AccueilInterviewTunis : Les hauts cadres de l’Etat se rebiffent !

Tunis : Les hauts cadres de l’Etat se rebiffent !

En l’absence d’une vision claire quant aux dossiers primordiaux de la réforme administrative, Miled Achour, président du Syndicat National des Conseillers des Services Publics. (SNCSP) estime que la priorité du prochain gouvernement présidé par Mehdi Jomaa serait de garantir la neutralité et l’impartialité de l’administration publique en optimisant les choix par la définition précise des tâches et des profils adéquats. Interview :

Dans le communiqué rendu public par le syndicat que vous présidez à l’occasion de la journée internationale de la lutte contre la corruption, vous avez soulevé des problèmes au niveau du système de gestion publique. Quelle est votre lecture de la situation actuelle du système de gestion au sein de l’administration publique tunisienne ?

Partant d’un constat général partagé par un grand nombre d’usagers des services publics et de fonctionnaires et qui se résume dans l’impression que rien n’a changé ou pour le moins pas grand chose dans les défaillances de l’administration tunisienne, nous pouvons avancer sans risque de tomber dans le fatalisme que la sphère de gestion dans le système administratif tunisien connaît une crise à plusieurs niveaux dont on peut dénombrer quelques uns. Un premier niveau réside dans l’absence d’une volonté expresse et d’une vision claire quant aux dossiers primordiaux de réforme administrative, de modernisation du système de gestion et de la refonte de la fonction publique. Pire encore, on assiste, depuis quelques temps, à une négligence de la nécessité de promouvoir la sphère de gestion administrative à laquelle on tente d’imputer à tort et à raison le fardeau de tous les maux du passé en contrepartie d’une focalisation croissante sur la promotion de la sphère de contrôle sans pour autant avoir une stratégie claire à ce niveau vu le fractionnement des entités de contrôle, ce qui amène à des interrogations quant à l’efficacité de ce système.

Améliorer les procédures de contrôle est bénéfique, mais faut il mettre à niveau les modes de gestion auparavant?

Certainement, la réponse est positive. Cette vision critiquable est un facteur commun à tous les gouvernements postrévolutionnaires qui n’ont pas accordé aux dossiers relatifs à l’amélioration de la gestion administrative l’importance qu’ils méritent. Chose qui s’est traduite malheureusement par une dégradation de l’image et de la réputation de l’administration tunisienne, et plus récemment, dans le classement de la Tunisie en matière de lutte contre la corruption. Un deuxième niveau réside dans les failles observées sur le plan structurel en ce qui concerne la réforme administrative où on note par exemple une interférence entre les missions des différentes structures qui ont une relation étroite avec l’amélioration du système de gestion, à savoir le ministère de la réforme administrative, celui de la gouvernance et le comité général de la fonction publique. Cette interférence dans les tâches et prérogatives contribue à un alourdissement accru du processus de prise de décision. Un alourdissement qui s’accentue d’autant plus en raison du flux important de chargés de missions, conseillers et membres de cabinets sans pour autant définir les tâches ou le nombre, ce qui a créé quelques tensions avec les dirigeants administratifs. Il faudrait souligner ici que les conseillers, chargés de missions et membres de cabinets ministériels jouent en principe le rôle de facilitateur et de coordonateur entre la sphère politique et administrative avec tout ce que cela demande de technicité et de maîtrise des rouages administratifs. C’est pourquoi on trouve qu’en France, par exemple, ce genre de postes est en grande partie réservé à des énarques, notamment les administrateurs civils, homologues des conseillers des services publics en Tunisie. Un troisième niveau concerne le cadre législatif et règlementaire révolu, que ce soit aux plans du système de carrière, du système de rémunération, de la gestion des ressources humaines ou des organigrammes et relations hiérarchiques, mais qui continue à régir malgré tout la gestion administrative. Un cadre qui date de plusieurs décennies et qui est complètement déphasé par rapport aux nouvelles normes de gestion publique adoptées, depuis longtemps, dans les pays développés et, depuis quelques temps, dans des pays voisins comme le Maroc. En ne prenant pour exemple que le système de rémunération, on peut relever des anomalies flagrantes qui ne peuvent plus être ignorées, à savoir la prime de rendement qui ne se base pas sur le rendement ou l’allocation familiale qui est fixée, depuis des décennies, à 7 dinars nets par mois ( même pas le prix d’un paquet de couches pour bébés) et pleins d’autres exemples qui montrent que le lancement d’une réflexion sur la refonte totale du système ne peut plus être retardé. Le quatrième niveau est celui qui s’est fait le plus sentir au sein de l’administration publique à savoir la surcharge croissante qui risque de causer à terme le blocage de tout le système. Une surcharge tout d’abord au niveau structurel vu le nombre des ministères, comités et commissions en disproportion flagrante avec les réels programmes et résultats nécessaires. Une surcharge ensuite au niveau de l’effectif total de la fonction publique qui est presque une fatalité vu les obligations et les orientations sociales que l’Etat a imposées depuis des décennies à l’administration en vue d’apaiser les tensions, de réduire le chômage et de réparer les préjudices causés par les anciens régimes. Bref, avec une absence de vision et de stratégie claire, un cadre structurel mal rodé, un cadre législatif et règlementaire révolus et une surcharge aigue, la situation du système de gestion dans l’administration publique tunisienne est peu favorable à l’instauration d’une administration publique efficace, moderne, compétitive et à la hauteur des attentes de ses différents partenaires nationaux et internationaux.

