AccueilLa UNETunisie : La démocratie part en vrille, selon « Foreign Affairs »

Tunisie : La démocratie part en vrille, selon « Foreign Affairs »

En une semaine, le gouvernement tunisien s’est signalé par trois actes inquiétants, lesquels réunis, désignent une reculade majeure du processus démocratique. C’est l’influent magazine « Foreign Affairs » qui le constate en en voulant pour preuve, d’abord, l’approbation par le Parlement du remaniement ministériel touchant 13 des 28 ministres de l’ancien gouvernement. Ce fut un développement alarmant dans la mesure où certains nouveaux ministres ont partie liée avec l’ancien régime de Zine el Abidine Ben Ali, évincé en 2011 aux aurores du Printemps arabe. La deuxième péripétie est survenue trois jours plus tard. Après un débat source de discorde qui s’est étiré pendant de longues années sur la controversée loi relative à la réconciliation économique, chère au président Béji Caïd Essebsi baptisée « loi sur la réconciliation administrative », cette dernière a été adoptée par le Parlement par 119 voix contre 98 dont 90 membres ont boycotté le vote, et plusieurs d’entre eux ont rejoint les manifestants rassemblés à l’extérieur de l’hémicycle. Troisième acte : le 18 septembre, le gouvernement a annoncé que les élections municipales, prévues pour le 17 décembre, sont reportées pour la troisième fois, probablement jusqu’à fin mars 2018.

Bien que chacun de ces épisodes soit troublant en soi, leur succession suggère une tentative fomentée par le gouvernement de Caïd Essebsi pour compromettre les progrès accomplis par le pays sur la voie de la démocratie. Cela s’est traduit par une tension palpable qui en dit long sur l’effet nocif de ces trois mesures sur un peuple déjà profondément sceptique sur son gouvernement essuyant de très faibles niveaux de confiance. Selon l’institut de sondage « Arab Barometer », le nombre des Tunisiens qui disent « faire confiance au gouvernement dans une moyenne ou large mesure » est passé de 62 pour cent en 2011, juste après la révolution, à 35 pour cent en 2016. Des personnalités politiques les plus populaires de la Tunisie, tels que chef du gouvernement, Youssef Chahed, ont la chance d’être crédités d’un taux de satisfaction supérieur à 35 pour cent. En effet, des Tunisiens pensent qu’ils ont été bradés. En revanche, les responsables gouvernementaux voient dans ces mesures un moyen idoine pour faire avancer l’économie du pays. En outre, bien que plusieurs réformes démocratiques engagées depuis 2011 participent d’un processus de consultation publique inclusive, ce n’est pas le cas pour ces dernières mesures.

Fossé entre le peuple et le gouvernement

Le fossé entre le peuple et le gouvernement est plus tangible dans la rue. En 2015, lorsque le projet de loi sur la réconciliation économique a été introduit, le réseau de la société civile « Manish Msemah », a mobilisé plusieurs milliers de personnes pour manifester contre le texte. Ils soutiennent que la législation contourne le processus de justice transitionnelle et accorde l’amnistie aux hommes d’affaires et aux responsables de l’administration suspects de faits de corruption. Caïd Essesbi, et les membres de son parti Nidaa Tounes qui ont soutenu le projet de loi, ont fait valoir que la loi devrait se traduire par des rentrées d’argent pour l’Etat et permettre au pays de tourner la page du passé.

Les Tunisiens choisissent beaucoup plus la rue que l’urne pour exprimer leurs griefs, étant frustrés par l’attitude des partis politiques actuels et considèrent les mouvements de protestation comme un moyen efficace pour réaliser leurs objectifs. En 2014, les deux tiers des jeunes tunisiens ont boycotté les élections législatives et présidentielles au motif qu’ils ne se reconnaissent dans les partis politiques. D’où le cercle vicieux dans lequel s’enserrent les responsables gouvernementaux, réticents à solliciter les jeunes Tunisiens, sachant qu’ils n’iront pas voter. Tant que cela continue, le fossé entre le peuple et ses dirigeants élus continuera de se creuser, offrant un terreau pour les groupes extrémistes ciblant la Tunisie et les aidant à enrôler les jeunes Tunisiens habités par la colère et la frustration pour le compte de Daech et d’autres groupes extrémistes. À ce jour, plusieurs milliers de jeunes Tunisiens ont rejoint Daech qui a formé ceux qui ont perpétré les horribles attentats terroristes du Bardo et de Sousse en 2015, outre les milliers de Tunisiens radicalisés en Syrie et en Irak qui pourraient un jour chercher à rentrer chez eux.

Le rôle américain et européen

La communauté internationale a un rôle à jouer, souligne « Foreign Affairs » qui estime que, tout d’abord, les Etats-Unis et l’Europe devraient continuer à soutenir la société civile tunisienne, à la fois financièrement et moralement. La société civile joue un rôle crucial en ayant à l’œil le gouvernement et en assistant aux travaux du Parlement, en rendant compte par le menu et en temps réel en ligne des interventions des députés et des opérations de vote, outre la notation de la réalisation des promesses faites par les responsables politiques. Au niveau des médias, la société civile tunisienne doit continuer à informer l’opinion publique tant nationale que dans l’Occident des actions entreprises par le gouvernement et les organes du pouvoir.

Les amis de la Tunisie outre-Méditerranée et outre-Atlantique ont également besoin d’être attentifs à ce qui se passe dans le pays. Bien trop souvent, les dirigeants occidentaux ont supposé à tort que la Tunisie, comparée à ses voisins déchirés par la guerre, se porte bien et n’a pas besoin de leur soutien. Cette attitude n’est utile ni pour la Tunisie, ni pour la région dans son ensemble. Le gouvernement tunisien a apporté la preuve qu’il est un partenaire solide et fiable en matière de sécurité et d’économie pour les États-Unis et l’Europe, et que son environnement politique et social est propice à une aide financière accrue. Les transitions démocratiques sont par nature incertaines et tumultueuse. Avec Daech en Libye, un échec de la transition démocratique de la Tunisie aurait des conséquences bien au-delà de ses frontières. Ainsi, il est dans l’intérêt de la région comme de l’Occident que le pays réussisse à respecter les principes démocratiques pour lesquels tant de Tunisiens ont sacrifié leur vie en 2011, conclut le magazine Foreign Affairs.

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