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Tunisie : BCE lance sa 2ème révolution du CSP. Iconoclaste ou rédempteur ?

Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a-t-il lancé sa seconde révolution copernicienne du Code du statut personnel, vieux de plus de six décennies ? Il n’aurait pas trouvé meilleure occurrence (la Fête de la femme) pour en former le projet et le dire sous la forme de deux recommandations capitales visant l’instauration de l’égalité de l’homme et de la femme en matière successorale et la liberté pour la femme tunisienne musulmane de choisir un conjoint non musulman au travers de la révision, en fait, l’annulation de la fameuse circulaire 73 qui l’interdit expressément.

On pourrait concéder au chef de l’Etat qu’en prenant ce parti, il ne ferait que s’inscrire dans le droit fil de l’évolution des mœurs et de l’éthique contemporaine tout en jugeant que les temps sont venus de compléter l’œuvre que Bourguiba n’était pas en mesure de mener à son terme pour cause de résistances des savants musulmans qui lui étaient contemporains. Et il y a fort à parier que si le père fondateur de la Tunisie indépendante, dans son élan émancipateur de la femme, s’était senti en état de le faire, il n’aurait pas hésité à franchir le Rubicon. En lieu et place, il a eu recours à des circonvolutions sémantiques, s’agissant notamment du mariage de la femme musulmane avec un non musulman, en se fendant de cet article 5 du Code du statut personnel qui dispose que « les deux futurs époux ne doivent pas se trouver dans l’un des cas d’empêchements prévus par la loi ». L’un de ces cas d’empêchements, sans qu’il soit explicitement énoncé, n’est autre que l’interdiction pour une femme tunisienne de confession musulmane de prendre pour époux un non-musulman. En tout cas, les juges l’ont interprété ainsi, jusqu’à ce que la cour d’appel de Tunis ait commencé à opérer dès 2002 un revirement en la matière en écartant, dans trois jugements qui feront date les dits empêchements religieux en matière de mariage et accessoirement de succession. La cour de cassation a consacré en 2004 cette architecture jurisprudentielle en déclarant « correcte l’interprétation par la cour d’appel de l’article 5 du CSP et ce, conformément aux dispositions constitutionnelles ».

Le fait et le texte

Ce n’était pas le cas pour la législation sur l’inégalité entre la femme et l’homme en matière successorale. Mais dans les faits, l’évolution sociologique et l’accès de la femme à des seuils de promotion sociale et professionnelle si importants ont été à ce point significatifs que la question s’est posée avec insistance de devoir donner une expression juridique à cet état de fait corroboré par les statistiques: 50.2% de la population est composée de femmes, 60% des diplômés du supérieur sont des femmes, 60.52% de femmes dans le secteur de la médecine, 75.93% dans la médecine dentaire et la pharmacie, 50% dans l’ingénierie, 65% dans le génie agricole et le textile. Il ne reste alors à l’Etat qu’à le constater et à légiférer dans le sens d’une évolution qui remet les pendules à l’heure.

Comme on peut le voir, Béji Caïd Essebsi a beau s’afficher comme le 2ème rédempteur de la femme en Tunisie, mais il semble avoir tapé dans le mille en entreprenant d’inscrire dans les textes un cheminement façonné par des évolutions majeures prenant racine dans ce qui avait été décidé voici un demi-siècle et une décennie. Mais il faut lui faire justice de le prendre comme un iconoclaste qui pense pouvoir briser des tabous, et l’égalité successorale entre les deux sexes en est un, alors que la conviction générale est faite qu’il ne tardera pas de s’attirer les foudres de bien des islamistes voire d’un large pan des Tunisiens qui voient dans son initiative une atteinte aux préceptes de l’islam voire une hérésie. On pense à ses alliés d’Ennahdha et à leur chef, Rached Ghannouchi, lequel a déjà signalé son irritation en s’inscrivant aux abonnés absents lors de la cérémonie organisée ce dimanche à l’occasion de la Fête de la femme.

Y aura-t-il une mobilisation politique contre cette réforme signée BCE ? Plus qu’à un baroud d’honneur, il faudra s’attendre à une contre-offensive qui répond aux vœux assurément indignés de la base du mouvement ci-devant islamiste, pourtant converti en parti à vocation civile et non confessionnelle. Mais, en annonçant la création d’une commission des libertés individuelles et de l’égalité au sein de la présidence de la République, Béji Caid Essebsi donne la nette impression qu’il ne cherche pas à aller vite en besogne mais à donner du temps au temps. Et ce ne sera qu’à la publication de ses conclusions, dans six mois, dit-on, que les « choses sérieuses » vont commencer.

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