On dit toujours qu’il est facile de critiquer mais est ce que votre syndicat a des propositions ou solutions pour remédier à ce que vous venez d’avancer ?

Le SNCSP, depuis sa création en avril 2011, a constitué une force de proposition partant du fait que ses membres, les conseillers des services publics, de par leur mission légale, sont des cadres de conception. Le syndicat a avancé plusieurs solutions et propositions relatives à la promotion du système de gestion dans l’administration tunisienne que ce soit dans les différents séminaires qu’il a organisés ou à travers les communiqués qu’il a émis. Pour ce qui est de remédier aux lacunes qu’on vient de relever dans le système de gestion publique, le syndicat propose de promouvoir les systèmes de gestion des ressources humaines au sein de l’administration vers l’instauration d’un système basé sur la compétence, le mérite et le rendement. On propose à cet effet la restructuration et la fusion des structures clés de la réforme administrative, à savoir le comité général de la fonction publique, le ministère de la gouvernance, le ministère de la réforme administrative dans un seul ministère qui s’occupera de la modernisation du secteur public et qui absorbera les directions générales de la réforme administrative, de l’administration électronique et toutes les directions œuvrant dans ce domaine, et ce, pour éviter les interférences et pour garantir le plus d’efficacité possible dans le traitement de ces dossiers vitaux de la gestion publique. On propose, par ailleurs, la création d’une bourse de compétences administratives qui définira les profils et les tâches à accomplir pour les hauts postes pour permettre de gagner du temps dans la sélection et le déploiement dans les hautes fonctions. Ceci aidera à réaliser l’équation tellement facile, mais si vitale pour la réforme de l’administration tunisienne, à savoir avoir la bonne personne à la bonne place pour effectuer les bonnes tâches. Un référentiel national des postes, tâches, profils et métiers est aussi envisageable à une plus grande échelle pour permettre la gestion optimale des ressources humaines. On peut aussi s’inspirer de l’expérience entamée récemment en France par l’élaboration des plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) qui ont pour objectif de mieux anticiper les effets sur l’emploi des mutations économiques, technologiques, sociales et démographiques. Toujours dans ce sens, le SNCSP a appelé à maintes reprises à l’élaboration d’une vision bien claire de la sphère de la haute fonction publique en remédiant à l’éclatement des corps relevant de cette sphère par l’instauration d’un cadre statutaire de base commun qui favorisera la mobilité interne et externe et permettra à l’administration tunisienne que ce soit au niveau central que régional ou local d’exploiter au mieux les hautes compétences dont elle ne manque pas et de se hisser au niveau des normes et standards internationaux dans ce domaine, en notant ici que cette exigence de cadre statutaire de base commun est déjà mis en œuvre dans la majorité des pays de l’OCDE. Dans ce cadre, le SNCSP a déposé un projet de statut particulier au corps des conseillers des services publics qui tient en compte la gestion prévisionnelle par la création d’un comité à cet effet à la présidence du gouvernement pour permettre de mieux exploiter ces hauts cadres de l’administration tunisienne et éviter les gaspillages de temps et de deniers publics dus à la mauvaise gestion de ces compétences dont les homologues dans toutes les expériences comparées dans des pays comme la France, le Canada, le Maroc, le Sénégal ou même le Madagascar constituent le noyau dur de la haute fonction publique et occupent les postes de commandement au sein de l’administration, dès le début de leurs carrières, puisqu’ils sont formés pour assurer les fonctions de conception et de leadership. Des dossiers complets ont été déposés à cet effet par le SNCSP à l’assemblée nationale constituante, à la présidence du gouvernement et à l’école nationale d’administration et qui contiennent des visions opérationnelles, des démarches applicables et des réformes proposées dans le système de gestion publique, le système de formation, de recrutement et de gestion des ressources humaines. Et le syndicat est prêt à redéposer et à discuter de toutes les propositions avancées avec le nouveau gouvernement qui sera mis en place prochainement.

