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Tunisie : Ennahdha et le gouvernement font un pas en arrière pour calmer l’UGTT.

La TV nationale tunisienne avait organisé, hier soir, mardi 28 février 2012, un débat réunissant un représentant de l’UGTT (Samir Cheffi), un représentant d’Ennahdha (Sahbi Atig, membre du Board du parti au pouvoir) et un des conseillers du chef du Gouvernement tunisien (Lotfi Zitoun). Un débat qui intervenait sur fond de crise  entre les trois parties. Une crise matérialisée par les attaques contre des bureaux régionaux de l’UGTT et exacerbée par du chef du Gouvernement Hamadi Jbali contre la centrale syndicale et la marche de protestation organisée, à Tunis, à l’occasion de laquelle Jbali a aussi écorché les siens.

Malgré une tenue, un peu trop décontractée, et de Lotfi Zitoun sur le plateau et qui pouvait faire craindre une atmosphère tendue, il était visible que les représentants du gouvernement et d’Ennahdha, étaient venus pour essayer de «calmer le jeu» et détendre l’atmosphère entre eux, d’une part,  et le plus grand syndicat ouvrier qui commençait déjà à organiser des manifestations, similaires à celle de Tunis, dans d’autres grandes régions de la Tunisie, d’autre part.

Ennahdha craint la Gauche.

 De prime abord, Samir Cheffi monte sur ses grands chevaux, plante le décor et évoque longuement l’image de Farhat Hached, symbole du syndicalisme ouvrier en Tunisie, « souillée par les immondices entassées devant le siège de l’UGTT ». Il évoque aussi le rôle de celle-ci dans la Révolution, le droit à la grève en tant que moyen d’expression des revendications de la classe ouvrière.
Sahbi Atig, représentant d’Ennahdha, tente de rebondir et dévoile l’un des reproches que fait, sans le dire officiellement, le parti au pouvoir et son gouvernement, au syndicat. «Beaucoup de parties, politiques et sociales, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont contribué à cette situation. Ces parties ne doivent pas profiter des circonstances économiques et sociales et même la conjoncture naturelle par laquelle passe le pays, comme la neige et les inondations, pour les surenchères et les pressions revendicatrices impossibles à réaliser», rétorque le représentant d’Ennahdha comme s’il était au gouvernement. Il dévoile ainsi, peut-être, la cause principale de  l’accès de colère qui pourrait expliquer la déclaration du chef du Gouvernement sur les ondes d’une radio privée. Un gouvernement qui se serait ainsi trouvé sur trop de fronts à la fois (grèves, salafistes, médias, opposition, budget non encore prêt, constitution), pour pouvoir garder son calme et mieux gérer le stress de l’action gouvernementale. Atig en voudra à l’UGTT d’avoir un peu trop bousculé le pouvoir en place, par trop de grèves à la fois et de ne pas avoir su respecter «les priorités de cette période cruciale» qui doivent être discutées entre toutes les parties nationales responsables ».

Le membre du Board d’Ennahdha se livre à une sorte de philippique, agitant la théorie du complot, chère, ces derniers temps, à son parti, en avertissant que «tout échec de cette expérience est un reniement des objectifs de la Révolution et une apostasie». Le conseiller Lotfi Zitoun ira, à son tour, dans le même sens en niant vouloir le faire, mais en  évoquant des personnes qui s’attendraient à ce que le gouvernement de Jbali tombe au cours du mois de mars prochain. Il aura, auparavant, réussi à glisser un déni  du gouvernement actuel des augmentations salariales «données en cadeau» par le gouvernement précédent, lance-t-il, en indiquant que les négociations sociales viennent à peine de commencer et que l’UGTT «aurait pu retarder tous les mouvements sociaux, en attendant la fin des négociations».

