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«Saied agit selon sa vision de lui-même, Ghannouchi plongé dans des pratiques douteuses», selon un analyste du CIDOB

La Tunisie ne serait pas loin de la description dont l’affublent ses contempteurs l’assimilant aux écuries d’Augias qu’il est devenu de la toute première priorité de nettoyer.  Et pour autant qu’existe la volonté de s’y attaquer, nul ne sait par quel bout il faudra le faire. Plus d’une  dizaines d’années n’ont pas suffi à autant de gouvernements depuis le soulèvement de 2011  pour au moins stopper l’hémorragie  et envisager  même  un sommaire  début de solution aux multiples crises qui secouent le pays.

La dernière en date et sans doute la plus absurde  et celle où lesdits trois présidents se retrouvent à couteaux tirés pour un litige d’autant plus futile qu’il porte sur une formalité presque protocolaire à remplir au travers d’une prestation de serment dans la foulée d’un remaniement ministériel somme toute ordinaire comme il s’en fait partout dans le monde. Du coup, les institutions politiques se sont retrouvées frappées de paralysie dans un pays  de plus en plus dévasté  par le  coronavirus  et en proie à d’immenses problèmes, d’indicateurs économiques et financiers clignotant au rouge.

L’assidu observateur averti de la situation en Tunisie, Francis Ghilès, dans une analyse publiée sur « The Arab Weekly », pointe  plus particulièrement l’absence de réformes qui a « déçu les principaux partenaires économiques internationaux du pays à Washington, Bruxelles et Paris ». Il ajoute que les diplomates occidentaux qui travaillent à Tunis savent qu’ils ne peuvent pas prendre  les gouvernements tunisiens au mot. Le « bilan des programmes successifs du FMI est globalement décevant », concluait l’été dernier un rapport confidentiel sur la Tunisie pour le ministère français des Finances.

« Décevant » signifie, en clair, qu’ils ont échoué. « Un groupe de familles (que le rapport estime à 14) maintient un système rentier qui fonctionne grâce à une réglementation qui restreint la concurrence. »

L’OCDE pointe du doigt une liste interminable de « licences et autorisations » nécessaires pour investir, obtenir des crédits bancaires… et des « règles bureaucratiques lourdes. » Le décret 218-417 a été publié il y a trois ans et, avec 221 pages, il est le plus long texte juridique de l’histoire du pays. Son objectif, qui a totalement échoué, était d’améliorer l’environnement des affaires. Il énumère 243 licences et autorisations de ce type, mais seules six d’entre elles ont été annulées dans les deux ans qui ont suivi sa publication.

« Le contrôle bureaucratique, le pouvoir de la fonction publique d’accorder des licences, des autorisations, des crédits ou une dérogation douanière constituent autant d’entraves à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux investissements » note le rapport.

Le secteur public, un vampire !

Le secteur public est devenu un vampire qui aspire la vie même de l’économie tunisienne, relève le chercheur au Centre de Relations internationales à Barcelone  (CIDOB), rappelant que la  nature même de l’État créé par Habib Bourguiba après l’indépendance en 1956 doit être réexaminée. Il était et reste très centralisé et pèse sur toute activité économique. Le résultat, comme le soulignait l’économiste tunisien Hachemi Alaya en 2016, « est que la stratégie de chaque groupe social est de faire en sorte de pénétrer, d’influencer et, s’ils le peuvent, de prendre l’État en otage. »

Cette crise profonde de l’Etat tunisien explique le chômage de plus de deux tiers des 15-24 ans, l’importance croissante de l’économie informelle, où s’opèrent toutes sortes d’affaires louches et qui ne paie pas d’impôts. Cette évaluation du pays est partagée par le président Kais Saied et l’Union européenne. Le rapport français conclut que « les défis liés à la transition démocratique ont toujours prévalu sur les considérations financières stricto sensu ». Dans une région très instable, la priorité des bailleurs de fonds internationaux a été de « consolider » la transition démocratique alors même que toutes les tentatives de réforme du système économique depuis 2011 ont échoué.

« L’aléa moral est donc devenu une question essentielle ». Le soutien sans faille des pays et des institutions qui ont prêté à la Tunisie a donc créé un cycle non vertueux qui mine la transition démocratique au lieu de la soutenir.

La nouvelle constitution adoptée en 2014 est un texte juridique hybride qui, parce qu’il ne définit pas clairement les pouvoirs respectifs du parlement, du président du gouvernement et du chef de l’État, a entraîné une paralysie institutionnelle.

Saied agit selon sa vision de lui-même

Agissant comme selon sa vision de lui-même en tant que garant de la légalité institutionnelle Kais Saied dénonce publiquement mais ne fait rien pour surmonter l’impasse institutionnelle qui paralyse le remaniement gouvernemental depuis des mois. La situation est aggravée par l’absence d’une cour constitutionnelle. La sélection des 12 juges qui doivent siéger au sein de la cour est bloquée depuis 2015 par les manœuvres dilatoires du pouvoir législatif et, en pratique, par Ennahdha, le plus grand parti au Parlement, qui a maintenant soudainement pris des mesures pour accélérer la sélection des juges de la cour sur fond d’accusations selon lesquelles il a besoin de la cour pour menacer le président de destitution.

Saied manque peut-être d’expérience politique, mais sa popularité est intacte un an et demi après son élection par les trois quarts des votants, notamment les jeunes Tunisiens, même si ces derniers ne partagent pas tous ses vues sociales conservatrices. Prépare-t-il le terrain pour une dissolution de l’assemblée nationale ? Va-t-il convoquer un référendum pour discuter d’une nouvelle constitution ? Personne n’en est certain.

Rached Ghannouchi, le président du parlement et leader d’Ennahda a facilement inséré son parti, après 2011, dans le réseau de pratiques douteuses qui passent pour de la politique à Tunis. Depuis la soi-disant révolution, le soutien des électeurs d’Ennahdha s’est atrophié à chaque élection depuis 2011 en raison du rôle calamiteux qu’il a joué au gouvernement, en collaboration avec de petits partis essentiellement ineptes.

« Soi-disant » parce qu’une révolution nécessite un projet politique et une stratégie bien pensée.  Les manifestations de 2010-2011 réclamaient plus de justice sociale, moins de corruption de la part de la famille au pouvoir et plus de considération pour les régions les plus pauvres qui envoient les trois quarts de leurs phosphates, de leur gaz de pétrole, de leur eau, de leur blé dur et de leurs migrants internes vers la côte et la capitale, en échange d’un niveau de vie qui représente un tiers de celui des régions plus riches, souligne Ghilès.

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