En parlant du nouveau gouvernement qui sera présidé par Mr. Mehdi Jomaa, quelles sont, à votre avis, les priorités qu’il aura devant lui sur le plan de l’administration publique ?

Dans une troisième phase transitoire que connaitra le pays et qui sera limitée dans le temps et dans les prérogatives données au prochain gouvernement, il serait illogique de s’attendre à voir s’opérer des grands projets de réformes dans le domaine de la gestion publique, et ce, malgré le fait que les réformes ne peuvent plus attendre vu le retard enregistré dans leurs conception et mise en place et qui a des répercussions négatives sur la performance de l’administration tunisienne et par analogie sur celle du pouvoir exécutif. De ce fait, et vu que le nouveau gouvernement aura pour principale mission de préparer un terrain favorable à une organisation réussie des prochaines élections, il serait préférable qu’il procède à quelques réformes nécessaires qui ont une relation étroite avec cette mission principale. La priorité serait de garantir la neutralité et l’impartialité de l’administration publique en optimisant les choix par la définition précise des tâches et des profils adéquats surtout en ce qui concerne le nombre, le profil et les tâches des chargés de missions, conseillers et membres de cabinets et les prérogatives respectives de ces derniers en relation avec les dirigeants administratifs. Tout cela pour éviter tout alourdissement du processus décisionnel ou lenteur dans le travail administratif, ce qui peut entraver l’efficacité vu le temps imparti à ce gouvernement. S’inspirant des expériences des pays développés en la matière et la France plus particulièrement, des tels postes sont occupés par les administrateurs civils qui, de par leur vocation interministérielle, assurent au mieux la mise en œuvre des directives du gouvernement. Une autre priorité serait d’opérer les changements possibles et nécessaires dans le système de gestion en instaurant un minimum de critères objectifs pour les nominations dans les hautes fonctions administratives, lancer les réflexions quant à la refonte totale du système de la gestion de carrière et la rémunération dans la fonction publique en adoptant une approche participative qui implique les fonctionnaires pour un dialogue social quant à leurs conditions de vie et de travail, leurs parcours professionnels, la mobilité et les carrières et ce pour rétablir un peu de confiance et pour rassurer les agents publics dont la situation ne cesse d’empirer vu la dégradation du pouvoir d’achat et les différentes tensions au sein de l’administration tunisienne. Enfin, en matière de gestion publique, le gouvernement ferait mieux de mettre parmi ses priorités la revalorisation du système de gestion dans l’administration publique en redéployant les critères de compétence et de mérite, exhorter la mobilité statutaire de ses fonctionnaires par des activités différentes de celles normalement dévolues ou des activités différentes de celles initialement accomplies et en donnant plus de confiance aux gestionnaires qui ont toute la compétence nécessaire pour rattraper le retard et relancer l’administration tunisienne sur la voie de la modernisation qui lui permettra de jouer son rôle de locomotive de développement économique et social. Ceci suppose bien sûr une gestion optimale des ressources humaines disponibles surtout au niveau des hauts cadres dont les conseillers des services publics forment une belle partie et qui peuvent, de par leur formation polyvalente dans les domaines du new public management, de la gouvernance, de la conception, mise en œuvre et évaluation des projets, et quand ils bénéficient des conditions favorables, donner un très grand plus et stimuler le rendement des services publics, ce qu’ils n’ont jamais manqué de faire malgré tous les obstacles auxquels ils ont souvent du faire face par le passé.

W.T

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