Plus tard, Sahbi Atig comme Lotfi Zitoun, dévoileront, par des propos indirectement directs, le second gros grief du parti au pouvoir, protecteur de ses poulains au pouvoir, contre l’UGTT. «Il y a actuellement une politisation de l’action syndicale » commencera par dire Zitoun et par faire un développement historique du «rôle d’ombrelle, joué par l’UGTT pour plusieurs courants politiques», pour conclure à l’existence d’éléments de Gauche au sein de l’actuel bureau exécutif de l’UGTT qu’il a clairement accusés d’avoir été les premiers [il disculpera au passage le SG de l’UGTT] à accuser Ennahdha dans l’affaire du déversement des poubelles. Zitoun fera tous ces détours pour mettre, en définitive, en garde l’UGTT contre cette Gauche que semble craindre Ennahdha. Presqu’à la fin de l’émission TV, Sahbi Atig adressera un message clair à la centrale syndicale pour qu’elle dégage la Gauche de son ombrelle protectrice. Une Gauche dont Lotfi Zitoun s’était auparavant offusqué qu’elle donne son accord à toutes les décisions de la Constituante  et qui tempête dans la rue [à l’occasion de la marche organisée par l’UGTT] contre le gouvernement et demande sa chute.

Gouvernement & Ennahdha veulent calmer le jeu.

Tout en brandissant cette condition [sans jamais dire qu’elle en est une], en trame de l’émission télévisée, des déclarations et des répliques qui l’ont ponctuée, de l’éloignement de la Gauche de l’UGTT qui ne doit plus lui offrir de tribunes pour faire de la politique en dehors des voies habituelles de la politique, Ennahdha et le gouvernement étaient visiblement venus pour calmer le jeu, calmer l’UGTT et clore l’affrontement avec la centrale syndicale.

Tout au long du plateau TV et à chaque fois que Samir Cheffi montait au créneau pour rappeler le poids syndical et social de l’UGTT et ses luttes en martelant des mots comme la hausse des prix, la liberté, la dignité et le devoir du gouvernement d’améliorer tout cela, Gouvernement et Ennahdha font un pas en arrière comme pour désamorcer,  à travers lui,  toute la crise avec l’UGTT. «Nous appelons au calme et à l’entente» répètera, à deux  reprises, Sahbi Atig devant les coups de bélier syndicaux de Samir Cheffi. Les détenteurs  du pouvoir en Tunisie ont-ils réussi dans cette tentative ? A première vue oui. Cela est au moins visible dans l’absence de nervosité et même de confrontation, même lorsque le représentant de l’UGTT demande à Jbali «d’épurer son propre gouvernement des symboles de l’ancien régime, avant d’accuser l’UGTT de s’appuyer sur les restes de Ben Ali». Cela est aussi visible lorsque Zitoun accepte de revenir sur la fameuse circulaire n°7 et  accepte d’assigner  désormais l’objet de cette circulaire aux représentants syndicaux. Visiblement donc, Gouvernement & Ennahdha ont ou sont en train de réussir à désamorcer la crise avec l’UGTT. On attendra certainement, pour confirmer tout cela, une possible rencontre Jbali/Houcine Abbassi.

Nous estimons, cependant, que le gouvernement n’avait pas complètement tort lorsqu’il évoquait la multiplication, économiquement nocive, des grèves et des mouvements sociaux, lorsqu’il se plaint de leur timing, tout aussi économiquement nocif et lorsqu’il évoque une recrudescence des revendications salariales, pour l’instant, impossibles à concrétiser eu égard aux  capacités financières du pays. Nous estimons aussi que le gouvernement serait presque prêt à accepter tout cela, si l’UGTT acceptait  ses demandes, beaucoup plus politiques et partisanes. Nous estimons enfin que l’économie ne peut pas se permettre ce luxe politique que demande Ennahdha à la centrale syndicale et que le gouvernement devrait se débarrasser de ces soucis partisans et travailler pour le bien de toute la Tunisie et non pour le bien politique du parti au pouvoir. C’est aussi et surtout cela, la séparation entre l’Etat et la politique.

Khaled Boumiza

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