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Ennahdha joue avec le feu

J’ai pu discuter avec des responsables de l’économie ,de la finance et des professionnels du tourisme ,qui étaient unanimes pour dire que les effets négatifs de l’assassinat de Chokri Belaid , le 6 février 2013 ,étaient beaucoup plus importants sur l’économie du pays , que l’attaque de l’ambassade américaine , le 14 septembre 2012 .

Ces responsables ont vu dans l’assaut contre l’ambassade US un évènement grave qui a porté un coup à l’image du pays , mais comparativement ,disent-ils, ils ont pu constater que les opérateurs étrangers dans les secteurs de l’investissement , de la finance , du tourisme , de l’import-export sont encore plus gravement interpellés par un assassinat politique exécuté au grand jour . Evidemment, ces mêmes responsables qui ont pu être interviewés quelques semaines après l’assassinat du 6 février, ont vu dans le piétinement de l’enquête un élément qui a ajouté à la gravité d’une situation qui semblait déjà inextricable.

A la façon dont ils appréhendent les choses, on peut penser que les opérateurs étrangers ne doutent pas une seconde qu’un assassinat prémédité contre un politicien de premier plan est la démonstration irrécusable que le pays en question n’est pas en sécurité. Et si l’enquête diligentée pendant 6 longs mois n’a mené nulle part, c’est l’indice qu’on est en face d’un fiasco aggravé auquel s’ajoute un autre assassinat de même nature.

Cette situation inédite est fondamentalement incompatible avec l’image que la Tunisie veut donner d’elle-même après la révolution ,comme un pays qui veut se mettre, au plus vite , au travail ,pour répondre aux attentes de la jeunesse , et ce , en attirant le maximum d’investissements étrangers , de flux touristiques , et en exportant le plus de produits et services vers les quatre coins de la planète .

Mais pourquoi , au lieu de mettre en œuvre des politiques qui vont dans ce sens , la Tunisie est-elle devenue un foyer djihadiste en liaison directe avec les guerres civiles en Syrie et au Mali , et une partie prenante dans les affaires intérieures d’Egypte et de Libye , et où les terroristes de la région trouvent refuge . Un pays où le trafic d’armes bat son plein, au vu et au su de tout le monde, et où circulent des listes de politiciens à abattre.

A l’origine de toute cette situation, un choix fait par Ennahdha, dès fin janvier 2011 , qui consiste à considérer la révolution tunisienne comme une pièce d’un puzzle s’étendant de l’Atlantique jusqu’en Afghanistan . A peine rentré au pays, Rached Ghannouchi a annoncé cette orientation, dans un discours prononcé le 4 février 2011, avant même que ne se déclenchent les révolutions arabes . Il a déclaré , devant les chaînes de télévision étrangères ,dans le patio de la Grande Mosquée de la Zitouna ,que la Tunisie retrouve sa vocation de point de départ des grands changements de la région rappelant que l’islam s’est propagé au Maghreb , en Andalousie , et en Afrique à partir la Tunisie , comme ce sera le cas pour les révolutions qui vont détrôner les despotes de la région .

Ce choix appliqué aux rapports entre formations islamistes va permettre à Ennahdha de confisquer à son profit le débat avec les salafistes et djihadistes , sans que ce parti n’ait reçu mandat d’aucune autorité publique , ou autre formation politique .L’argument, au début , était d’ordre scientifique : ces jeunes ont besoin d’être raisonnés , et, de ce fait, seuls les dirigeants d’Ennahdha trouvent un langage commun avec eux . D’ailleurs, le parti islamiste qui allait accéder au pouvoir, avait mandaté Rached Ghannouchi , Habib Ellouze et Sadok Chourou pour accomplir cette mission . Abdelfattah Mourou qui était en dehors des structures d’Ennahdha s’est porté volontaire pour s’associer à l’entreprise.

De cette mission, ni l’Etat, ni l’opinion publique, ni les autres formations politiques ne savaient que dalle .

Mais avec le temps , on entrevoit que ce qui était une mission de conscientisation se transforme en coordination pure et simple entre des stratégies, d’abord pour imposer la Chariâa dans la Constitution et puis carrément , coordonner les politiques pour islamiser le pays et la région ( Syrie , Nord Mali , Libye et ailleurs ), et lutter contre les démocrates et les compétences tunisiennes dans l’administration . La vidéo publiée sur facebook incluant la séquence du débat entre Ghannouchi et des salafistes illustre cette étroite collaboration

Il faut reconnaître, toutefois, que les liens entre Ennahdha et les salafistes-djihadistes n’ont pas toujours été clairs .Les djihadistes qui ont leur agenda propre, sont jaloux de leur indépendance , et ont toujours redouté la manipulation de la part du parti au pouvoir . La tournure qu’a prise l’attaque contre l’ambassade américaine, planifiée par les deux parties, mais qui s’est retournée contre les djihadistes les plaçant dans le statut de bouc émissaire, a ouvert une étape nouvelle dans cette lutte souterraine entre factions islamistes.

Une nouvelle étape des rapports Ennahdha-djihadistes s’amorce à partir du mois d’avril 2013 , avec le déclenchement des évènements de Chaâmbi , et le coup de force initié par les Ansar Chariâa pour tenir leur congrès annuel à Kairouan et les évènements de la cité Ettadhamen qui l’ont accompagné ,le même jour .

Les observateurs ont décelé essentiellement, dans la foulée de ces évènements, l’ébauche de tractations qui ont abouti à un calme relatif suivi de mises en liberté de plusieurs djihadistes, de la non application de la loi antiterroriste aux accusés de la cité Ettadhamen . Mais, tout d’un coup , les rapports entre Ennahdha et les djihadistes se détériorent de nouveau , après les tentatives d’arrêter des dirigeants terroristes, et la volonté affichée par l’administration de lutter contre le trafic d’armes et l’annonce de Noureddine B’hiri que le ministre de l’Intérieur allait dévoiler les noms des commanditaires et des exécutants de l’assassinat de Chokri Belaid .

Le nouvel assassinat , celui de Mohammed Brahmi annonce-t-il une nouvelle phase caractérisée par des développements qui échappent au contrôle des deux parties, et par des malentendus et non- dits entre factions islamistes ? .Vu sous cet angle , comme le pensent plusieurs observateurs , cet assassinat serait l’œuvre du même groupe et avec la même arme , comme le disait le ministre de l’Intérieur , mais il pourrait ne pas être commis pour les mêmes raisons que le premier , qui avait eu lieu au moment d’une symbiose entre islamistes , alors que le deuxième arrivait en période de brouille et de malentendus .

Les démocrates qui veulent maintenant reprendre les choses en main, dans le pays, ont assisté en spectateurs à la genèse et à la détériorations des nouveaux rapports entre Ennahdha et djihadistes , comme si ces développements n’avaient pas d’incidences sur le processus démocratique .

Or le dossier du djihadisme ne doit pas être l’apanage d’un parti, soit-il islamiste et démocrate ou se voulant comme tel, mais sa gestion doit être la résultante des efforts de toutes les forces du pays. Et toute force qui entrerait en discussion avec les djihadistes doit être mandatée par le pays, à charge pour elle de rendre compte à tout le pays de toute évolution ou échec de débat.

Aboussaoud Hmidi

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