la pénurie et la spéculation demeure l’abondance qui cassera même les prix. Or, ce que la présidence de la République ne veut pas dire et que le gouvernement ne peut pas dire, c’est qu’il n’y a pas dans les caisses de quoi payer les importations, de carburants, de céréales, de café et autres produits. Ce n’est pas le Shutdown, c’est l’incapacité épisodique de trouver les ressources à l’instant du paiement des presque 400 conteneurs de café, des quelques céréaliers en rade à Radès, et de payer la commande de produits pétroliers pour pallier  certaines défaillances d’approvisionnement qui est aussi en rade à Radès. Et c’est le syndicat, pour le cas des produits pétroliers, qui affirme que « le problème réside dans le fait que certains fournisseurs revendiquent le paiement de leurs arriérés avant de décharger la cargaison (ar) ». Cela n’est pas dit par le gouvernement, et cela est aussi une cachoterie étatique, et donc un mensonge d’Etat.

Et tout cela, Gouvernement et présidence de la République le cachent à la population. « Pour ne pas l’inquiéter » disent les optimistes qui croient que la situation se résoudra dès septembre lorsque le FMI donnera son accord d’assistance financière, et que cet accord ouvrira les portes des marchés financiers. « Pour ne pas déranger ses propres projets politiques », disent les pessimistes qui croient fermement que la crise s’installe dans une Tunisie qui pourrait se « libaniser », et qui ont peur que le rationnement ne mette le feu aux poudres d’une rentrée chaude.  Dans tous les cas, c’est mensonge de ne rien dire de tout cela à la population qui ne veut pas croire à la fin de l’ère de l’abondance.

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