Le binôme franco-italien est-il parvenu à arracher à la Tunisie davantage qu’elle n’a concédé en termes de retour forcé de ses nationaux expulsés ? Au regard des déclarations faites de part et d’autre à l’occasion de la visite à Tunis du ministre français de l’Intérieur Gerald Darmanin et des plans concoctés par ce dernier avec son homologue italienne à Rome, on ne serait pas loin de penser que les autorités tunisiennes ont été amenées à composition moyennant quelques ajustements.
Mais il est déjà presqu’acquis que des navires et des avions, pour la plupart italiens, devraient être déployés pour surveiller les eaux internationales au large de la Tunisie afin de signaler aux autorités du pays le départ des bateaux de migrants. Le plan, proposé par l’Italie, a été discuté par les deux ministres italien et français et présenté par ce dernier aux autorités tunisiennes. En gros, il vise à sévir contre l’immigration clandestine en provenance de la Tunisie, qui a connu une forte hausse en raison également d’une crise économique dramatique causée par la pandémie de coronavirus, et à empêcher les terroristes potentiels de se faufiler parmi les immigrants après l’attentat de Nice le mois dernier, sachant que le Tunisien qui a tué trois personnes à Nice a débarqué sur l’île italienne de Lampedusa fin septembre et s’est rendu en France début octobre, selon des sources sécuritaires
De façon moins particulière, les ministres italien et français ont mis l’accent sur la nécessité d’une action commune au niveau européen pour mener une bataille, « également culturelle », contre le djihadisme et la radicalisation. Ils ont parlé du partage des stratégies à Bruxelles et en Afrique et ont évoqué la nécessité d’impliquer l’Allemagne pour un front commun contre les pays de Visegrad — la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie.
Deux plans d’intervention
L’action commune discutée par Rome et Paris comprend deux plans d’intervention : l’un impliquant des initiatives conjointes italo-françaises et l’autre visant à associer Bruxelles. Le premier prévoit la création de brigades conjointes de patrouilles frontalières dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Le projet expérimental durera six mois et comprendra l’ouverture d’un poste de police des frontières à Bardonecchia.
« Ce projet n’a pas été créé aujourd’hui », a tenu à indiquer la ministre italienne de l’Intérieur Luciana Lamorgese. « Nous y travaillons depuis un certain temps et il sera bientôt opérationnel pour une période d’essai de six mois ». Son homologue français a assuré que « les frontières ne seront pas fermées mais il y aura ces brigades communes pour renforcer les contrôles. La libre circulation et les échanges commerciaux sont garantis- la lutte est contre le terrorisme et l’immigration illégale ».
L’Europe jouerait un rôle clé dans ce contexte avec des mesures adéquates pour améliorer les conditions de vie dans les pays de provenance et de transit de l’immigration. Bruxelles aurait également un rôle crucial à jouer dans les rapatriements. « Une feuille de route est nécessaire pour négocier des accords de réadmission avec les principaux pays africains qui n’ont pas encore été activés », a également déclaré Lamorgese qui a affirmé que le plan « implique évidemment la pleine adhésion de la Tunisie ».
La potentielle fin de non recevoir tunisienne ?
Tout naturellement, c’est la question du rapatriement des radicalisés tunisiens qui a figuré en bonne place dans les entretiens de Darmanin à Tunisie. Son homologue tunisien, Taoufik Charfeddine, tout en indiquant que son pays est « prêt à recevoir n’importe quel Tunisien », a nuancé que « cela doit se faire selon les conditions et règlements » prévus par le droit international et en « préservant la dignité du Tunisien ».
Une lecture plus réaliste et conforme aux craintes des Tunisiens a été livrée par l’amiral Kamel Akrout, ancien premier conseiller de la sécurité nationale auprès de la présidence de la République du temps de feu Béji Caïd Essebsi, dans une interview au site « The Arab Weekly ». Il a déclaré que « les extrémistes expulsés sont comme des bombes à retardement, hautement explosives et représentent un danger pour la sécurité et la stabilité de notre pays ». De plus, a-t-il ajouté, « les surveiller est une tâche très coûteuse qui dépasse de loin les capacités de la Tunisie, d’autant plus que nos forces de sécurité et militaires sont engagées depuis dix ans dans une guerre ouverte contre le terrorisme, les trafics, les migrations illégales, le crime organisé découlant de la situation en Libye, au Sahel et au Sahara ; et contribuent en fin de compte à protéger la rive sud de l’Europe ».
Et d’ajouter : « la position tunisienne a toujours été stricte en ce qui concerne la question du retour des jihadistes des zones de conflit, et jusqu’à présent nous n’avons aucune information indiquant si la Tunisie acceptera ou non la demande de la France ou de tout autre pays. J’exclus personnellement que la Tunisie accepte la demande française, ou qu’elle soit prête à recevoir des extrémistes que la France, malgré ses capacités considérables, a eu du mal à dissuader et à contenir ». « La question est une question de sécurité nationale par excellence, et à mon avis, la décision devrait revenir au Conseil national de sécurité tunisien après son examen par les commissions permanentes spécialisées, en notant que si la demande française est satisfaite, nous aurons du mal à refuser des demandes similaires d’autres pays. Nous devrions également nous préparer à l’éventualité que le fait d’accepter de recevoir cinq rapatriés, par exemple, puisse rapidement se transformer en une obligation d’accepter dix fois plus, voire plus », a averti l’ex conseiller de sécurité nationale.