AccueilLa UNETunisie : Des « boat people » pas comme les autres !

Tunisie : Des « boat people » pas comme les autres !

La Tunisie a ses « boat people », et ils sont de plus en plus nombreux à tenter de gagner les rives méridionales de l’Europe, toujours au péril de leur vie. Cette migration, naturellement clandestine, a ses codes, ses itinéraires, sa bourse, et ses passeurs. L’influent journal « Wall Street Journal » (WSJ) vient de faire une immersion dans cet univers tel qu’il s’organise sur les îles Kerkennah, devenues un « point de rassemblement pour les passeurs qui envoient de jeunes Tunisiens en Italie ». Ils naviguent de nuit sur des bateaux de pêche, espérant trouver un emploi et une nouvelle vie sur les rives du Vieux continent.

Les Tunisiens représentent désormais les plus grandes légions de migrants rallient l’Italie sur des embarcations de fortune. Plus de 3 300 d’entre eux sont arrivés sur la péninsule cette année, selon les Nations Unies. Près de 6 000 autres ont été arrêtés pour avoir tenté de quitter le pays illégalement, selon le gouvernement tunisien.

La montée en flèche de la migration illégale à partir de la Tunisie intervient alors que les autorités italiennes et libyennes resserrent l’étau sur les bateaux en provenance de la Libye voisine, une route empruntée par des migrants venus d’Afrique subsaharienne, notamment les Érythréens et les Soudanais qui représentent respectivement les deuxièmes et troisièmes plus grands flux des arrivées en Italie.

L’Italie accuse

Les Tunisiens parviennent exceptionnellement à rejoindre l’Italie en raison de leurs plus grandes ressources comparées à celles des migrants les plus pauvres. Ce succès complique les efforts déployés par les gouvernements européens pour enrayer la vague de migration en provenance d’Afrique du Nord et a durci le mouvement anti-migration en plein essor sur le continent. En juin, le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, a accusé la Tunisie d’envoyer délibérément des criminels sur des bateaux de migrants.

Les responsables tunisiens ont semblé rejeter les préoccupations européennes qu’ils jugent de moindre priorité et, contrairement à la Turquie et à la Libye, n’ont pas conclu des accords avec les autorités européennes pour empêcher les migrants de quitter leurs côtes. En 2016, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, a qualifié la migration méditerranéenne de « problème qui ne concerne pas » son pays, en réponse à une proposition d’envoyer des migrants d’autres pays en Tunisie.

Le récent exode tunisien a débuté en 2017 alors que les pressions économiques s’accentuaient sur les classes ouvrières et moyennes du pays. Après le soulèvement du printemps arabe et la chute de Ben Ali, les Tunisiens ont bénéficié de plus grandes libertés politiques, mais les gouvernements qui se sont succédé après la Révolution n’ont pas réussi à relancer l’économie et à créer des emplois. Aujourd’hui, plus de 35% des jeunes tunisiens sont au chômage et beaucoup ne voient pas d’avenir dans leur propre pays, note la WSJ.

Chômage et désespoir

Ces dernières années, le gouvernement tunisien a tenté de rectifier le tir en choisissant de faire des coupes budgétaires à la demande du Fonds monétaire international, qui a accordé à la Tunisie un prêt de 2,9 milliards de dollars en 2016. Mais ce concours ne s’est pas traduit par un redressement. L’économie connaît actuellement une croissance atone de 2,8%. La monnaie tunisienne, le dinar, a perdu 21% de sa valeur par rapport à l’euro en 2017. Lorsque les réductions demandées par le FMI ont pris effet en janvier, une vague de protestations a secoué le pays.

Le manque de nouveaux emplois a déclenché un puissant courant de pessimisme chez les jeunes Tunisiens. « Ils se sentent désespérés. Ils estiment que la révolution n’a pas répondu à leurs attentes », a déclaré Messaoud Romdhani, président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociauxe, cité par WSJ, qui souligne, pour sa part, que la migration des Tunisiens ne se limite pas aux pauvres, les jeunes diplômés universitaires en font autant dans l’espoir d’obtenir des salaires plus élevés en Europe et ailleurs.

Pour les Tunisiens, la route maritime vers l’Europe est plus sûre que le voyage plus périlleux depuis la Libye, où des centaines de personnes se sont noyées cette année en tentant de faire le trajet à bord de bateaux de passeurs, souvent de petits canots pneumatiques. Les Tunisiens qui choisissent la route maritime vers l’Europe cotisent pour avoir recours à des bateaux de pêche relativement robustes, équipés de moteurs appropriés et même de GPS, ont déclaré des résidents de Kerkennah et un passeur. La traversée depuis la Tunisie est également plus courte, 150 miles séparent la Tunisie des côtes de la Sicile en son point le plus étroit.

Des prix à la carte

Au plus fort du trafic de contrebande cet été, au moins cinq bateaux ont quitté les îles Kerkennah chaque jour, ont indiqué des habitants et un passeur insulaire. Une place sur l’un des bateaux pourrait coûter entre 1 000 et 3 500 dinars (360 à 1 265 dollars), a déclaré le passeur. Les prix sont ajustés au portefeuille de chaque passager.

L’itinéraire n’est pas sans risques. En juin, un bateau bondé de migrants a coulé près des îles Kerkennah, faisant plus de 100 morts. Le gouvernement y a dépêché de grands renforts sécuritaires pour sévir contre les passeurs. Le chef du gouvernement Youssef Chahed a limogé son ministre de l’intérieur après avoir critiqué l’incapacité des forces de sécurité à empêcher le naufrage.

Une opération plus vaste qui arrêterait complètement les départs illicites en Europe ne s’est pas matérialisée. Les bateaux de migrants ont continué à partir d’autres villes de la côte tunisienne. »La migration ne va pas s’arrêter », a déclaré un militant des droits civiques. « Les chiffres vont augmenter. »

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