On aura beau critiquer ses manières « à la Robocop » pour parler de sa posture raide comme un balai et sa diction presque robotique, son langage « à la Ikhchidi » (un souverain d’Egypte et que Kais Saïed cite parfois pour parler des promesses électorales non tenues), son style particulier de graphisme « Koufi » comme pour placer ce pan-arabiste amoureux de la calligraphie arabe dans un contexte temporel et politique dépassé. L’homme n’en reste pas moins singulier, et à plus d’un titre, et qui dérange parfois. Il dérangerait tellement qu’on penserait à l’empoisonner, comme les services de la présidence de la République ne le confirment pas ni le démentent.
Décrit comme antisystème, dès le 1er tour des Présidentielles anticipées de 2019, le chef de l’Etat tunisien ne cessera pas de confirmer cette étiquette. Il préférait parler, par exemple, d’idée en lieu et place de programme. Le tout sans parti, qui sillonne la Tunisie rurale, et va à la rencontre de ses concitoyens, même s’il donne plutôt l’impression d’attiser leur colère que de les apaiser.
Le chef de l’Etat qu’il est ne peut certes pas leur apporter les solutions, immédiates et instantanées qu’ils demandent. Mais il peut déjà, contrairement à beaucoup des derniers chefs de gouvernement, leur offrir son écoute et sa compassion. Cette dernière est, parfois, mal interprétée, comme lorsqu’il s’adresse à eux, dans certaines régions avec un discours « révolutionnaire » ou complotiste qui n’arrange pas les choses et ne fait que jeter de l’huile sur le feu de la colère sociale de tous ceux qui ont été déçus par l’issue de ce qu’ils avaient cru être une révolution.
Le règne, de moins d’une année, de ce sexagénaire retraité de l’enseignement universitaire, n’a jusque-là pas permis de concrétiser son « idée » d’un pouvoir décentralisé en pyramide inversée. Un règne de 20 mois marqué certes par une guerre larvée avec les représentants du courant islamiste, qui lui procure une certaine légitimité. Mais un règne marqué par le Covid-19, le confinement, l’incessante relance de l’état d’urgence, et la détérioration de presque tous les ratios, économiques et financiers.
Le chef de l’Etat n’en porte certes pas la responsabilité directe. Mais cela n’est pas toujours vrai. La responsabilité est, en effet, directement sienne, en matière de politique étrangère, plus est, lorsqu’il s’agit du monde arabe, pour un chef d’Etat dit pan-arabisant. En effet, outre le vide constaté dans la représentativité diplomatique en France, ambassade et quelques consulats, force est aussi de remarquer que la Tunisie de Kais Saïed n’a toujours pas d’ambassadeur à Damas, ni en Irak, deux points chauds du monde arabe. Et même le ministère des Affaires étrangères est toujours géré par un intérimaire, depuis qu’il a renvoyé Erray, manifestement pour une faute protocolaire, le 25 juillet dernier et en relation avec une cérémonie où était présent Rached Ghannouchi. Des vides, qui impactent la politique étrangère tunisienne et son image sur une scène bouillonnante.
Incapable, jusque-là, de changer la Tunisie en profondeur et d’image, il s’emploie à le faire de l’intérieur et sur quelques symboles de la Présidence. Chef de l’Etat et chef des armées, il se déplace pourtant sans chichi, avec un petit cortège de juste deux voitures, mais sans sirène ni gyrophare pour déblayer les routes. Et même lorsqu’il rencontre le péage de l’autoroute, il évite intentionnellement l’entrée VIP gratuite, fait la queue comme le citoyen lambda, paie pour la levée de la barrière et s’arrête dans les stations-relais de l’autoroute pour siroter un café, aller à l’encontre des gens et se laisse prendre en Selfie.
Président de la République, il avait un temps évité le palais de Carthage en résidence officielle, pour prendre chaque jour la route de son domicile personnel à la Mnihla à l’Ariana, construit suite à la cession de sa part dans la maison familiale.
A Carthage, on ne sait pas s’il mange autant de poissons que son prédécesseur Marzouki, ni s’il utilise toujours la Maybach offerte par les Saoudiens à l’issue du dernier Sommet de la Ligue arabe. Sur le site du ministère des Finances, le budget de la présidence de la République (140 MDT, en hausse de 3,6 % par rapport à 2019), reste introuvable !
Sur le plan personnel, beaucoup de Tunisiens avaient craint l’accès de la nouvelle famille au pouvoir. En pratique, Kais Saïed semble veiller à ce que cela ne se reproduise plus. Le dernier exemple, c’est la mutation de « la 1ère Dame », juge de son état, du tribunal de 1ère instance de Tunis à Sfax à plus de 250 kilomètres du domicile conjugal, « pour nécessité de service » selon le communiqué de l’Ordre judiciaire du mercredi 12 août 2020, avec certes le grade de juge de 3ème degré. On est loin du temps où la famille du président était intouchable.
Ce sont, au final, ces petites choses du quotidien qui marquent le mandat de Kais Saïed à Carthage plus que les changements structurels qu’il avait en « idée » de faire, et qui font la manière Saïed de faire de la politique. Une manière qui dérange !
Cela fait moins d’une année que KS est Président et non pas 22 mois.