Traitements inhumains, morts maquillées en suicides, procès bâclés, incarcérations arbitraires… ce sont là en gros traits les ingrédients du sort qui est réservé à une multitude de migrants tunisiens, appréhendés sur le sol italien, et pour la plupart « écroués » dans des centres de rétention. L’un d’eux, Wissem Ben Abdellatif, a payé de sa vie ce traitement. Le procès, intenté par sa famille, vient d’être reporté au 10 septembre 2025, apprend l’agence TAP auprès de son avocat.
Le président du FTDES, Romdhane Ben Amor, a indiqué que le défunt a « subi des violations graves, dues surtout au manque de soins médicaux et de nourriture, à la peur du rapatriement forcé ainsi qu’aux violences subies lors de son transfert à l’hôpital, où il a été maintenu attaché pendant plus de 100 heures ». Il a ajouté que le cas de Wissem Ben Abdellatif n’est pas isolé, soulignant que des témoignages récurrents font état de morts suspectes et de suicides dans les centres de détention italiens.
Le président du FTDES a dénoncé le fait que ces centres soient gérés par le secteur privé et non par l’État italien, ce qui, a-t-il dit, entraîne de nombreuses violations : mauvaises conditions d’hébergement, manque de communication avec les familles ou les avocats, absence de soutien juridique, et recours à des médicaments sédatifs pour empêcher toute forme de contestation.
D’après lui, « les suicides ou décès suspects sont souvent une forme extrême de protestation contre des conditions de vie inhumaines » que subissent les migrants. Le défenseur des droits des migrants, Majdi Karbai, a fait état de cas similaires ayant entraîné la mort de ressortissants tunisiens soir des centres de rétention ou en prison.
Rapatriement forcé des migrants
Selon le ministère italien de l’Intérieur, 470 Tunisiens ont été rapatriés d’Italie au cours du premier trimestre 2025 (1er janvier-31 mars 2025). Quelque 238 migrants irréguliers tunisiens sont arrivés en Italie durant la même période.
De même, les autorités italiennes ont rapatrié 1452 migrants durant le 1er semestre 2024 et 2006 migrants en 2023, selon les données publiées début avril par le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux.
Une étude élaborée par le FTDS en collaboration avec l’organisation « Avocats sans Frontières » et l’association d’études juridiques sur l’immigration, publiée en 2022, a indiqué que l’un des premiers obstacles devant les Tunisiens tout au long du processus migratoire en Italie est souvent lié à l’absence d’informations claires : 89% des personnes interrogées et détenus dans un Centre de Permanence pour le Rapatriement (CPR) n’ont pas été informés des motifs de leur détention ; 80% ne se voient délivrer aucun document par les autorités italiennes lors de leur rapatriement ; 70% déclarent n’avoir pas reçu des informations sur la protection internationale.
L’étude mentionne de ce fait que « la difficulté d’accéder à l’information est devenue une pratique courante, et ce, pour empêcher les migrants de faire valoir leurs droits et ainsi accélérer les mesures de rapatriement, d’après la même étude.
Dans une déclaration, des associations et organisations italiennes à l’instar du « Comité Vérité et Justice pour Wissem », affirme que la mort de Wissem Ben Abdellatif témoigne de « l’urgence de désinstaller les Centres de permanence pour le rapatriement et de sanctionner les traitements inhumains infligés aux migrants ».
Accords et protocoles d’entente
Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux estime, que le rapatriement forcé et massif de migrants tunisiens est « une atteinte grave à la dignité des Tunisiens ». Pour lui, c’est le résultat des politiques menées depuis des années et qui portent atteinte aux droits et la dignité des migrants tunisiens, et ce, sur la base d’accords et de protocoles d’entente « injustes qui ne respectent ni les lois ni les conventions internationales et régionales ».
Le FTDES a indiqué avoir porté intenté, en 2018, en collaboration avec la société civile en Italie, un procès en justice (devant la Cour européenne des droits de l’homme) contre le gouvernement italien, au nom d’un groupe de migrants tunisiens en situation irrégulière. La Cour a statué le 30 mars 2023 en faveur de quatre d’entre eux, leur accordant une indemnisation « sur la base de leurs témoignages sur les conditions inhumaines qu’ils ont subies à Lampedusa et dans les centres de rétention ».
« Mesures diplomatiques nécessaires »
Des organisations et associations actives et engagées sur les questions migratoires ont appelé à prendre des « mesures diplomatiques nécessaires » et à « ouvrir des canaux de dialogue avec les pays européens concernés », afin de protéger les droits des Tunisiens à l’étranger, conformément aux lois et conventions internationales garantissant le droit à la libre circulation. La question ne concerne pas uniquement les migrants en situation irrégulière, mais également ceux dont la situation est en cours de régularisation.
La Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) a, dans une déclaration publiée jeudi dernier, exhorté les autorités à fournir un soutien juridique et judiciaire aux migrants tunisiens menacés de rapatriement forcé, et à revoir les accords bilatéraux et multilatéraux signés par l’État tunisien, dans le respect de la souveraineté nationale, de la Constitution, et des principes du droit international humanitaire, qui garantissent le droit à la mobilité et le libre choix du lieu de résidence.
La Ligue a également appelé les pays européens à respecter les droits humains, les conventions et traités internationaux, ainsi que la dignité humaine, et à mettre fin aux traitements inhumains, illégaux et racistes des migrants. Elle a affirmé que la défense de la dignité humaine et la protection contre toutes formes d’agression et de discrimination relèvent non seulement d’une responsabilité légale, mais aussi d’un devoir moral et humain.