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Tunisie : Le gouvernement ne verrait pas d’un mauvais œil la migration clandestine, selon des chercheurs

Le phénomène de la migration clandestine a été rarement disséqué et analysé comme viennent de le faire deux experts de renommée internationale, l’un, Matt Herbert est un chercheur associé à l’Initiative mondiale contre le crime organisé transnational, l’autre, Max Gallien, spécialisé dans l’économie politique de l’Afrique du Nord, est connu pour ses recherches sur les économies informelles et les réseaux de contrebande en Tunisie et au Maroc. Ils ont livré le fruit de leur réflexion commune dans un article publié par « Atlantic Council », le think tank spécialisé dans les relations internationales.

Normalement, les plages du sud de la Tunisie sont calmes en novembre. C’est le début des mois des vaches maigres, où peu de touristes arrivent et les emplois qui en dépendent s’effondrent. Cette année est différente. Les plages tunisiennes ont un nouveau client: les Tunisiens qui tentent de gagner l’Europe, constatent-ils en exergue de leur article où ils soulignent que ce regain de la migration à partir de la Tunisie est aussi inattendu que dramatique, mais différent de celui observé dans la foulée de la Révolution de 2011, dû à la défaillance de l’autorité de l’Etat.

Tout en niant que l’afflux migratoire tunisien soit lié aux milices libyennes qui ont empêché, en juillet et en août que les plages sous leur contrôle servent de point de départ pour les migrants, coïncidant pourtant avec la poussée migratoire tunisienne, ils mettent en avant la situation économique et sociale dans les régions méridionales et intérieures de la Tunisie, comme Kasserine, Sidi Bouzid et Tataouine, pour n’en citer que celles-ci , lesquelles ont une longue histoire de marginalisation économique et politique et de frustration. Cependant, ce qui est beaucoup moins discuté, c’est que depuis la révolution, la marginalisation économique et politique alimentant la frustration dans ces régions n’a pas été désamorcée et s’est même aggravée. A un point tel que, pour la Tunisie, l’année 2017 a été particulièrement rude.

Le Sud-est, terreau de la contrebande

C’est spécialement le cas pour les gouvernorats de Tataouine et de Médenine où les moyens de subsistance d’une large part de la population dépendent de l’économie informelle, étroitement liée aux formes licites et illicites de commerce transfrontalier avec la Libye dont l’étendue est stupéfiante. Jusqu’à récemment, la contrebande d’essence en provenance de Libye employait 5 600 personnes et générait 320 millions de dinars tunisiens par an. Mais, cet été, la contrebande d’essence s’est effondrée, due dans une large mesure à l’émergence de la contrebande en tant que problème politique majeur dans l’ouest de la Libye. L’aggravation de la crise économique, la hausse des prix et la frustration liée au détournement de carburant par les trafiquants ont poussé un nombre croissant de Libyens à protester, à pousser les autorités locales à sévir contre la contrebande. Des actions contre les trafiquants ont même eu lieu dans des villes libyennes comme Zwara et Nalout où la contrebande de carburant était un pilier économique. Les efforts de la Tunisie pour renforcer la sécurité frontalière à la suite des attaques terroristes à Tunis et à Sousse ont également joué un rôle, rendant la contrebande plus difficile, dangereuse et coûteuse. L’effondrement du commerce transfrontalier de l’essence a eu un impact important dans le Sud-est de la Tunisie, mettant au chômage des milliers de trafiquants d’essence et de vendeurs informels. Cela a conduit au triplement du prix de l’essence dans les gouvernorats du Sud-est, exerçant une pression sur les budgets des ménages déjà mis à mal par une inflation élevée et un dinar en vertigineuse dépréciation.

Dans le même temps, des descentes de police ont permis la saisie des avoirs de plusieurs « opérateurs » du secteur financier informel dans le Sud-est du pays le cadre de la «guerre contre la corruption» lancée par le gouvernement. Ces prêteurs informels jouent un rôle essentiel en fournissant des fonds, des crédits et des relais pour les opérations commerciales informelles. Cette réponse sécuritaire à un problème économique complexe n’a pas été liée à l’homologation du système monétaire informel, mais à la contraction de sa base de capital, ce qui a encore pesé sur l’économie de la région.

Toutefois, la pression croissante sur l’économie informelle ne s’est pas accompagnée d’une amélioration des opportunités dans le secteur formel pour les nouveaux chômeurs ou sous-employés. Les conditions de l’investissement privé restent médiocres, alors que la majorité des nouveaux projets d’investissement «Tunisie 2020» vont aux régions côtières et celles du Nord. Le tourisme, en difficulté après les attentats de 2015 à Sousse, a légèrement rebondi, mais ne procure que des revenus saisonniers aux jeunes. La pêche, autre source traditionnelle de revenus dans les régions côtières du sud, a connu une année difficile car l’invasion des crabes bleus a entraîné une baisse à deux chiffres des moyens de subsistance des pêcheurs, ce qui a poussé beaucoup d’entre eux à se livrer à la contrebande           ou à vendre leurs embarcations aux trafiquants.

La politique internationale n’a pas aidé non plus et parfois aggravé la situation de beaucoup de ceux qui choisissent l’exode. La pression exercée par le FMI pour que la Tunisie adopte un programme de réforme économique axé sur l’austérité laisse peu de place aux options de développement pour les régions marginalisées. La demande du FMI de supprimer des milliers d’emplois dans le secteur public va encore peser sur le nombre beaucoup plus élevé de familles qui dépendent du revenu de ces emplois pour survivre. Les acteurs internationaux qui poussent à ouvrir l’économie de la Tunisie pourraient exacerber le déséquilibre des opportunités dans le pays.

Frustration et chômage, carburant de l’exode

Rien ne permet de prédire que le gouvernement tiendra ses promesses répétées de développement économique, d’emplois et d’une vie meilleure. La frustration a été si vive qu’une vague de grandes manifestations a éclaté dans toute la Tunisie, et de grandes foules sont descendues dans les rues pour réclamer le développement économique, l’emploi et la dignité. Le Sud-est et d’autres régions marginalisées n’avaient d’autre choix que de chercher d’autres alternatives.

Ces mouvements de protestation qui ont déferlé sur la Tunisie pendant le printemps et l’été semblent avoir cédé la place à un automne et à un hiver de l’exode, estiment les deux chercheurs qui leurs trouvent des causes communes : frustration face à l’inégalité régionale, inquiétude sur la détérioration de l’économie et colère face au manque d’emplois. La situation économique en Tunisie n’a pas encore atteint son niveau le plus bas. Mais les Tunisiens ont peu confiance que le gouvernement puisse surmonter les défis économiques auxquels le pays est confronté.

Toutefois, l’augmentation des flux migratoires fournit un débouché pour les chômeurs et, à court terme, peut être la seule chose qui empêche une situation sociale incandescente d’exploser. Cela peut donner au gouvernement le temps nécessaire pour régler des problèmes économiques et sociaux difficiles. La hausse des migrations n’est pas une panacée en soi. Cela ne résoudra pas les problèmes d’inégalité régionale, d’opportunité économique et de dignité. L’absence d’action du gouvernement pour y répondre en se bornant à en prendre acte ne fera que les repousser encore et encore, avertissent les deux chercheurs.

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