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Un ancien de la BCT et du FMI pense que « l’Indépendance de la BCT est un faux débat

AM*

Sadok Rouai est un ancien haut cadre de la BCT. Il a aussi longtemps été un Conseillé auprès de l’exécutif du FMI. Voici ce qu’il pense de la question, brûlante en Tunisie depuis que le chef de l’Etat tunisien était allé défendre la soumission de la BCT à la politique de l’Etat, de l’indépendance de la BCT.

L’expérience montre qu’il est souvent beaucoup plus facile de débattre de l’indépendance d’une banque centrale sur la base de ses textes organiques. L’argument de ceux qui veulent remettre en cause cette indépendance repose selon eux sur les contraintes imposées par l’article

25 de la loi n°2016-35 du 25 avril 2016. Leur proposition est de ré-instituer l’article 50 de Loi n°58-90 du 19 Septembre 1958.

• Ceux qui soutiennent un amendement des Statuts de la BCT pour restaurer son financement direct à l’État, même dans le cadre de limites légales ignorent que lorsqu’une brèche est ouverte elle risque de donner lieu à des abus et à des détournements de la loi, simplement pour offrir des solutions faciles et temporaires au gouvernement.

• Le débat actuel est un faux débat et tout amendement des Statuts de la BCT ne fera que retarder encore une réponse urgente et responsable à la crise que traverse la Tunisie.

• Pourquoi ? La raison est que toute la problématique et les solutions identifiées sont axées uniquement sur la mobilisation de ressources additionnelles pour financer des dépenses de l’État toujours en augmentation découlant d’un choix politique où toute action tendant à réduire le train de vie de l’État et le poids de sa présence dans l’économie a été exclue.

• Évaluer l’indépendance d’une banque centrale sur une base fonctionnelle est une tâche trop difficile car elle n’est pas basée sur les données traditionnellement publiées mais requiert des expériences personnelles ou l’accès à des dossiers internes, souvent confidentiels.

• Nous allons essayer de procéder à une évaluation fonctionnelle sur la base de faits et décisions initiés par le Gouvernement que des Gouverneurs de la BCT ont mis en place, sachant pertinemment qu’elles ne sont pas de l’attribution de la BCT et surtout qu’elles ne constituent que des expédients qui ne servent pas à terme les intérêts économiques du pays.

  • Les faits

• En 1986, la Tunisie avait dû conclure un programme de réformes et de financement avec le FMI. Ce programme était la culmination d’une gestion économique populiste par le Gouvernement Mzali qui avait favorisé, tout au long des premières années de la décennie 1980, les solutions faciles au détriment de réformes structurelles, douloureuses mais nécessaires.

• La situation des finances publiques s’était détériorée à tel point que le déficit budgétaire avait grimpé de 2.8% du PIB en 1980 à 5.6% en 1982 pour culminer à 8.1% en 1983.

• Pour ne pas détériorer d’avantage le niveau du déficit budgétaire le Ministre des Finances et du Plan, Mansour Moalla, avait demandé au Gouverneur de la BCT, Moncef Belkhodja, que la BCT effectuait un certain nombre d’opérations au nom et place du Trésor et d’opérer des transactions comptables touchant le bilan de la banque pour offrir des financements déguisés au Trésor en dehors du budget voté par l’Assemblée Nationale. Voici le détail de ces opérations :

• Participations de la BCT au capital de banques et entreprises publiques Entre 1982 et 1987, un montant de 174.5 millions de dinars a été utilisé par la BCT pour participer, au nom de l’État, au capital, non seulement des nouvelles banques de développement, mais aussi de large entreprises publiques.

• Avance déguisée à l’État à travers une réévaluation comptable des avoirs en devises. En 1983, Moalla avait demandé à la BCT une avance au Trésor de 100 millions de dinars. Pour satisfaire cette demande, tout en respectant la lettre de l’article 50 des Statuts de la BCT, Belkhodja avait procédé à une réévaluation comptable des avoirs en devises. Un montant de 147 millions de dinars a été versé au Trésor.

