AccueilLa UNETransition énergétique: L’équité et le lucre peuvent-ils faire bon ménage?

Transition énergétique: L’équité et le lucre peuvent-ils faire bon ménage?

L’énergie  prête à une double perception. Il y a ceux qui la regardent et la traitent comme une marchandise  à but lucratif, et ceux qui l’élèvent au rang de droit inaliénable. Mais l’idée la plus communément admise  est que la production et la distribution de l’énergie doivent être fondées principalement sur les principes de justice distributive et de souveraineté populaire, contrairement aux impératifs et aux déficiences du système mondial de libre-échange qui ne tient pas compte des besoins sociaux et écologiques locaux.  C’est  les sens d’une étude sur la transition énergétique en Tunisie, réalisée par le Groupe de Travail pour la Démocratie Energétique et la Plateforme Tunisienne des Alternatives en association avec Transnational Institute.

La question a pris une nouvelle tournure  depuis  2011, date à laquelle les institutions financières internationales ont contesté le contrôle de l’énergie par le secteur public, en ciblant le monopole de la STEG sur la production nationale d’électricité. Le prêt quadriennal du Fonds monétaire international de 2013 a inauguré un plan de privatisation de la production d’électricité à partir de ressources renouvelables.

Plusieurs entités internationales ont contribué à la reconfiguration du paysage énergétique en Tunisie en réalisant des études donnant la priorité à la privatisation de l’énergie dans le pays. C’est le cas de  l’Agence allemande pour la coopération internationale (GIZ) qui a fourni une  » assistance technique  » au pays pour qu’il élabore une législation orientée vers la privatisation des énergies renouvelables, et aussi de l’institution italienne RES4Med/Africa qui a mené des études sur les investissements énergétiques dans le pays et a adressé des recommandations au gouvernement tunisien sur la base des commentaires des investisseurs italiens.

Comme sous pression, le  gouvernement tunisien, à partir de 2014, s’est partiellement désengagé du subventionnement des coûts du gaz suite aux recommandations de certains bailleurs de fonds. La STEG a alors été confrontée à des déséquilibres financiers creusant le déficit de son budget annuel, notamment avec la dévaluation spectaculaire de la monnaie tunisienne, le Dinar. Elle a donc été contrainte de recourir à des prêts extérieurs pour acheter du gaz naturel et développer son infrastructure énergétique.

Quitus pour le privé !

Les gouvernements tunisiens successifs ont jeté les fondements législatifs pour lever les obstacles aux investissements privés dans les énergies renouvelables, les entreprises privées ont été autorisées à produire de l’électricité pour l’autoconsommation, et à la vendre aux consommateurs par le biais de la STEG en tant que médiateur. En 2015, le projet final du Plan solaire tunisien (PST) a été publié, avec pour objectif principal d’atteindre un taux de 30% de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables à l’horizon 2030. Ce plan s’appuie également sur l’investissement privé et le marché dit de l’électricité verte.

Ces mécanismes ont permis aux entreprises de bénéficier de financements, d’exonérations fiscales et d’accès à des terrains pour des projets d’énergie renouvelable. En outre, la nouvelle loi sur les énergies renouvelables a fait l’objet de révisions et a été modifiée en 2019 pour inclure deux dispositions principales qui permettent aux entreprises privées de commercialiser l’électricité directement auprès des consommateurs d’énergie industriels et d’exploiter les terres agricoles pour des projets d’énergie renouvelable.

Certains projets d’énergie renouvelable ont déjà  suscité de sérieuses  préoccupations sociales et économiques, notamment celles liées à l’accaparement des terres et des ressources, dans les pays dits du « Sud ». Ces projets visent principalement les vastes zones rurales nécessaires à l’installation d’équipements pour les projets d’énergie renouvelable à grande échelle, et d’où les terres et les ressources sont accaparées, ce qui entraîne certains conflits socio-écologiques pas trop différents des projets miniers et de combustibles fossiles.

En fait, le gouvernement tunisien a commencé à développer des failles juridiques pour faciliter le processus d’accès à la terre pour les investisseurs dans le secteur de l’énergie. L’État a commencé à réclamer et à saisir des terres agricoles jugées « à faible rendement » et à les proposer aux investisseurs internationaux.

Alors que le secteur public a garanti l’électrification de tous les Tunisiens pendant des décennies, les investissements dans les énergies renouvelables ont introduit une nouvelle tendance fondée sur une forte rentabilité. Le rôle de la STEG va devenir très limité car les partenariats public-privé sont de plus en plus imposés.

Quelles sont les alternatives ?

Le modèle énergétique actuel repose sur des relations de pouvoir classiques, une logique de profit aveugle et un consumérisme excessif. Contre ce modèle unidimensionnel, il est urgent d’en adopter un autre, fondé sur la coopération entre producteurs et consommateurs et sur des relations horizontales garantissant l’implication de différents acteurs, recommande l’étude. Ici, l’énergie est considérée comme un droit pour tous, mais aussi comme une question fondamentalement politique qui doit rompre avec le dualisme privé/public.

Afin d’affirmer sa souveraineté et de réaliser une véritable démocratie énergétique, la Tunisie devrait renforcer le rôle de la STEG dans la production d’électricité. En outre, des formes de financement participatif permettraient aux entreprises publiques d’acquérir une certaine autonomie dans la conception des projets, loin de toute condition imposée par les institutions financières internationales.

Les investissements dans les énergies renouvelables doivent certainement être encouragés afin de se détourner des combustibles fossiles. Ces investissements doivent mobiliser des fonds pour les STEG par le biais d’un système de financement participatif basé sur la contribution nationale, en réorientant la production d’énergie pour privilégier l’accès et la consommation locale, et en réduisant progressivement les importations.

Une démocratie énergétique efficace nécessite également une coopération entre différents acteurs locaux capables de bousculer le statu quo et de contribuer efficacement à l’actualisation de ce nouveau modèle. Dans cette perspective, différents acteurs peuvent fortement contrer le modèle énergétique néolibéral et reconstruire une distribution sociétale équitable, entre autres les syndicats  et la société civile.

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