• Les atteintes à l’indépendance de la BCT ont également touché également sa gouvernance à travers des changements avant terme de Gouverneurs. La gouvernance de la BCT avait été caractérisée par une grande stabilité depuis sa création en 1958 jusqu’aux années 1980 avec seulement 3 Gouverneurs pendant 22 ans, dont Nouira qui était resté en fonction plus de 12 ans. Aucun n’avait été relevé de ses fonctions.

Depuis 1980 sur les 10 Gouverneurs nommés, et si exclut le Gouverneur actuel Marouane Abbassi et Ismail Khélil, nommé Ministre des Affaires Étrangères, 7 avaient été relevés de leur fonction avant la fin de leur premier terme pour des considérations purement politiques.

• Les conseils d’une BCT indépendance. Convertibilité ou dévaluation du dinar ? En 1992, le Gouverneur de la BCT avait présenté au Président, durant un Conseil Ministériel Restreint, un projet de convertibilité courante du dinar pour donner un nouveau souffle au secteur privé. Aucun des ministres en charge des Finances, de l’Économie, et du Plan n’avaient soutenu la BCT.

Entre temps, une mission du FMI avait conclu que la convertibilité du dinar devait être accompagnée par une dévaluation du dinar de l’ordre de 10 à 15%, reprenant ainsi une demande du secteur privé, soutenue par certains ministres. La BCT était seule contre tout le Gouvernement à un moment où une visite du Directeur Général du FMI était programmée fin Décembre.

• La veille de la rencontre entre le Président Ben Ali et Michel Camdessus, le Gouverneur avait expliqué la situation au Directeur General lui indiquant qu’une dévaluation était une solution de facilité qui serait interprétée comme un échec des deux programmes entre la Tunisie et le FMI et qui serait suivie certainement par un autre programme et peut être une autre dévaluation dans 3 ou 5 ans.

• Le lendemain le Président avait reçu Camdessus en tête à tête. La convertibilité du dinar avait été annoncée le même jour.

  • Conclusion

Un pays avance, non pas en retournant en arrière et invoquer des lois et des politiques dont l’expérience a montré leurs limites. Le gouvernement doit éviter les solutions faciles mais couteuses et s’engager sur un programme de réformes qui tôt ou tard sera inévitable.

A ceux qui demandent l’élimination de l’article 25, alinéa 4 de la loi 2016-16 qui régit actuellement la BCT, il est important de clarifier que l’interdiction d’octroyer des avances au Trésor date de 2006 et non 2016 et que depuis, la Tunisie avait vu passer 5 Présidents, 10 Chefs de Gouvernement, et 13 Ministres des Finances qui ont tous respecté l’indépendance de la BCT en tant qu’institution d’État.

Revenir aux dispositions de la loi de 1958 est un pas en arrière qui ne garantit rien comme l’histoire le montre. La tentation serait grande pour le gouvernement de répéter les dépassements faits durant les années 1980, simplement pour avoir des solutions faciles qui ne feraient que retarder encore les réformes nécessaires. Nos politiciens doivent respecter nos institutions.

Quant à la BCT, elle doit aussi continuer à se moderniser car son indépendance commande aussi plus de redevabilité et de responsabilité. Elle a fait des avancées dans les domaines de la transparence et de la dissémination d’informations mais beaucoup reste à faire.

• La BCT doit, par exemple, organiser des conférences de presse après chaque réunion du Conseil et ouvrir ses archives aux chercheurs.

• La BCT doit également respecter les délais légaux quant à la publication de son Rapport Annuel au plus tard le 30 Juin.

• Enfin, l’indépendance de la BCT reste relative car elle demeure en deçà des meilleures pratiques internationales qui stipulent, notamment, que les représentants du gouvernement ne doivent pas siéger au Conseil d’Administration et que des critères doivent être établis pour la nomination et le renvoi du Gouverneur et des membres du Conseil.

Sadok Rouai

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